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Jean-Marc Ayrault : « Le temps de la réforme fiscale est venu »

L’ex-premier ministre et le député PS Pierre-Alain Muet déclarent au « Monde » que les baisses d’impôt ne s’inscrivent pas dans un projet cohérent.

Propos recueillis par 

Publié le 26 août 2015 à 20h42, modifié le 27 août 2015 à 11h27

Temps de Lecture 6 min.

A la veille de l’université d’été du PS à La Rochelle, l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault et le député socialiste Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin, publient un livre intitulé Pour un impôt juste, prélevé à la source (Editions Jean-Jaurès, 70 p., 6 €). Ils regrettent que les annonces de baisses d’impôt du gouvernement de Manuel Valls ne s’inscrivent pas dans un projet cohérent de la fiscalité. « Il faut remettre toutes les mesures conjoncturelles en cohérence avec une vision de long terme », expliquent-ils.

Pour cela, ils jugent nécessaire d’amorcer, dès la prochaine loi de finances, un rapprochement entre l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée (CSG) en modifiant le mode de versement de la future prime d’activité, qui remplacera le RSA (revenu de solidarité active) activité et la prime pour l’emploi. Ils se disent déterminés à mobiliser les députés socialistes pour que cela soit inscrit dans la prochaine loi de finances pour 2016.

En introduction de votre livre, vous écrivez que « l’addition de mesures prises au coup par coup ne suffira pas pour redonner au système sa cohérence ». N’est-ce pas en creux une mise en cause de la politique fiscale du gouvernement ?

Jean-Marc Ayrault : Non. Cette conviction, je l’avais déjà énoncée en 2013 lorsque j’avais évoqué la nécessaire remise à plat de notre système fiscal. Je disais à l’époque qu’il était devenu incompréhensible et illisible et, de ce fait, dangereux du point de vue de l’adhésion des Français à l’impôt, qui est à la base du pacte social. Il n’y a pas de démocratie sans compréhension de l’impôt. C’est pour cela qu’il me semblait nécessaire de lancer ce chantier et de faire cette réforme.

Un chantier qui a été laissé en plan…

J.-M. A. : Pas complètement. Déjà, dès 2012 et 2013, nous avons pris un premier train de mesures : plafonnement des niches fiscales, tranche à 45 %, alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail, prélèvements exceptionnels sur les hauts patrimoines… Il y a eu ensuite d’autres mesures, notamment la suppression de la première tranche.

Enfin, a été annoncé ce que je préconisais, avec Pierre-Alain Muet, depuis longtemps, à savoir le prélèvement à la source. Le moment est venu d’aller plus loin et de rapprocher les deux principaux impôts directs que sont l’impôt sur le revenu [IR] et la CSG. C’est ce qui donnerait sens et cohérence à notre politique et serait de nature à renouveler la confiance.

Comment procéder à ce rapprochement ?

J.-M. A. : Une première étape, concrète, pratique, passe par une modification de ce que le gouvernement a fait voter par le Parlement. Il faut revenir sur le remplacement du RSA activité et de la prime pour l’emploi par la prime d’activité. Nous pensons qu’il faut plutôt, et cela est possible, modifier le taux de la CSG, pour verser la prime d’activité sous la forme d’une réduction automatique et dégressive de la CSG jusqu’à 1,3 smic.

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Ainsi, tous les bénéficiaires potentiels de la prime d’activité la recevront chaque mois. Avec le prélèvement à la source qui va être mis en place, ainsi que la déclaration sociale nominative [qui va remplacer toutes les autres déclarations des entreprises], on peut donc aboutir à quelque chose de précis, de juste et de rapide.

Pierre-Alain Muet : Depuis longtemps, le Parti socialiste plaide pour une réunification de l’imposition des revenus. Quand on fait la somme de l’IR et de la CSG, on arrive à peu près à ce qui se pratique dans les autres pays, mais avec une particularité : nous sommes le seul Etat européen où l’impôt est prélevé sur les revenus de l’année précédente, ce qui fait qu’il n’est pas adapté aux accidents de la vie professionnelle ou de la vie familiale. La bonne réponse, c’est donc de faire le prélèvement à la source de l’IR.

Mais on peut aussi avancer sur la progressivité de la CSG. Notre livre, tout en restant dans le cadre de la politique gouvernementale, explique qu’on peut avancer simultanément sur le prélèvement à la source et sur la progressivité de la CSG.

