Censure de Wikipédia : à quoi joue la DCRI ?

En voulant supprimer un article contenant des informations jugées sensibles, le contre-espionnage en a décuplé l'audience.

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L'antenne civile de TDF, à gauche, surmontée d'un radar civil, ainsi que les deux pylônes durcis de l'armée, conçus pour résister au souffle d'une explosion nucléaire. Pierre-sur-Haute, 2008.
L'antenne civile de TDF, à gauche, surmontée d'un radar civil, ainsi que les deux pylônes durcis de l'armée, conçus pour résister au souffle d'une explosion nucléaire. Pierre-sur-Haute, 2008. © CC by-sa 3.0 & GNU FDL 1.2

Temps de lecture : 4 min

Mais quelle mouche a bien pu piquer la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) ? Les agents du très réputé contre-espionnage français ont estimé que les informations contenues dans un article francophone de Wikipédia mettaient en péril la sécurité nationale, même si elles étaient déjà publiées depuis des années, et ont convoqué un administrateur bénévole de Wikimedia en France pour le menacer de poursuites. Celui-ci a fini par céder et a supprimé le texte, tout en avertissant la communauté. Cet article dont la DCRI a exigé la suppression, concerne la station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute (à la frontière des départements de la Loire et du Puy-de-Dôme), gérée par l'armée de l'air. Résultat des courses : l'entrée a été supprimée, mais presque immédiatement remise en ligne par des contributeurs du site hors de France, qui l'ont complétée et traduite en plusieurs langues. L'article est même le plus lu de la version francophone de l'encyclopédie, avec plus de 75 000 visites en 24 heures. Des entrées concernant deux autres stations similaires ont même été créées. Gros échec...

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Le service de communication de l'armée de l'air, joint par Le Point.fr lundi matin, ne semblait pas habitué à évoquer cette station hertzienne et a demandé un délai pour nous répondre : visiblement, la DCRI attribue un caractère plus vital à ce bunker flanqué d'antennes que son actuel exploitant... Il faut dire que les trente hectares du terrain militaire, qui abrite aussi un émetteur civil de TDF, sont perdus au bout d'une route souvent impraticable, avec six mois de neige par an.

Des journalistes guidés par l'armée sur le site

Ces installations militaires, dont il existe trois autres copies conformes ailleurs en France, sont conçues pour maintenir les télécommunications de la chaîne de commandement en "environnement dégradé" : les antennes militaires et le bunker "peuvent résister au souffle d'une explosion nucléaire", explique le major Pierre Jeansac, commandant de la base lors du tournage en 2004 d'un reportage d'une télévision locale, Télévision Loire 7, qui a servi de source essentielle à l'article de Wikipédia. Fait surprenant : cette émission avait été réalisée avec la coopération de l'armée de l'air, et les journalistes avaient été guidés dans le bunker par le patron des lieux, visiblement très accueillant.

Peut-être l'article renfermait-il une information classifiée : impossible de le savoir, puisque personne ne souhaite communiquer sur le fond (et c'est compréhensible). Il n'en reste pas moins que le zèle de la DCRI est troublant, puisque sa mission première est de lutter "contre les activités inspirées, engagées ou soutenues par des puissances ou des organisations étrangères". Pour les menaces venant de l'intérieur et ciblant le secret de la défense nationale (une terminologie qui regroupe les différents échelons d'informations classifiées, dont le secret-défense), c'est plutôt le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui veille au grain, sous les ordres directs du Premier ministre. Surtout lorsqu'il s'agit d'installations du ministère de la Défense, qui n'aime pas que l'Intérieur (dont dépend la DCRI) se mêle si ouvertement de ses affaires...

La DCRI soufflée par l'effet Streisand

Interrogés par Le Point.fr, l'armée de l'air comme le SGDSN ont demandé du temps pour nous transmettre une éventuelle réponse, tout en renvoyant vers la DCRI. Mais, justement, le service de communication et de communication de la police (SICOP) a été dessaisi du dossier au profit du cabinet de Manuel Valls, qui a refusé lundi soir d'apporter plus d'éléments. Le sujet semble piquant... On suppose que les militaires n'apprécient que modérément cette bourde monumentale des policiers, qui ont réussi à focaliser une attention planétaire sur les - jusque-là - discrètes installations de Pierre-sur-Haute. "L'action de la DCRI et ses suites suscitent une attention médiatique nationale et internationale", ironise désormais la page Wikipédia.

C'est ce que l'on appelle sur Internet un "effet Streisand", depuis que la chanteuse avait essayé de faire interdire une photo aérienne de sa propriété, n'arrivant finalement qu'à attiser la curiosité et donc à décupler sa diffusion. Les pressions exercées par les agents du contre-espionnage sur un bénévole de Wikimedia ont suffi à exaspérer la communauté, qui fait désormais tout le nécessaire pour saper le travail des policiers français. De son côté, Jérémie Zimmermann, porte-parole du collectif citoyen La Quadrature du Net, dénonce un "abus de droit" et craint une "volonté de créer un précédent". Dommage que la DCRI se soit abaissée à de telles pratiques, elle qui essayait justement de se faire apprécier en aidant les entreprises françaises à mieux se protéger de l'espionnage, par exemple.

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Commentaires (11)

  • jmc

    A l'Armée de l'Air et au SGDN, on pourrait ajouter aussi la DPSD (Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense). La DCRI a fait une belle bourde d'ingérence dans des affaires qui ne la concernait pas plus que cela !

  • didierman

    On ne peut faire de procès a Wikipedia puisque les informations publiées sont disponibles dans divers reportages voir articles depuis des années(cf reportage).
    Le beau discours type " ces'pov'con'qui diffusent des informations hautement confidentielles, ils vont nous faire tuer blablabla" est risible...
    C'est l'approche de la DCRI qui a attiré l'attention d'un tres large public.

    La DCRI n'aura qu'a avoir une approche différente pour gérer ce genre de dossier.
    Il n'y a pas a chouiner...

  • exocet29

    Je pense qu'il faut laisser à l'armée le soin de s'occuper de ses propres affaires. Encore du zéle d'un pauvre fonctionnaire quine comprend rien au monde militaire et moins encore à la dissuasion nucléaire.