Formation professionnelle : un magot gaspillé

La France consacre plus de 30 milliards par an à la formation professionnelle pour des résultats décevants. Le temps d'une vraie réforme est-il enfin venu ?

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La formation professionnelle ne concerne pas suffisamment les moins qualifiés et les salariés des petites entreprises.
La formation professionnelle ne concerne pas suffisamment les moins qualifiés et les salariés des petites entreprises. © AFP

Temps de lecture : 5 min

On n'en parle pas. Ou si peu. Une réforme essentielle pour la compétitivité des entreprises et la lutte contre le chômage est depuis fin septembre sur la table des partenaires sociaux (patronat et syndicats). Cette réforme, c'est celle de la formation professionnelle. L'enjeu est considérable, y compris sur le plan financier. En France, la formation professionnelle aspire plus de 30 milliards d'euros par an (un point et demi de la richesse nationale annuelle tout de même) pour des résultats pour le moins médiocres.

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"Le système français de formation professionnelle est caractérisé par une grande complexité, propre à décourager ses utilisateurs, qu'il s'agisse des salariés, des employeurs ou des demandeurs d'emploi", écrivent l'économiste Gilbert Cette et l'avocat Jacques Barthelemy, dans leur note* rédigée pour l'Institut de l'entreprise, un think tank financé par les grands groupes français. Les deux auteurs dénoncent "une usine à gaz" faite de "termes abscons à connotation technocratique". Un diagnostic largement partagé.

Un marché "éclaté et pléthorique"

Qu'on en juge. Plus de 50 000 prestataires proposent des formations, selon un rapport du Sénat de 2007. Au point que Gilbert Cette et Jacques Barthelemy décrivent un "marché éclaté et pléthorique, où les professionnels de qualité côtoient des prestataires dont l'efficacité est carrément insuffisante", faute de "certifications efficaces" et "d'évaluations rigoureuses". Selon eux, cette jungle est née de l'obligation imposée aux entreprises de dépenser pour la formation, une spécificité du système français. De 0,5 % de leur masse salariale pour les entreprises de moins de 10 salariés, la facture passe à 1,05 % jusqu'à 19 salariés et 1,6 % au-delà.

Mais la tuyauterie par laquelle passent ces sommes colossales laisse tout autant pantois. Les entreprises, qui financent 40 % de l'enveloppe de la formation professionnelle (le reste étant payé par les collectivités territoriales à destination de l'apprentissage et des demandeurs d'emploi ; par l'État pour l'insertion des jeunes et la formation des fonctionnaires ; mais aussi par les particuliers eux-mêmes), ont le choix entre payer directement les formations pour leurs salariés ou reverser la somme dans un pot commun.

Syndicats et patronaux se servent au passage

Résultat, sur 13 milliards de financements apportés par les entreprises, 7 transitent par des structures répondant au doux nom d'organismes collecteurs agréés, les OPCA, gérés par les partenaires sociaux. Il s'agit de mutualiser les fonds pour qu'ils profitent aussi aux salariés des petites entreprises qui ne mettent pas souvent en oeuvre des plans de formation. Jusque-là, rien d'anormal.

Ce qui l'est moins, c'est qu'une partie de l'argent sert en fait à financer les organisations patronales et syndicales. Celles-ci récupèrent en effet 1,5 % du pactole transitant par les 48 OPCA pour leur propre financement. Gérer ces organismes paritaires leur permet aussi d'employer des permanents, et donc de les rémunérer sur les fonds de la formation professionnelle. "Les frais de gestion des OPCA sont considérables. Limités à 9,9 % de la collecte par un arrêté du 4 janvier 1996 (dont 4,9 % pour la gestion administrative et financière et 5 % pour les frais de collecte et d'information), ils représentent donc près de 700 millions d'euros que les OPCA peuvent dépenser pour leur gestion opérationnelle", notent les auteurs de la note en s'appuyant sur le rapport d'une commission d'enquête parlementaire du député Perruchot. Un rapport tellement explosif qu'il n'a jamais été officiellement publié (à lire en intégralité sur Le Point.fr). Enfin, ils soulignent qu'une autre partie de l'argent collecté alimente aussi les partenaires sociaux en finançant "des structures de formation pouvant dépendre d'organisations syndicales ou représentatives".

Un système qui favorise les salariés les mieux formés

Tout cela semblerait peut-être plus acceptable si la formation professionnelle produisait des résultats palpables. Or c'est loin d'être le cas. Le système favorise les gens déjà formés. "Les ingénieurs et cadres ont un taux d'accès moyen de 58,6 %, quand ce taux s'établit à 36 % pour les ouvriers. Ils ne sont que 12,3 % dans les entreprises de 10 à 19 salariés !" relevait l'ancien président du Sénat, l'UMP Génard Larcher, dans un rapport publié en 2011. Les chômeurs sont particulièrement mal lotis, alors que dans le même temps, des postes vacants ne trouvent pas preneurs faute de candidats formés.

Face à cet état de fait, le gouvernement a donc fait de la réforme de la formation professionnelle l'un de ses principaux objectifs de réforme structurelle. D'autant que François Hollande s'était engagé pendant sa campagne à ce que le financement de la formation soit "concentré sur les moins formés et les chômeurs".

Mais sa complexité en a déjà retardé le calendrier. Malgré la publication dès juillet d'une feuille de route de négociation pour les partenaires sociaux, les discussions n'ont toujours pas abouti. Mercredi, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CGPME) et le Medef ont étalé leur désaccord au grand jour. Le Medef entend obtenir la suppression de la cotisation de 1,6 % de la masse salariale imposée aux entreprises pour la remplacer par une contribution de 0,8 % ou de 0,4 % pour les établissements de moins de 10 salariés. Ce que refuse la CGPME, qui craint de voir disparaître la mutualisation des fonds de la formation professionnelle profitant aux plus petites d'entre elles. Le Premier ministre a fait savoir que le gouvernement légifèrerait au début de l'année prochaine si les partenaires étaient incapables de s'entendre avant fin décembre.

Compte de formation tout au long de la vie

La discussion porte notamment sur les modalités d'application du nouveau compte personnel de formation (CPF), créé par l'accord du 11 janvier sur le marché du travail. Ce compte instaure un droit à la formation pour tous et transférable au-delà du contrat de travail, contrairement à l'actuel droit individuel à la formation (DIF), et devra être doté en heures de formation dès son attribution, selon la volonté de François Hollande.

Pour Gilbert Cette et Jacques Barthelemy, une réforme ambitieuse ne pourra aboutir que si elle réforme le mode de financement des partenaires sociaux. Le sujet a été mis sur la table par le gouvernement. Mais il se heurte à la division de ses interlocuteurs.

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Commentaires (46)

  • marra

    C est gens là devraient rembourser ce qu ils doivent a la formation professionnel, se sont eux qui en ont le plus bénèficies, en deuxième se sont nos Maires, qui eux n ont pas peur de piocher dans ces caisses pour une soit disant formation de maire. Pendant ce temps là nous les ouvriers nous n y avons pas le droit, .

  • Petit malin

    C'est le trésor de guerre des syndicats, une importante source de financement et de placements de copains, le fromage de 50. 000 prestataires dont un bon 3/4 (soyons honnête je n'ai aucun chiffre... ) sont des fumistes aux dires de nombreux stagiaires étonnés du manque de compétences, de supports, de qualité etc. Effectivement comme l'écrit @shion41, l'AFPA et le GRETA semblent ce qui se fait de plus pertinent. Je viens d'en voir un exemple dans ma famille tout récemment.

    Mais cela va donc être dur à réformer ! Les résistances seront sévères.
    Première mesure : enlever aux "partenaires sociaux" la gestion de cette manne.
    Ensuite confier la gestion des formations longues, lourdes, à un organisme spécialisé (public ou... Privé !). Peut-être pourrait-on confier à pôle emploi, qui sous-traiterait, la gestion des formations courtes, urgentes, type adaptation à l'emploi.
    @Romany pose la question des travailleurs à très faible niveau scolaire, (voire illettrés). Pourquoi ne pas confier ces formations de "remise à niveau" à l'éducation nationale plutôt qu'à des "prestaires privés" ? A l'heure où il est question d'allonger les horaires des profs voilà une "mission" qui serait valorisante et utile à la population.
    Mais je doute que ce gouvernement s'attelle à un chantier si sensible...

  • Pseudolulu

    - Il faut revaloriser les Métiers Manuels- Encourager les jeunes à s'orienter vers les travaux manuels - Écoles des apprentis avec demi/ école, demi en Entreprise- C'est avec les petites et moyennes entreprises et les écoles d'apprentissage qu'il faut régler ce problème et non avec les syndicats qui ne voient dans la formation professionnelle qu'une source de revenus supplémentaires, le principal de leurs intérêts, à voir les résultats obtenus à ce jour.