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Libération

René Dumont, mort après une longue vie d'utopie.

Candidat à la présidentielle en 1974, il a lancé l'écologie.
par Paul Quinio et Eric Aeschimann
publié le 19 juin 2001 à 1h17

C'était en 1986, lors de la campagne des élections législatives et régionales. Un homme fatigué, qui doit participer à un débat à Radio France, s'est allongé quelques instants sur une banquette, dans le hall d'accueil. Un gardien, gêné, vient le réveiller en lui demandant de ne pas rester là. «Parce que quelqu'un d'important doit arriver d'un instant à l'autre», explique le gardien. «Mais qui donc attendez-vous d'aussi important ?», demande le dormeur. «Monsieur René Dumont», lui explique le vigile. «Mais René Dumont, c'est moi !»

Cette anecdote, c'est Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'Economie solidaire, qui l'a rapportée hier après l'annonce du décès, à 97 ans, de René Dumont, premier candidat écologiste à l'élection présidentielle. C'était en 1974. Il avait déjà 70 ans. Dominique Voynet, la ministre de l'Environnement, s'est souvenue, elle, du pull-over rouge de René Dumont sur ce plateau télé, pendant la campagne de 1974. «Il tenait un verre d'eau à la main. Il avait déclaré: "Dans vingt ou trente ans, cette eau sera chère et il y aura des guerres à cause d'elle."»

René Dumont, né le 13 mars 1904 à Cambrai, dans le Nord, fils d'un professeur d'agriculture, a traversé le XXe siècle en sillonnant la planète. Et en multipliant les mises en garde. A l'âge de 10 ans, il découvre les horreurs d'une guerre qui tue les paysans. Ses convictions sont faites : «Pacifiste intégral.» Il défendra les campagnes en étant agronome. Professeur à l'Institut national agronomique, il voyage dans les années 30 en Indochine, en Algérie et au Maroc. Il en revient anticolonialiste convaincu. Après la guerre, il part étudier l'agriculture dans quasiment tous les pays du tiers-monde. En 1962, alors que les pays d'Afrique accèdent à peine à l'indépendance, il publie un best-seller prémonitoire : L'Afrique noire est mal partie. En 1966, en plein boom euphorique des Trente Glorieuses, il affirme, solitaire : «Nous allons tous à la famine.» Un catastrophisme répété de livre en livre, qui lui vaut de se brouiller avec bon nombre de dirigeants des pays du Sud tant son tiers-mondisme était sans complaisance.

En 1974, un an après avoir publié l'Utopie ou la mort, il se présente à l'élection présidentielle. Il vient de rencontrer les écologistes. Après avoir prôné les engrais chimiques, le remembrement et la culture intensive, il change radicalement de point de vue. Il dénonce le productivisme, parle de «développement durable» bien avant que l'expression ne devienne le concept de base de l'écologie politique. Il n'obtient que 1,32 %, un score inversement proportionnel au succès d'estime qui l'accompagne. René Dumont a alors donné le feu vert à l'écologie politique. Les écologistes, eux, ont perdu leur grand-père.

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