Non, la culture n'est pas le domaine de saltimbanques gourmands en subventions que l'on décrit parfois. C'est un secteur productif, crucial pour la « marque France ». C'est en substance un des messages que veut faire passer le rapport publié vendredi 3 janvier par le ministère de la culture et réalisé conjointement avec celui de l'économie.
L'exercice est politique : sont mis en avant tant les 13,4 milliards d'euros d'apports publics divers à la culture en 2012 que la richesse créée. Le document s'attache à calculer un « PIB culturel » : la valeur ajoutée des activités culturelles retenues s'élève ainsi à 57,8 milliards d'euros, soit 3,2 % de la valeur ajoutée française en 2011. Autant que la filière agricole.
La démarche rappelle celle d'une autre étude, du 7 novembre 2013, réalisée par le cabinet EY pour France Créative, un groupement d'acteurs privés emmenés par la Sacem (la société d'auteurs, compositeurs et éditeurs de musique). Ou celle d'un document publié le 22 octobre par le Centre national du cinéma (CNC).
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« PRÉOCCUPATION D'EFFICIENCE »
« Le secteur culturel s'est longtemps défendu sur des bases affectives et politiques. Aujourd'hui, ça ne suffit plus car à la commission européenne et en France, il y a une préoccupation d'efficience », juge Philippe Bailly, de NPA Conseil, lui aussi coauteur d'une étude fin 2013.
Aurélie Filippetti, la ministre de la culture, pense, elle, de longue date que « le redressement productif est lié au redressement créatif ». La valeur de sa démarche avec le ministre de l'économie, Pierre Moscovici, est une vision statistique « précautionneuse », inspirée de l'Insee et de l'Unesco, note-t-on.
Le prisme est toutefois assez large : le rapport intègre la publicité ou le patrimoine. Et des activités indirectes (dont 5,6 milliards d'euros de restauration du patrimoine).
Le document comptabilise 670 000 emplois dans les entreprises culturelles – soit 2,5 % de l'emploi en France –, et 870 000 emplois culturels, toutes entreprises confondues. Et tente d'évaluer l'impact positif des investissements culturels au niveau local.
Point sensible : Bercy et la rue de Valois précisent l'effort financier de l'Etat en faveur de la culture. Les auteurs soustraient de ce total de 13,5 milliards d'euros certaines dépenses (l'éducation artistique ou les bibliothèques universitaires) pour obtenir 9,3 milliards de dépenses de l'Etat « ayant un impact sur l'économie ». Soit 16 % de la valeur ajoutée culturelle totale ou 7,2 % de sa production (qui inclut aussi les consommations intermédiaires : papier, électricité…). « Le secteur n'est donc pas tant subventionné que cela par l'Etat », note-t-on rue de Valois.
GRANDES DISPARITÉS
Il faut ajouter à cela les dépenses des collectivités territoriales, évaluées à environ 7,6 milliards d'euros (dont une partie vient de l'Etat). En outre, les auteurs choisissent de ne pas prendre en compte le déficit de l'assurance-chômage des intermittents, évalué entre 320 millions et 1 milliard d'euros.
Plus largement, le calcul masque de très grandes disparités : l'audiovisuel bénéficie au total de 5 milliards d'euros d'intervention publique. A elle seule, la redevance qui finance France Télévisions ou Radio France pèse 3,2 milliards d'euros en 2012, auxquels s'ajoutent 357 millions d'aides du CNC, 446 millions d'exonérations de redevance, environ 400 millions de compensation de la suppression de la publicité et 462 millions de contribution à la diversité. Soit l'équivalent de 32 % de la production totale du secteur audiovisuel. Un chiffre proche de celui l'accès à la culture et au savoir (soutien équivalent à 29 % de la production).
A l'opposé, cinq secteurs sont jugés faiblement touchés par l'intervention publique (moins de 1 % de la production, entre 0 et 44 millions d'euros) : arts visuels, livre, architecture, publicité et industries de l'image et du son. Pour le patrimoine (1,1 milliard), le cinéma (476 millions), le spectacle et les concerts (830 millions) et la presse (844 millions), l'impact public varie de 5 % à 7 % de la production.
Au ministère de la culture, on fait remarquer que « ces chiffres reflètent l'importance de l'offre publique dans le domaine de l'audiovisuel ». On peut aussi rappeler que les chaînes contribuent largement, par le CNC et leurs obligations de production, au financement du cinéma français. Un système qui a été critiqué début décembre par la Cour des comptes dans un prérapport ou par la commission européenne, cette dernière s'étant depuis radoucie.
INDUSTRIE OU EXCEPTION CULTURELLE ?
Plus agréable aux oreilles de Mme Filippetti, on trouve dans le document cosigné avec Bercy l'affirmation que les géants d'Internet comme Apple ou Google « captent » une part de la valeur ajoutée, sans la financer.
Dans ces jeux d'influence, Pascal Rogard, dirigeant de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, se démarque, il a refusé de participer à l'étude France Créative : « S'efforcer de montrer son poids économique est en contradiction avec l'idée d'exception culturelle. Parler d'industrie culturelle, c'est se banaliser et entrer dans le jeu de Bruxelles. » Nous verrons si l'effort d'affichage et de pédagogie du secteur est au final porté à son crédit.
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