"Le prétendu 'Tsunami' du numérique relève plus du fantasme de trader cocaïnomane que de quelque réalité tangible", assure Dominique Mazuet.

"Le prétendu 'Tsunami' du numérique relève plus du fantasme de trader cocaïnomane que de quelque réalité tangible", assure Dominique Mazuet.

L'Express

Dominique Mazuet, directeur de la librairie Tropiques dans le XIVe arrondissement, n'apprécie par que l'Institut National de Formation de la Librairie fasse découvrir le livre numérique à ses étudiants. Il considère cela comme un "abus de confiance" et un "détournement de fonds publics caractérisé", comme le rapporte le Canard Enchaîné du 12 septembre dernier. "C'est d'abord avec surprise, puis perplexité, et enfin indignation que j'ai découvert (par courriel publicitaire) que l'organisme de formation des futurs libraires (INFL), financé notoirement par la taxe d'apprentissage (versée par les libraires), prêtait la main à des provocations macabres telles que l'offre de former mes libraires: 'au numérique en librairie'", raconte Dominique Mazuet dans une lettre écrite au président du CNL.

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Sur le site du Comité de Défense des Métiers du Livre, qu'il anime, il ajoute: "S'il y a un point qui fait consensus parmi les défenseurs du livre, c'est bien l'urgence de restaurer la fréquentation des librairies. Alors ... comment imaginer, comment prétendre sérieusement que l'on va y parvenir en développant les ventes par Internet, ou pire encore les ventes de téléchargement de fichiers numériques?"

"Nous mentionnons le livre numérique pour permettre à nos élèves de connaître l'ennemi"

Ses propos n'ont pas manqué de heurter les responsables de l'INFL. "Sur 880h de formation, nous évoquons le livre numérique avec les apprentis pendant 3h!", assure Claude Naves, le directeur. "Mais ce libraire est particulièrement de mauvaise foi: je l'ai invité à l'INFL, il sait donc comment nous traitons le sujet du livre numérique, il cherche simplement de la place dans les médias."

"Si nous mentionnons le livre numérique, c'est pour permettre à nos élèves de connaître l'ennemi pour mieux le contrer", renchérit David Alliot, formateur. "Nous sommes dans une période de questionnements, la dématérialisation représente un risque pour les librairies et il faut bien en parler." Selon lui, il y aurait eu "un malentendu total" avec Dominique Mazuet. "Dans l'absolu, nous sommes d'accord avec lui sur les combats à mener. Je forme des libraires depuis 1996 et je sais que nous partageons tous la même vision du livre, papier, vendu dans des librairies réelles, avec services à la clientèle." David Alliot considère néanmoins que pour lutter, il est indispensable de se fédérer. "Ce n'est pas en nous attaquant par derrière qu'il trouvera des solutions."

Un Comptoir National de la Librarie Indépendante

Mais Dominique Mazuet a aussi des projets, comme celui de créer un Comptoir National de la Librairie Indépendante, fédérant tous les libraires pour leur permettre de proposer à leurs clients le service 'Demain chez son libraire', qui leur garantirait d'avoir en 24 heures un livre non disponible en magasin. Une solution qui devrait, selon lui, décourager les lecteurs "pressés" de se tourner vers des sites de vente en ligne. Le document détaillant ce projet a déjà été transmis au Ministère de la Culture et au CNL, et sera prochainement soumis à la commission des finances de l'Assemblée Nationale.

Amazon: la vraie menace?

Le libraire souhaite également se dresser contre le "bourrage de crâne dont le livre numérique fait l'objet". Contrairement aux prévisions de croissance annoncées, ce dernier n'aurait conquis que 6,4% du marché aux Etats-Unis et 1,8% en France selon le New-York Times. "Le prétendu 'Tsunami' du numérique relève plus du fantasme de trader cocaïnomane que de quelque réalité tangible", affirme-t-il. Il y a quelques jours, l'éditeur Yves Pagès exprimait également, sur Actualitté, son scepticisme à l'égard des e-books: "Je trouve excessif l'intérêt porté à cette évolution négligeable économiquement. Car il faut regarder la réalité en face: cela ne marche pas."

Une question reste cependant à poser: pourquoi lutter avec tant de virulence contre "l'I-bouc", si ce dernier est condamné à l'échec? Selon Dominique Mazuet, le livre numérique ne serait pas la véritable menace. "L'essentiel des difficultés des libraires est directement associé au développement des 'ventes directes' (sans médiation ni commerce humain)." Ce discours rappelle étrangement celui d'Aurélie Filippetti: "Nous avons un réseau formidable de librairies indépendantes en France qu'Amazon risque de tuer", a-t-elle récemment déclaré.

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