Officiellement, Arnaud Montebourg ne parle plus de Florange. "Je laisse le premier ministre se débrouiller (...). C'est son dossier maintenant ", a-t-il expliqué, lundi 10 décembre, lors d'un déplacement à Bruxelles. Mais, en privé, le ministre du redressement productif n'en démord pas : son idée de nationaliser l'aciérie mosellane d'ArcelorMittal, pour la céder ensuite à un repreneur, était la bonne, assure-t-il à ses visiteurs à Bercy.
Preuve de sa détermination, M. Montebourg n'entend pas abandonner le concept de nationalisation, même provisoire, qu'il a contribué à sortir du placard dans lequel la gauche l'avait placé. "Tout le monde s'y met ou s'y mettra", a-t-il assuré lundi, en marge du sommet des ministres européens de l'industrie, pointant notamment le pragmatisme des pays anglo-saxons en la matière.
Selon nos informations, son cabinet en serait déjà aux travaux pratiques et utiliserait à nouveau cette "arme de dissuasion massive" dans les négociations qu'il mène actuellement avec l'anglo-australien Rio Tinto, afin de l'obliger à céder dans des conditions acceptables son usine de fabrication d'aluminium de Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), menacée de fermeture.
Les conseillers de M. Montebourg sont d'autant plus motivés qu'un certain nombre de documents laisse penser que la nationalisation de Florange n'avait rien d'un projet illusoire, comme l'a sous-entendu le premier ministre Jean-Marc Ayrault pour justifier la signature d'un accord avec ArcelorMittal.
Selon une note de dix pages rédigée par la directrice des affaires juridiques de Bercy, révélée par Le Canard Enchaîné et dont Le Monde s'est procuré une copie, "l'appropriation par l'Etat du site industriel de Florange" était ainsi parfaitement possible sur le plan légal.
"PROJET SÉRAPHIN"
"La nationalisation (...) peut ne concerner qu'un bien ou qu'un établissement", peut-on y lire, alors que Matignon expliquait la semaine dernière que "nationaliser une entreprise ou un secteur, on sait faire, mais un seul site en France d'une multinationale, c'est inédit et très risqué sur le plan juridique".
De même, Catherine Bergeal, la grande prêtresse du droit à Bercy, assure dans ce document que "le risque d'assimilation de la nationalisation à une aide d'Etat paraît faible". Autrement dit : la Commission européenne n'aurait sans doute rien trouvé à dire si l'Etat avait rétrocédé à un opérateur privé ce qu'il venait d'exproprier à ArcelorMittal, alors que l'entourage du groupe sidérurgique évoquait un risque de "concurrence déloyale".
Sur le plan financier, l'Apocalypse annoncée par M. Ayrault en cas de nationalisation de Florange, qui aurait coûté "plus de 1 milliard d'euros aux contribuables", comme il l'a une nouvelle fois rappelé mercredi sur France 2, paraît exagérée.
Dans un document daté du 28 novembre - "Projet Séraphin" - élaboré à partir des calculs du Fonds stratégique d'investissement (FSI) et du cabinet McKinsey, on apprend que si la reprise du site de Florange nécessitait bien "un besoin de financements (...) de 1,1 milliard d'euros", sur la période 2013-2015, seuls 630 millions devaient être apportés en fonds propres, les 470 millions restants devant être financés par endettement.
De plus, 110 millions de ces fonds propres devaient être fournis par les repreneurs du site, le Français Bernard Serin, patron du belge Cockerill Maintenance & Ingénierie (CMI), et le sidérurgiste italo-suisse Duferco, auxquels aurait pu s'associer le russe Severstal à hauteur de 110 millions lui aussi. "Au final, 410 millions d'euros d'argent public auraient au maximum été mobilisés", assure un proche des négociations. Bien loin du milliard de M. Ayrault.
Lire : "Nationalisation honteuse, nationalisation heureuse, l'exemple américain"
L'entretien de l'économiste Elie Cohen : "Nationaliser oui, mais pour des raisons qui le justifient"
"Tokyo n'hésite pas à mener ses industriels à la baguette"
"Les ratés du romantisme de gauche"
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu