La porte-parole du gouvernement veut enjoindre à Twitter de modérer les messages racistes, antisémites, homophobes ou misogynes. Une illusion.

La porte-parole du gouvernement veut enjoindre à Twitter de modérer les messages racistes, antisémites, homophobes ou misogynes. Une illusion.

L'Express

C'est un fantasme typiquement français, auquel s'adonnent régulièrement des ministres en mal de grandes causes: plier Internet en général et les réseaux sociaux en particulier à la bonne éducation hexagonale, au respect obligé de l'autre, à cet humanisme tiédasse soi-disant issu des Lumières dont ils s'entêtent à imaginer qu'il est universel et applicable à toute la planète, numérique compris. En bref, mettre le Web à l'heure du politiquement correct, cette spécialité bien de chez nous que le monde nous envie. Personne n'est dupe, ça ne fonctionne jamais, mais si ça ne fait pas de bien, ça n'est pas censé faire de mal et dans le meilleur des cas, l'initiative génère du buzz - n'est-ce pas là le principal?

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Dernière en date, Najat Vallaud-Belkacem, chargée des droits de la femme et de porter la parole gouvernementale, en délicatesse à Matignon et à l'Elysée où, dit-on, l'on est fatigué de camoufler ses sorties de route à répétition. La ministre s'est piquée de "prévenir la prolifération des messages de haine" sur Twitter, "faisant allusion, nous précise la dépêche AFP, à une série de hashtags homophobes, racistes ou antisémites" qui y auraient fleuri ces dernières semaines. Elle va, pour ce faire, convoquer une réunion dès le 7 janvier - dont on ne sait encore qui en sera, et notamment si les patrons de Twitter ont répondu à l'invitation. Qu'importe: encore une fois, il n'est pas question d'efficacité mais de communication. A destination de qui? Des associations de lutte contre les discriminations... qui, elles, ont déjà été sollicitées.

Naturellement, lutter contre l'insulte généralisée et la bêtise de masse, qu'elles visent les Noirs, les juifs, les musulmans, les homosexuels, les femmes, les acteurs exilés ou les Premières dames, est un objectif honorable - et ça n'est pas à L'Express, où nous sommes particulièrement attentifs à ce que nos espaces de débat ne soient pas dévoyés par les légions des imbéciles, que nous dirons le contraire. Encore faut-il avoir une chance d'aboutir.

Ce n'est pas la première fois que la France s'attaque aux dérapages d'Internet - ou plutôt, pour être précis, aux dérapages de certains professionnels ou utilisateurs d'Internet. On se souviendra par exemple de la campagne juridique, et médiatique, menée par la Licra contre Yahoo! pour empêcher le portail américain de référencer des sites d'enchères d'objets nazis. Beaucoup de bruit, d'articles, d'indignation pour un résultat aussi insignifiant qu'illusoire: en gros, l'interdiction faite à la seule version française de Yahoo! de mentionner ces sites et l'obligation de prévenir les internautes intéressés que c'est moche et illégal d'acheter des croix gammées. Inutile d'ajouter que les dits internautes, quand ils sont vraiment intéressés, s'en fichent allègrement et savent très bien passer outre.

Dire des gros mots, c'est mal. Diffamer, c'est mal. S'en prendre aux juifs, aux gays, aux musulmans, aux femmes, c'est mal. Appeler à la violence, au terrorisme, c'est mal. OK. Convoquer les patrons de Twitter pour le leur rappeler rendra-t-il les twittos plus intelligents? Leur enjoindre de poser des filtres qui, au pire, ne filtreront rien du tout, au mieux déporteront le problème, rendra-t-il sa pureté morale à Internet? Najat Vallaud-Belkacem semble le croire. Mais n'est-ce pas la même ministre qui est persuadée qu'en punissant les michetons, elle mettra fin à la prostitution?

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