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«Gruge»

Duflot et la fraude à l'Urssaf : derrière la polémique, la politique

Mardi, jour du premier débat des primaires EE-LV, «le Canard enchaîné» a révélé une «gruge» au moment du licenciement des attachés parlementaires de l'ancien groupe écologiste. Pas si simple.
par Rachid Laïreche
publié le 1er octobre 2016 à 9h07
(mis à jour le 1er octobre 2016 à 19h34)

Le hasard n'existe pas : l'information tombe - mardi après-midi - quelques minutes avant le premier débat télévisé des candidats à la primaire écologiste. Un article du Canard Enchaîné met en cause Cécile Duflot pour sa gestion des licenciements des dix collaborateurs du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, après son éclatement au printemps dernier. Selon le journal, la députée, qui présidait le groupe, aurait convoqué les dix licenciés en entretien individuel pour leur proposer un «accord transactionnel» qui permet d'échapper aux «cotisations sociales sur les indemnités supplémentaires» et de «gruger l'Urssaf de plus de 50 000 euros sur un total de 118 500 euros». Comprendre : elle a inventé un conflit pour que les salariés touchent le jackpot. Certains ont touché leur solde de tout compte avec une rallonge d'environ 15 000 euros grâce à l'opération.

Autre accusation : Cécile Duflot aurait dispatché à sa manière l’enveloppe de 264 000 euros remise par l’Assemblée nationale afin d’indemniser les licenciés. Comprendre : ses soutiens se remplissent les poches et les supporters de François de Rugy, son ennemi, comptent leurs sous. Les accusations sont lourdes. Parmi les attachés parlementaires, ils sont deux à être mécontents : un garçon et une fille. Aujourd’hui, ils ont tous les deux retrouvé un poste au sein du groupe socialiste à l’Assemblée.

Mardi soir, quelques minutes avant le débat, Cécile Duflot a nié au micro de LCP. La candidate à la présidentielle a déclaré : «Nous avons vécu un moment difficile avec la dissolution du groupe, nous avons fait en sorte qu'ils soient licenciés dans les meilleures conditions pour eux. Et dans le respect de la loi puisque l'intégralité du processus a été supervisée par une avocate et par les services de l'Assemblée, qui ont la délégation pour gérer les aspects financiers.»

Comment s’est déroulé le licenciement ?

Le 19 mai, six députés écologistes «réformistes» quittent le groupe écolo après des mois de tension avec les députés anti-gouvernement. En le quittant, François de Rugy, Eric Alauzet, Christophe Cavard, François-Michel Lambert, Véronique Massonneau et Paul Molac entérinent de fait la disparition du groupe écologiste. Après ces départs, le groupe n’est plus composé que de neuf membres (dont Cécile Duflot), et il en faut 15 pour former un groupe. Les réformistes, eux, rejoignent le groupe des socialistes à l’Assemblée.

La majorité des dix salariés apprennent la nouvelle via les réseaux sociaux. C'est sur Twitter que les réformistes ont annoncé leur départ. Panique. «L'ambiance était mauvaise depuis des mois. Mais on aurait aimé l'apprendre de manière différente, après une discussion. Pas sur Twitter», lâche, dépité, un ancien salarié. Les attachés parlementaires demandent des comptes. Cécile Duflot cherche des solutions pour éviter «la mort du groupe» auprès du président de l'Assemblée, Claude Bartolone. En vain. Les dix salariés se retrouvent à la porte.

Un attaché parlementaire (proche de Duflot) raconte : «On a eu le droit à un licenciement économique mais ce n'était pas suffisant. Nous étions en colère : les raisons du licenciement et la manière ne passaient pas. Cécile n'a pas inventé de conflit, il était réel». Un ancien salarié qui roule pour les réformistes confirme. Après de nombreuses discussions et des menaces de «prud'hommes», Cécile Duflot convoquent tous les salariés les uns après les autres. Accompagnée d'une avocate (sans grande expérience), elle propose «un accord transactionnel» qui permet de calmer la douleur et gagner un peu plus d'argent. Un salarié nous raconte : «Cécile était mal. C'était compliqué pour elle de mettre les gens à la porte donc elle a tout fait pour simplifier et arranger les choses. Et surtout, elle avait une crainte : qu'un employé dépose plainte après son licenciement. Elle avait peur de se retrouver devant les prud'hommes alors qu'elle n'était pas la responsable. Cécile a toujours été contre la dissolution du groupe.»

Du côté des mécontents on conteste cette version sans grande virulence. Thibaut, le garçon mécontent,  au courant quelques jours auparavant du départ des réformateurs, explique : «Je ne sais pas si Duflot a fraudé l'Urssaf ou inventé un conflit. Je dis juste que le licenciement économique était logique et que la dissolution du groupe était tout sauf une surprise.» Selon la loi, un accord transactionnel permet d'éviter le versement de cotisation sociale, ce qui peut arranger financièrement le salarié comme son employeur, au détriment de l'Urssaf. A condition que l'on reconnaisse un désaccord entre les deux parties.

