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« Comment le blocage de l'université m'a dégoûté de l'extrême-gauche »

ALAIN JOCARD/AFP

FIGAROVOX/TEMOIGNAGE - Julien Leclercq livre un témoignage personnel, celui d'un jeune étudiant communiste, bien vite lassé par les blocages à répétition et la violence de l'extrême-gauche. Selon lui, la fracture est consommée entre la classe moyenne et les élites de gauche.


Julien Leclercq est directeur de la rédaction de la revue numérique Le Nouveau Cénacle.


Au mois de septembre 2004, j'ai fait ma rentrée en classe préparatoire au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Fier d'avoir pu rejoindre ce prestigieux établissement après mon baccalauréat obtenu dans mon lycée de banlieue, j'ai rapidement découvert la dureté des longs trajets en RER pour rejoindre le quartier latin. Lorsque le réseau fonctionne, il faut compter environ deux heures, porte à porte. Mon père me conduisait donc chaque matin à la gare sur les coups de six heures du matin.

Ma famille n'était pas assez riche pour me louer un studio à Paris, mais gagnait «trop» pour toucher des aides sociales. Alors je n'avais pas le choix: soit les heures de RER et de Transilien le matin et le soir, soit faire une croix sur les études parisiennes et rejoindre la prépa de Mantes-la-Jolie qui était plus proche de mon domicile. Malgré la fatigue, je me suis accroché. Dans ma classe, la plupart des élèves étaient internes. Cela signifie qu'ils louaient une chambrette dans le lycée. Les autres vivaient à Paris soit dans un studio loué par leurs parents, soit au domicile familial dans le Ve arrondissement. Très vite, l'écart s'est fait sentir. Je n'étais pas aussi attentif qu'eux. Je m'écroulais de fatigue en rentrant. Lorsque les cours débutaient, j'avais déjà enduré deux - voire trois - heures de trajet.

Un soir, alors que je descendais le boulevard Saint-Michel, un homme vint me trouver: «Bonsoir, êtes-vous engagé en politique?». Je lui répondis par l'affirmative: j'étais venu à Paris avec mes idéaux communistes adolescents. Le mépris de classe que je rencontrais chez mes camarades parisiens avait renforcé ma détestation du bourgeois et ma colère contre les injustices. Alors, j'ai engagé la conversation avec cet homme qui me présenta d'autres camarades, tous issus de différents mouvements (LCR - futur NPA -, Lutte ouvrière…) pour discuter et se réunir pour réfléchir sur différents thèmes (la révolution prolétarienne, le genre humain…). Je vivais un rêve éveillé! Fidèle à Jean-Paul Sartre, je m'engageais. Je voulais me montrer digne du drapeau du Che accroché au-dessus de mon lit.

Le CPE et les premières cassures

En 2005, un mouvement de grève avait touché les transports. Passablement irrité après avoir effectué plus de trois heures de trajet, je trouve les portes du lycée Louis-le-Grand fermées. Une bande d'adolescents bloquait l'entrée. Lorsque je voulus passer, l'un d'eux s'exclama: «On ne passe pas, aujourd'hui c'est la lutte!». Je l'ai attrapé par le col et l'ai envoyé faire un soleil. Je pus alors aller passer la journée en bibliothèque pour travailler, afin de ne pas perdre le temps de révisions déjà bien entamé à cause des cheminots. D'autres privilégiés.

Je découvris la férocité d'une certaine gauche prête à se retourner contre d'autres militants jugés pas assez vindicatifs.

Un an plus tard, je me suis engagé très tôt contre le CPE. Avec mes camarades d'extrême-gauche rencontrés il y a un an, nous pouvions enfin battre le pavé en clamant notre haine du patronat et crier notre sentiment d'injustice. Tout engagement politique ayant sa part d'héritage familial, j'étais fier de prendre la relève de mon grand-père, chauffeur routier très engagé à gauche et connu pour faire le coup de poing afin de défendre ses convictions. Mais, en pleine manifestation, le cortège se mit soudain à courir. Une meute cagoulée était en train de tout saccager (vitrines, pare-brise) et de tabasser quiconque se trouvait sur le passage. Je me souviendrai longtemps de cette jeune fille traînée par les cheveux puis frappée à terre. Je découvris la férocité d'une certaine gauche prête à se retourner contre d'autres militants jugés pas assez vindicatifs. Je résolus de ne plus me rendre à une quelconque manifestation et, aujourd'hui encore, le dégoût ressenti ce jour m'empêche de prendre part à un mouvement social.

