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L'imagerie médicale en panne, faute d'isotopes

La vétusté des réacteurs de recherche prive la médecine nucléaire d'isotopes utilisés en cardiologie et cancérologie.

Par Hervé Morin

Publié le 24 août 2009 à 16h10, modifié le 24 août 2009 à 17h29

Temps de Lecture 5 min.

Pour la première fois de son histoire, le monde développé va devoir renoncer pour partie à une avancée médicale majeure. La production internationale de molybdène 99 (99Mo), un radio-isotope utilisé dans 80 % des procédures de diagnostic de médecine nucléaire - en cardiologie et en cancérologie - est au bord du chaos.

Sur les cinq réacteurs dans le monde fournissant le 99Mo nécessaire à 35 millions d'examens chaque année, le principal est à l'agonie : le réacteur canadien NRU, entré en service en 1957, qui assurait à lui seul 45 % de la production mondiale, est à l'arrêt jusqu'au printemps 2010 à cause d'une fuite - mais il se murmure que, trop corrodé, il pourrait ne jamais reprendre du service.

Le réacteur HFR de Petten, aux Pays-Bas, n'est guère mieux loti. Stoppé pendant un mois pour maintenance en juillet, il a redémarré le 18 août, au grand soulagement des autorités sanitaires européennes. Il produit 31 % du 99Mo utilisé dans le monde et assure 73 % des doses issues d'Europe. Mais le répit ne sera que de courte durée, car il doit subir de lourds travaux de près de six mois à compter du 1er mars 2010. Kevin Charlton, responsable commercial de ce réacteur entré en service en 1961, convient qu'"il y a toujours un risque de retard" lors de telles opérations.

En France, le réacteur Osiris, exploité par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) à Saclay (Essonne), est actuellement à l'arrêt pour cinq mois de maintenance. En service depuis 1966, il devra à nouveau subir cinq mois de travaux en 2010, s'il veut obtenir l'autorisation de poursuivre ses activités jusqu'en 2015. Osiris ne représente que 5 % de la production mondiale, mais désormais, chaque curie - unité de mesure de la radioactivité - compte.

Restent un réacteur en Belgique, un autre en Afrique du Sud, qui ne peuvent assumer qu'au mieux 20 % des besoins mondiaux, même avec le secours d'un sixième réacteur australien, dont l'entrée en production est imminente.

"Nous sommes clairement dans une crise dont l'issue dépendra des capacités à réparer ces réacteurs et, au-delà, à décider d'investissements économiques viables", constate Thierry Dujardin, directeur adjoint de l'Agence de l'OCDE pour l'énergie atomique (AEN).

Cette "crise des isotopes" couvait en fait depuis plus d'un an. Depuis que le Canada a annoncé, en mai 2008, avoir renoncé à achever les deux réacteurs Maple qui devaient assurer 80 % des besoins mondiaux. Pour des raisons encore obscures, leur comportement s'est en effet révélé trop instable. Qu'importe, avaient indiqué les autorités canadiennes, le HFR pourra être prolongé - jusqu'à ce qu'elles soient vite démenties par des pannes toujours plus préoccupantes.

"FLUX TENDU"

Pour comprendre la fragilité de la sécurité de l'approvisionnement mondial, un petit rappel scientifique s'impose. Les radio-isotopes sont des atomes dont le noyau est instable. Ils émettent des rayonnements, précieux en imagerie médicale, ou pour détruire des tissus cancéreux ciblés. Mais pour éviter qu'ils ne lèsent les tissus sains, il faut employer des radioéléments à courte durée de vie, dont la radioactivité décroît rapidement. C'est le cas du technétium 99m (radioactivité diminuée de moitié en 6 heures), issu du 99Mo (2,75 jours de demi-vie), lui-même obtenu à partir de cibles d'uranium hautement enrichi disposées dans les réacteurs de recherche.

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Cette décroissance radioactive impose des délais très serrés, une logistique sans faille entre le réacteur, les usines d'extraction du molybdène, les générateurs du technétium finalement livré aux centres de médecine nucléaire. "C'est du flux tendu : une journée perdue, c'est 20 % du produit qui disparaît", souligne Alain Alberman, responsable des irradiations au CEA Saclay. Le corollaire, c'est qu'on ne peut stocker ces produits en vue des périodes de disette.

Il est donc impératif de coordonner la production. Un objectif auquel s'emploie une association des producteurs d'isotopes médicaux basée à Bruxelles, l'AIPES. "La crise est en passe de devenir une maladie chronique", reconnaît son directeur général, Jean-Pierre Cabocel. Ces efforts de coordination butent parfois sur le secret des accords commerciaux. Et la loi de l'offre et de la demande a conduit à "une multiplication du prix du molybdène depuis le début de la crise", constate Olivier Legrain, président de la médecine nucléaire chez IBA Cisbio, une des rares entreprises transformatrices du 99Mo en radiopharmaceutique.

Les Etats-Unis, qui n'ont pas de moyens propres de production, mais représentent 50 % du marché mondial, commencent aussi à souffrir de la pénurie. Ils ont pourtant des arguments de négociation : ce sont eux qui fournissent les quelque 30 kg d'uranium hautement enrichi, de qualité militaire, qui servent de matière première à l'essentiel de la production.

En France, l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) veille à ce qu'un seuil minimal de 30 % des besoins des 220 centres de médecine nucléaire reste couvert à tout moment. "Nous avons défini six indications essentielles pour lesquelles il n'y a pas de solution de remplacement", indique Philippe Lechat, directeur de l'évaluation des médicaments de l'agence. Il précise que les activités de traitement, ne nécessitant que très peu de produit, ne sont pas menacées.

En revanche, pour l'imagerie, les épisodes de pénurie récents ont été "gênants", souligne Etienne Garin, chef de service du centre Eugène-Marquis à Rennes. S'ils devaient se prolonger, dit-il, "nous serions mis en difficulté pour des examens pour lesquels il n'y a pas de substituts satisfaisants". Dans le cancer des os, par exemple, le scanner est moins performant que la scintigraphie.

Que faire ? Plusieurs réacteurs pourraient venir à la rescousse, en Pologne, en Allemagne, en Egypte ou encore en Russie. Mais il faudra plusieurs années avant qu'ils entrent en production, à l'instar du réacteur Jules-Horowitz, qui doit être achevé à Cadarache (Bouches-du-Rhône) en 2014-2015. Aucun Etat, et encore moins les industriels, n'envisage pour l'heure d'investir dans un réacteur dédié. L'utilisation d'accélérateurs de particules pour produire des radioéléments est une alternative. Mais lourde en temps et argent.

"Il faut trouver une meilleure articulation entre public et privé. Nous avons vécu pendant des années sur un modèle économique qui ne tient plus", souligne M. Dujardin. Aux deux bouts de la chaîne, des acteurs le plus souvent publics : l'hôpital et les réacteurs exploités sur fonds d'Etat. Entre les deux, des intermédiaires privés, dont certains cotés en Bourse, qui pouvaient espérer extraire 90 % de la valeur ajoutée de ce marché de 1 à 2 milliards de dollars par an. Lors de réunions internationales prévues en septembre, l'OCDE appellera ses membres à imaginer un autre système. En attendant, dans les années à venir, il n'y aura pas de solution miracle pour les malades, sommés de patienter...

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