Reste un hic. Le texte est daté au 15 juillet alors que Cécile Duflot propose l'accord transactionnel au mois de juin. On a essayé de joindre l'avocate, en vain. Un proche du dossier nous explique : «Cette date, ce n'était pas pour frauder. C'était juste pour se laisser un peu de temps : il y avait beaucoup de détails à régler et on ne voulait faire pas les choses dans le speed.» Bon…

Les proches de Duflot ont-ils touché plus d’argent que les autres ?

Selon le Canard enchaîné, oui. Le journal écrit : «Ces indemnités, censées subvenir équitablement aux besoins de tous les salariés mis au chômage, sont distribuées à la tête du client». Sur les dix salariés, ils sont deux à se plaindre. Joint par Libération, Thibault explique : «La question que je me pose, c'est comment ils ont réalisé le calcul ?»

Du coup, on a posé la question. Et on a trouvé une réponse. «Tout le monde a le droit à son solde de tout compte et, pour les indemnités transactionnelles, c'est une péréquation basée sur le niveau de salaire, l'ancienneté, et les probabilités de retrouver un nouvel emploi», dit-on dans l'entourage de Cécile Duflot. Le dernier point est assez aléatoire. Les proches de la députée argumentent : «C'est logique, mais si ça peut vous rassurer, ceux qui ont eu le droit à un peu plus d'argent que les autres ne sont pas des proches de Cécile Duflot.» Une affirmation que l'on n'a pas pu vérifier.

Selon nos informations, le garçon mécontent, qui travaille aujourd’hui au groupe socialiste, a perçu ses indemnités de licenciement légales et son solde de tout compte, soit la somme totale de 3 700 euros. Et il a refusé la voie du protocole transactionnel (même si on lui a proposé 2 000 euros en plus). Un détail important : Thibault, qui touchait près de 4 000 euros par mois, travaillait dans le groupe uniquement depuis quatre mois.

En ce qui concerne Hassia (1), la fille mécontente, qui travaille également au groupe socialiste, c'est différent. Elle travaillait au 4/5e depuis la création du groupe en 2012. Elle a touché près de 12 000 euros (le montant de son solde de tout compte) et elle a accepté les indemnités transactionnelles. Un montant confidentiel qui ne peut pas être révélé. Mais depuis la polémique, après la parution de l'article, elle reste en retrait. C'est le garçon mécontent qui est en première ligne.

Le cri des mécontents de l'ancien groupe écologiste agace leur ancien collègue. Et pas que des proches de Cécile Duflot. Un ancien attaché parlementaire, qui roule pour les réformistes, nous confie en off : «L'ambiance était mauvaise entre les députés mais c'était différent entre nous, les salariés. On savait faire la part des choses et on a toujours été solidaires entre nous. Et aujourd'hui, au moment où la page se tourne, les deux mécontents parlent alors que tout s'est réglé en transparence et qu'ils ont trouvé un travail dans la foulée. Sur les dix salariés, on est 5 à être au chômage et pourtant on ne la ramène pas.»

Derrière la polémique, la politique ?

La réponse est «oui» pour Cécile Duflot. La rancœur est tenace entre les anciens amis devenus ennemis. Plus un échange entre Cécile Duflot et François de Rugy ou Barbara Pompili. «Les deux qui se plaignent ne sont pas dans le besoin, ils répondent aux ordres de leurs chefs», lâche un ancien salarié. Après la parution de l'article dans le Canard enchaîné, les écologistes «réformistes» ont publié un communiqué. Ils demandent des comptes. François De Rugy nous explique : «Ce n'est pas un coup politique de ma part, la dissolution [du groupe] a été douloureuse, et on ne va pas en rajouter. Au contraire, j'ai voulu aider Cécile, je lui ai dit par oral et par écrit, mais elle a toujours refusé. Aujourd'hui, nous sommes en droit de nous poser des questions sur le sort des salariés et l'état de la trésorerie. Ils devront rendre des comptes.» En effet, les députés écolos pro-gouvernement ont versé une partie de leur salaire sur le compte du groupe écolo jusqu'à leur départ. La cotisation variait entre 1 000 et 1 500 euros tous les mois.

De son côté, Cécile Duflot, qui est en pleine campagne dans la primaire EE-LV, aurait pu être éclaboussée. Ce n'est pas le cas. Ses concurrents à la primaire ont jeté un œil, posé quelques questions et surveillent le dossier de loin. L'un d'entre-deux nous confie : «On connaît nos anciens camarades et leurs méthodes.» Lorsqu'on a interrogé le garçon mécontent sur le timing de l'article, publié le jour du débat de la primaire, il a répondu : «Moi je n'y suis pour rien. A la base, il devait être publié la semaine d'avant…»

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