François Hollande avait fait de la réforme de la fiscalité un axe fort de sa campagne présidentielle. Ce qui se dégage des trois premières années du quinquennat, c’est une réforme inaboutie, faite d’à-coups et d’improvisations permanentes, sans projet cohérent.

J.-M. A. : La spécificité française est liée à l’histoire. Mais les deux systèmes de prélèvement essentiels qui cohabitent sont aujourd’hui arrivés à bout de souffle. Ils créent de l’injustice. Quand l’impôt sur le revenu, le plus emblématique, n’est payé que par 47 % des contribuables et, de plus, pèse sur une partie encore plus réduite des Français, c’est une mauvaise chose, tant du point de vue démocratique que politique.

Or, depuis l’année dernière, l’obsession du gouvernement a été la baisse de l’impôt sur le revenu et, en conséquence, la diminution du nombre de contribuables qui l’acquittent.

J.-M. A. : Nous sommes arrivés au bout de cette méthode, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires. Tout en nous inscrivant dans l’esprit des réformes gouvernementales, nous proposons d’autres solutions. Le temps de la réforme fiscale est venu. On parle beaucoup de réformes structurelles, dans tous les domaines, en voilà une. Faisons-la. Donnons plus de transparence et plus de justice à l’impôt.

C’est le budget de la dernière chance ?

P.-A. M. : Il y a clairement une opportunité. Les prélèvements, ces dernières années, ont pesé sur les ménages. Les allègements ont eu lieu sur les entreprises et commencent à produire leurs effets : grâce au CICE et au pacte de responsabilité, mais aussi grâce à la baisse du prix du pétrole et à la dévaluation de l’euro, les entreprises ont retrouvé leur taux de marge d’avant la crise. Il faut maintenant, si on veut que l’économie redémarre, redonner du pouvoir d’achat aux ménages.

Ce que nous disons, c’est qu’il faut replacer cette politique dans une vision d’ensemble, qui était celle de François Hollande dans sa campagne. Les mesures qui sont prises doivent s’inscrire dans une vraie réforme structurelle pour rendre notre impôt plus lisible. Pour cela, il vaut mieux agir aujourd’hui sur la CSG que continuer à agir sur le seul impôt sur le revenu. Il faut rappeler que neuf contribuables français sur dix payent plus de CSG que d’impôt sur le revenu. Il n’y a que le dernier décile de revenus, les 10 % les plus riches, qui payent plus d’IR que de CSG. Car tous les contribuables, contrairement à ce qu’on entend parfois, payent l’impôt. Et le plus gros, pour neuf sur dix d’entre eux, c’est la CSG.

Quand Michel Sapin, le ministre des finances, affirme que la baisse de l’impôt portera sur l’IR, ça ne va pas dans ce sens.

P.-A. M. : Nos propositions ne remettent pas en cause l’équilibre actuel de la politique économique. Nous nous inscrivons dans les choix macro-économiques qui ont été faits. Mais, si on peut aller plus loin, il faut avancer sur cette CSG progressive. Ce qui n’est pas incompatible avec d’autres mesures sur l’impôt sur le revenu. La grande force du discours de François Hollande, notamment durant sa campagne, c’était de ne jamais séparer l’impôt sur le revenu de la CSG. Nous pensons qu’il faut remettre toutes les mesures conjoncturelles en cohérence avec une vision de long terme.

Au-delà du livre, comment comptez-vous vous organiser dans la perspective du prochain débat budgétaire ?

J.-M. A. : Nous allons déposer des amendements, qui pourront être soutenus par de nombreux parlementaires. Les travaux parlementaires seront l’occasion de poursuivre de façon sereine ce débat, que le président de la République a lui-même ouvert. C’est une occasion à saisir. Il va falloir avancer dans le chantier du prélèvement à la source. Michel Sapin et Christian Eckert, avec qui nous en avons discuté, se montrent intéressés par nos propositions. C’est le bon moment pour faire avancer les choses.

Vous en avez parlé au président de la République ?

J.-M. A. : J’ai évoqué avec lui à de multiples reprises le chantier de la réforme fiscale. Je sens que les choses bougent. On a besoin de redonner de la confiance dans le débat politique, en particulier chez tous ceux qui, à gauche, attendent des réformes porteuses de justice sociale. Alors, n’hésitons pas, avançons.

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