Pas les mêmes codes, pas les mêmes référents, pas les mêmes manières de se comporter… C’est peu dire qu’il y a un « choc Varoufakis » sur la scène très « policée » des grands argentiers européens. Et ce « choc des cultures » sera encore, vendredi 20 février dans l’après-midi, l’un des éléments clés de la réunion de l’Eurogroupe (l’instance qui réunit les ministres des finances de la zone euro), qui doit décider de la suite donner à la demande grecque de prolongation du plan d’aide dont bénéficie Athènes.
« S’il avait eu une attitude plus conciliante, moins arrogante, il aurait peut-être déjà décroché, son feu vert à une extension du plan d’aide », glisse une source européenne haut placée à propos du ministre des finances d’Alexis Tsipras, quelques heures avant le début du troisième Eurogroupe à haute tension, consacré à la Grèce, vendredi 20 février.
À Bruxelles, l’attitude de ce Gréco-australien, brillant économiste, ultra-présent sur les réseaux sociaux est jugée agressive. Et l’on considère qu’elle n’a pas aidé, ces derniers jours, à la résolution du conflit entre la Grèce et le reste de l’Europe sur la renégociation de l’énorme dette du pays.
Elle joue, en tout cas aujourd’hui, comme un repoussoir pour le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, qui n’a manifestement aucune confiance dans son homologue grec, et a fait savoir brutalement, jeudi 19 février, qu’il rejetait la demande d’Athènes, de prolonger le plan d’aide des Européens.
Une tournée médiatisée, des faux pas retentissants
Le premier « faux pas » attribué à M. Varoufakis, c’est l’accueil qu’il a réservé au Néerlandais Jeroen Dijsselbloem, quatre jours à peine après sa nomination comme ministre à Athènes. Le président de l’Eurogroupe (l’instance qui réunit les ministres des finances de la zone euro) avait pourtant fait le premier pas, en se « précipitant » dans la capitale grecque, afin de nouer le contact avec ce tout nouveau ministre désireux de « redéfinir la donne entre la Grèce et ses créanciers. »
L’entretien avait été « constructif », selon l’entourage de M. Dijsselbloem. Mais la conférence de presse finale fut calamiteuse. Devant les caméras grecques, M. Varoufakis avait annoncé, sans prévenir, « la fin de la troïka », l’instance qui représente les créanciers du pays (Banque centrale européenne, Commission européenne, Fonds monétaire international). Il avait même pris la liberté de moquer le Néerlandais, en direct. Un affront, très mal vécu à Bruxelles et aux Pays-Bas.
Dans la foulée, la tournée des capitales européennes effectuée par M. Varoufakis, en commençant par Londres, a également été assez peu appréciée. Trop « show off ». Trop tapageuse. Trop de tweets. Trop de caméras… Des propositions tous azimuts également pour renégocier la dette, mais rien de concret sur la table de négociation, fait-on remarquer à Bruxelles.
Le fait que M. Varoufakis termine cette folle semaine par Berlin, au lieu d’avoir commencé par là, alors que l’Allemagne est de loin le premier créancier de la Grèce, a aussi fait grincer des dents. Tout comme les propos tenus en conférence de presse avec M. Schäuble, celui-ci avouant face caméra : « Nous sommes tombés d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord ». Et le Grec, très à l’aise, répliquant : « nous ne sommes même pas tombés d’accord sur le fait de ne pas être d’accord »…
Un « look » qui dessert
Le look très rock de M. Varoufakis, son côté Bruce Willis - crâne rasé, carrure athlétique, chemise ouverte et col de veston relevé -, avec l’air de monter sur le ring à chaque fois qu’il arrive aux réunions de l’Eurogroupe, le dessert aussi.
Ses homologues européens, rompus à cet exercice très codifié des réunions ministérielles, ont du mal à accepter l’intrus et ses propos jugés trop « professoraux ». « Il fait la leçon à ses homologues au lieu de donner des chiffres, des choses concrètes », dénoncent plusieurs sources européennes. Qui ne comprennent pas une telle attitude, alors que « ce sont les Grecs qui ont besoin de nous, pas le contraire. »
La confiance a été entamée dès la première réunion de l’Eurogroupe à laquelle participait M. Varoufakis, le 11 février. Près de six heures à discuter. Pour rien. Le ministre était revenu sur son accord au dernier moment, après un coup de fil au premier ministre grec, Alexis Tsipras, alors que M. Schäuble était déjà reparti pour Berlin, pensant qu’un compromis avait été trouvé.
Les fuites organisées par la délégation grecque en salle de presse, lors du deuxième Eurogroupe, le lundi 16 février, sont également très mal passées. Un « draft » d’accord a été généreusement distribué aux journalistes, les Grecs expliquant qu’il s’agissait d’un texte proposé par le commissaire européen aux affaires économiques, Pierre Moscovici, que M. Varoufakis était prêt à accepter, mais que ce texte a été écarté au profit d’un draft beaucoup plus dur de M. Dijsselbloem.
Cette version des faits a été contestée par la Commission européenne et le reste de l’Eurogroupe. « Aucun texte n’a été discuté officiellement, ce n’est pas une manière de négocier », ont témoigné plusieurs sources européennes après coup. « Les Allemands sont exaspérés », soulignait pour sa part un diplomate.
Des critiques qui masquent une part de mauvaise foi
Derrière les reproches adressés à M. Varoufakis, il y a aussi parfois une part de mauvaise foi. À Bruxelles, on pointe le « manque de préparation » de M. Varoufakis et de ses équipes, le fait qu’ils arrivent en réunion « presque sans dossiers », « sans chiffres ».
Mais on admet qu’avec seulement quinze jours à trois semaines de préparation, avec un directeur du trésor qui a lui aussi changé ces dernières semaines, il est logiquement très difficile à M. Varoufakis de ne pas commettre quelques impairs.
Les fonctionnaires et les politiques européens l’admettent aisément : la matière européenne est compliquée, les décisions se prennent à 19 (en Eurogroupe), ou à 28 (en Conseil européen). Même les commissaires européens, quand ils arrivent en poste, ont besoin de quelques semaines, voire de quelques mois, pour comprendre les ressorts du pouvoir bruxellois.
M. Varoufakis anticipait sans aucun doute les réticences allemandes. Mais il n’avait pas forcément mesuré que les positions adoptées par le gouvernement indisposent aussi les gouvernements autrichien, letton, estonien, ou encore slovaque…
La réunion de l’Eurogroupe de vendredi 20 février, qui doit statuer sur la demande de prolongation du plan d’aide aux Grecs, s’annonce donc, une nouvelle fois, très tendue pour le ministre grec.
Jeudi soir, sur son compte Twitter, M. Varoufakis a indiqué qu’il était allé voir, deux jours plus tôt, c’est-à-dire au lendemain de l’Eurogroupe du 16 février, la pièce Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, au Théâtre national à Athènes. « Un réconfort par rapport à vous savez quoi… », a-t-il écrit. Il en aura certainement besoin vendredi.
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