Momo, le coq un peu trop matinal, au cœur d’un conflit de voisinage

Le gallinacé Maurice, dit « Momo », chante tous les matins à l’aube sur l’île d’Oléron. Des cocoricos qui exaspèrent les voisins de ses propriétaires. Un huissier est venu, des avocats sont saisis, le village est en émoi.

 Depuis juillet 2017, le coq réveille les propriétaires de la maison voisine, quand ceux-ci viennent passer leurs vacances dans leur résidence secondaire.
Depuis juillet 2017, le coq réveille les propriétaires de la maison voisine, quand ceux-ci viennent passer leurs vacances dans leur résidence secondaire. LP/Fabien Paillot

    « Maurice, il est gentil avec tout le monde, c'est une bête attachante ». Corinne Fesseau enlace son coq de Marans. Installés à Saint-Pierre, sur l'île d'Oléron (Charente-Maritime), cette retraitée et son époux Jacky sont convoqués au tribunal d'instance de Rochefort ce jeudi 6 juin. Motif de cette assignation délivrée par un huissier : un trouble anormal du voisinage. Maurice le gallinacée, dit « Momo », aurait la fâcheuse tendance à chanter dans ce quartier pavillonnaire, aux aurores qui plus est.

    Les plaignants, un couple installé près de Limoges (Haute-Vienne) et qui possède ici une résidence secondaire pour se reposer de la ville, ne supporteraient plus la ritournelle dès le soleil levant. C'est que leur chambre et leur salon se situent quasiment contre l'enclos du coq, séparés seulement par un haut mur. « Ils ne sont pourtant jamais là, ils ne viennent que pendant les vacances », assure Corinne Fesseau, par ailleurs chanteuse au nom de « Coco » et grande admiratrice d'Édith Piaf.

    L'affaire a débuté en juillet 2017, date à laquelle le coq a commencé à donner de la voix. « On me l'a offert en 2015 en pensant que c'était une poule, raconte-t-elle. J'ai rapidement prévenu le voisinage et je m'en serais d'ailleurs séparée si j'avais eu alors plusieurs plaintes », raconte-t-elle.

    Un huissier mandaté pour enregistrer le chant du coq

    Mais seuls les voisins de la Haute-Vienne se sont émus du chant matinal. D'abord en s'en ouvrant au maire, puis en diligentant l'an dernier un huissier. « Il est venu le matin trois jours de suite et a enregistré des vidéos », se rappelle Corinne Fesseau. Extrait, tiré de son procès-verbal : « Durant plus d'un quart d'heure, le coq réitérera plusieurs fois son chant, entrecoupé de quelques pauses ».

    Cette démarche a semé le trouble sur la commune et aux alentours. Ce fut même un tollé sur l'île d'Oléron. Abasourdi, Christophe Sueur, le maire du village, ira jusqu'à signer un arrêté pour « préserver le caractère rural de Saint-Pierre-d'Oléron […] et à ce titre les modes de vie et d'existence liés à la vie à la campagne ». Corinne Fesseau a même reçu le soutien de la Fondation Brigitte Bardot. Me Julien Papineau, son avocat, envisageait déjà « le procès de l'île d'Oléron et des modes de vie. Ça n'a rien d'anormal, nous sommes en zone rurale et non urbaine. »

    Un temps, Corinne Fesseau a songé à se séparer de son coq. « Avec les voisins, on se serait peut-être fâché, mais on aurait fini par trouver un terrain d'entente… Mais ils ont toujours refusé la médiation ! » Elle assure désormais détenir « une bonne vingtaine » d'attestations d'autres riverains, toutes favorables à Maurice. « Il ne me dérange pas du tout. Et la justice a autre chose à faire que de traiter ces affaires-là », estime Nicolas Usseglio, un second voisin dont la chambre et celle de son fils se trouvent « à moins de 3 m » du coq. Les plaignants refusent, eux, de s'exprimer.

    Momo ne chante plus à cause du stress

    Leur avocat, Me Vincent Huberdeau, rappelle que ses clients sont arrivés en 2003 dans cette zone pavillonnaire et urbaine et donc, « avant le coq ». « Ils sont réveillés tous les matins, cela les perturbe beaucoup, détaille-t-il. Ils ont le sentiment de ne pas être entendus parce qu'ils ne sont pas du village. » Le couple réclame 1000 euros de dommages et intérêts, le remboursement des frais de procédure et une astreinte de 150 euros par jour au cas où le gallinacé continuerait à claironner au lever du jour.

    Maurice sera-t-il donc un jour l'objet d'une audience judiciaire ? Les avocats des deux parties tenteraient actuellement de privilégier le dialogue entre leurs clients afin de résoudre le conflit à l'amiable. Surtout, le coq se montrerait beaucoup plus discret depuis bientôt six mois. « Momo, on ne l'entend même plus, souffle Corinne Fesseau qui l'a fait examiner très officiellement par un vétérinaire. Il a perdu la voix, avec tout ce stress. »

    Grenouilles, cloches de vaches ou d'église…

    Les conflits de voisinage insolites, qui peuvent prêter à sourire, tournent parfois franchement vinaigre et aboutissent même dans certains cas devant les juges. En février dernier, par exemple, une mise en demeure a été adressée au curé doyen de la collégiale Saint-Martin de Colmar, dans le Haut-Rhin par une quinzaine de riverains mécontents qui estiment que les cloches de l'église sonnent trop fort le dimanche matin, les empêchant de dormir paisiblement le temps d'une grasse matinée.

    Cette démarche n'ayant pas abouti, c'est une plainte qui est déposée le 28 mars auprès du procureur de la République pour « atteinte à la santé d'autrui ». Pour l'instant, l'affaire est en attente d'une réponse du Parquet. Les dimanches matins restent bruyants, mais les cloches sonnent à un décibel moins élevé et sur une durée faiblement raccourcie, notent des témoins. Les riverains n'ont cependant pas renoncé à leur plainte, selon Me André Kormann.

    Un an auparavant, en décembre 2018, un couple de Grignols (Gironde) a, lui, été condamné… car les grenouilles de leur mare faisaient trop de bruit. Ces propriétaires d'une mare située sur le domaine de leur maison familiale ont eu des ennuis car, au printemps, grenouilles et crapauds viennent s'y ébattre dans des coassements sans aucune discrétion. Le conflit de voisinage a duré six ans, et Michel et Annie Pécheras ont dû au final rembourser tous les frais de justice engagés par leurs voisins. Ils ont été de surcroît condamnés à boucher leur mare sauf à payer 150 euros d'astreinte par jour.

    C'est un jugement assez semblable qui a été rendu en Suisse à Zurich en août 2015. La cour d'appel a obligé un éleveur à retirer les cloches du cou de ses 27 vaches laitières pendant la nuit. Les bêtes, qui restaient dehors après le coucher du soleil, continuaient à se déplacer et occasionnaient un bruit insupportable pour les voisins. Excédés par les tintements incessants qui les réveillaient, ils avaient porté plainte. L'affaire a duré quatre ans devant les tribunaux avant que les juges ne tranchent en faveur des plaignants, estimant que les cloches étaient inutiles à ces vaches qui vivaient dans un pré clôturé.