La Sorbonne et le grand virage

En 2008 et 2009, la «loi Pécresse» sur l'université a fait grand bruit. Comme aujourd'hui, la - légitime - question de l'autonomie des facs divisait le monde étudiant. Comme Michel Onfray aujourd'hui, j'étais favorable à cette sélection en tant que socialiste. J'estimais également qu'il fallait mettre fin aux écoles privées où - en échange de plusieurs milliers d'euros - il était tour à tour possible aux enfants de bonnes familles d'intégrer une école de communication ou de commerce garantissant un avenir radieux, au détriment de ces millions de jeunes contraints d'aller à l'université sans but précis. Je suis vite tombé en désaccord avec mes anciens camarades.

Je n'ai plus jamais voté à gauche de ma vie.

Au fil des jours, la manifestation prit de l'ampleur et la Sorbonne se trouva bloquée de longues semaines. Je reconnus plusieurs visages parmi cette meute qui bloquait les portes de l'université. Tous habitaient Paris. Une fac bloquée, pour eux, ce n'était pas grave. Ils vivaient à vingt minutes de la fac. Une année perdue, ce n'était rien non plus. Papa et maman allaient vite pourvoir aux besoins de l'enfant agité. Et moi, alors que je venais de supporter plusieurs heures de trajet, je me trouvais empêché d'accéder ne serait-ce qu'à la bibliothèque pour travailler sur mon mémoire. Je n'avais pas les moyens de m'offrir une école de journalisme, ni même de payer le prix de l'inscription au concours. J'avais donc choisi de faire un Master de lettres et de concrétiser mon rêve: travailler toute une année sur Victor Hugo. Ces gens l'ont gâché.

Par provocation, j'ai soutenu les militants de l'UNI qui tractaient contre les blocages. Leur veulerie les empêchait cependant de trop approcher ces manifestants. J'opérais un grand chambardement idéologique dans mon esprit. Je prenais conscience que cette gauche, sociale et soucieuse de méritocratie, n'existait que dans mes rêves juvéniles. Bref, je suis devenu adulte. J'ai décroché mon drapeau du Che. Je n'ai plus jamais voté à gauche de ma vie. Lorsque j'entends l'inénarrable François Ruffin proclamer qu'une année de perdue, «ce n'est pas grave» car il y a toujours «de la casse dans une lutte», j'enrage toujours autant. Lui n'a pas de trajet en RER à faire, ni de jobs étudiants à trouver, ni d'examens à passer. C'est précisément cette attitude qui explique la fracture entre la véritable classe moyenne et les élites socialisantes qui fantasment sur un peuple qui n'existe pas. Aujourd'hui encore, peut-être qu'un étudiant tombera dans les filets de ces diseurs de bonne aventure qui cherchent à former de jeunes révolutionnaires. Plus nombreux seront les jeunes courageux et méritants qui seront empêchés de s'instruire par une bande d'idéalistes qui bloquent, cassent et violentent pour soulager leur névrose. Au XIXe siècle, Victor Hugo souhaitait ouvrir des écoles pour fermer les prisons. Au XXIe siècle, l'école est devenue une prison.

« Comment le blocage de l'université m'a dégoûté de l'extrême-gauche »

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11 commentaires
  • mamyblues

    le

    Il n'y a que ça qui vous dégoute ? vous avez de la chance ouvrez les yeux

  • Elad

    le

    Le problème c'est que le blocage, qui n'est pas acceptable, voile complètement le fond du sujet : L'état cherche à faire des coupes dans le budgets des études supérieures alors même que l'une des causes principales du chômage, c'est le manque de formation des chômeurs en France.

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