Des policiers sur le quai près du Thalys dans lequel un homme lourdement armé a ouvert le feu à Arras, le 21 août 2015

Des policiers sur le quai près du Thalys dans lequel un homme lourdement armé a ouvert le feu à Arras, le 21 août 2015

afp.com/PHILIPPE HUGUEN

Bertrand Monnet est professeur titulaire de la Chaire Management des risques criminels à l'Edhec. Il travaille depuis une dizaine d'années sur les risques en entreprise liés au crime organisé et au terrorisme. Il analyse pour L'Express les conséquences sécuritaires mais aussi économiques que la fusillade du Thalys va avoir pour la SNCF et le réseau ferré français.

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Deux Américains ont maîtrisé un Marocain qui semblait sur le point de décharger son fusil automatique dans le wagon d'un train Thalys, vendredi 21 août. Quelles conséquences cette attaque va-t-elle avoir sur la SNCF?

Je pense qu'il va y avoir un avant et un après 21-août pour la SNCF. Ce type d'événement était pressenti par la communauté de chercheurs autour de la sûreté, qui cible la protection contre la malveillance. Dans l'aérien, les mesures de sûreté n'ont cessé de s'accroître depuis le 11 septembre - qu'il s'agisse du fret ou des passagers. Les couteaux n'étaient plus autorisés, puis les liquides... Les normes se sont adaptées aux nouvelles formes de danger. Dans le transport ferroviaire, il n'y a eu aucun évolution. On a l'impression qu'il vivait sur une autre planète et se pensait protégé.

Le réseau ferré est-il particulièrement en danger?

Les gares et les trains sont des cibles idéales pour les terroristes. On le voit bien avec l'attentat du RER B en 1995. Quelques mois plus tard, Khaled Kelkal a voulu faire dérailler un TGV en posant une bombe sur des rails. Et souvenons-nous des terribles attentats de Madrid, en 2004 (21 morts).

Mais à chaque fois, il s'agissait de forme d'attentat à l'explosif ou à l'organisation assez lourde. Les renseignements pouvaient donc tenter de détecter ce type de structure lourde. Là, on peut supposer qu'on est face à une forme de terrorisme low-cost, sans même parler de "loup solitaire". Une forme de terrorisme qui semble se rapprocher de ce qu'on a vu en France avec Mohamed Merah ou les frères Kouachi, ou encore en Belgique avec Mehdi Nemmouche. L'objectif: mitrailler autant de personnes qu'il le pouvait dans le wagon. Et c'est malheureusement très simple et peu cher de se procurer une kalachnikov aujourd'hui pour ces gens-là.

Ce type de procédé est très dur à déceler en amont et il n'existe actuellement aucun détecteur d'armes dans les gares. La DGSI parvient à empêcher certaines actions terroristes mais on n'arrive pas à arrêter un type qui décapite son patron par exemple.

Quelles mesures faut-il mettre en place?

Les mesures efficaces pour protéger un moyen de transport sont celles qui sont en place dans les aéroports. Mais imaginons les conditions dans lesquelles il faudrait alors voyager! Les fils d'attente aux portiques, les délais allongés! C'est un défi pour la sécurité mais c'est aussi un défi économique. La SNCF vend du gain de temps et de la simplicité d'utilisation. Si l'entreprise décide de relever le défi sécuritaire, elle va devoir changer de modèle économique.

D'un côté, elle va subir une baisse de son chiffre d'affaires car les gens vont se détourner d'un mode de transport qui aura moins d'atouts, de l'autre elle va voir ses coûts dus à la sécurité grimper en flèche, avec des répercussions sur le prix du billet du voyageur. Cela peut créer un cataclysme économique.

Dans ces conditions, peut-on mettre en place ces mesures?

La SNCF doit s'adapter à ces nouveaux dangers. Il faut qu'elle revoit intégralement son dispositif de sécurité et son offre. Ce n'est pas une question sécuritaire mais une question stratégique, car c'est un défi économique.

Fermer les frontières dans l'espace Schengen, comme l'exigent certains, ne peut suffire. C'est une proposition de très courte vue. Le terroriste se rabattra sur les trajets nationaux. Il ne faut pas avoir le réflexe des Américains après le 11 septembre: fermer les frontières alors que les terroristes venaient tous du sol américain.

En revanche, le dispositif de l'Eurostar nous donne un aperçu de ce qui nous attend si on déploie les mesures de sécurité sur tout le réseau ferré français.

De toute façon, très vite, l'entreprise va sentir une contrainte politique, voire législative, qui voudra imposer des mesures extrêmement lourdes.

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