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La Cour des comptes charge le bilan de Hollande... et aide bien Macron

Dans leur audit remis aujourd'hui au Premier ministre, les magistrats de la rue Cambon rendent service au gouvernement pour justifier les économies drastiques qui se préparent.
par Lilian Alemagna
publié le 29 juin 2017 à 15h59
(mis à jour le 29 juin 2017 à 18h11)

Emmanuel Macron ne fera pas l'erreur de son prédécesseur : le chef de l'Etat ne va pas se gêner pour noircir le tableau financier du pays et rendre responsable l'équipe gouvernementale précédente des futures mauvaises nouvelles – équipe dont il a pourtant été membre jusqu'à fin août 2016… Pour charger l'héritage Hollande, l'exécutif va pouvoir s'appuyer sur «l'audit des finances publiques» de la Cour des comptes (à lire ici), commandé par le Premier ministre Edouard Philippe dès son arrivée à Matignon, et remis cet après-midi par son président, Didier Migaud. Les mots sont très durs : «errements», «biais de construction», des «textes financiers [le projet de loi de finances pour 2017 et le programme de stabilité 2017-2020 transmis à Bruxelles, ndlr] manifestement entachés d'insincérités»… Alarmiste, la Cour des comptes appelle le gouvernement à prendre «des mesures fortes de redressement» s'il compte tenir son engagement européen de retour au 3% des déficits publics. Cela veut dire trouver 4 à 5 milliards d'euros d'ici la fin de l'année ou 8 milliards si l'exécutif veut atteindre les 2,8% prévus par le précédent exécutif.

Que reproche la Cour des comptes au précédent gouvernement ?

D'avoir été bien trop optimiste dans ses prévisions. Pour les magistrats de la rue Cambon, les recettes, notamment les régularisations fiscales et le retour de certains avoirs à l'étranger, ont été «surestimée[s]» de 2 milliards et les dépenses «manifestement sous-évaluées», écrivent-ils en introduction de leur rapport. Plusieurs ministères sont visés : l'Agriculture pour cause de crises multiples, le Travail pour l'argent versé en fin de quinquennat pour la formation professionnelle et les emplois aidés destinés à faire baisser la courbe du chômage, la Défense et ses opérations extérieures et intérieures dues à la lutte contre le terrorisme ou encore l'Insertion et l'Egalité des chances (allocation adulte handicapé, prime d'activité). Par ailleurs, la recapitalisation d'Areva et l'indemnisation des actionnaires minoritaires pour un surcoût de 2,3 milliards sont pointées du doigt. «Au total, le risque net de dépassement sur les dépenses de l'Etat par rapport au Programme de stabilité peut être évalué à 5,9 milliards», écrit la Cour des comptes. Les magistrats mettent donc en garde sur la dette publique du pays qui «a continué d'augmenter en France (+0,7%), atteignant 96,3 points», alors qu'elle «baisse en proportion du PIB» dans les pays de la zone euro : «La France ne dispose toujours pas de marges budgétaires suffisantes pour faire face à un éventuel choc conjoncturel favorable», insistent-ils.

Dans un communiqué, Michel Sapin et Christian Eckert, respectivement ministre de l'Economie et secrétaire d'Etat du Budget de François Hollande, ont immédiatement répondu que «chaque année depuis 2014, les engagements européens de la France ont été tenus au prix d'efforts importants mais nécessaires». Les deux ex-ministres socialistes ajoutent que «ce même constat a été fait chacune de ces dernières années, au printemps – à savoir qu'un complément d'économies, d'ampleur mesurée de l'ordre de 4 à 5 milliards d'euros, est nécessaire à ce moment de l'exécution budgétaire», assurant avoir réalisé un effort similaire en 2014, 2015 et 2016. Et de préciser que les marges de manœuvre budgétaires existent : «Le risque de dépassement de 3,6 milliards d'euros identifié par la Cour pourra être couvert, comme cela a été fait au cours des trois dernières années, en mobilisant la réserve de précaution, portée en 2017 au niveau jamais atteint de 13,9 milliards.» «Il n'y a absolument rien de nouveau dans le rapport de la Cour, fait savoir Sapin à Libération. Il présente la situation de manière sentencieuse et sévère mais c'est la reprise de notes dont nous avions déjà connaissances. Si on compare avec les années précédentes, la situation est dans la même épure : huit milliards d'euros, c'est exactement le risque de dérapage pointé l'année dernière à la même année.»

Que proposent les magistrats ?

Des «mesures significatives de redressement à mettre en œuvre rapidement». Puisque l'exécutif a d'ores et déjà exclu toute loi de finances rectificatives cet été, la Cour recommande pour 2017 une «gestion rigoureuse […] dès le second semestre» avec «des annulations de crédits» pour «les programmes manifestement sous-budgétés». Pour 2018, elle réclame «un effort d'économies sans précédent». «Si l'effort en dépenses était équivalent à celui effectué entre 2011 et 2016, le déficit 2018 ne se réduirait pas mais serait seulement stabilisé au niveau atteint en 2017», assurent les magistrats. Et ces derniers de lister les difficultés pour «résoudre» l'équation budgétaire qui attend le gouvernement sur la prochaine loi de finances qui sera présentée à l'automne : masse salariale, dépenses de lutte contre le terrorisme, infrastructures de transport, soutien aux énergies renouvelables, augmentation des dépenses d'assurance maladie ou de retraites… De quoi tourner au casse-tête pour l'exécutif s'il veut à la fois tenir les engagements européens de la France et les promesses de campagne du candidat Macron.

Que va faire le gouvernement ?

D'abord dramatiser la situation. A peine les portes de la Cour des comptes fermées à la presse pour la présentation du rapport, Edouard Philippe a dénoncé, dans une déclaration à Matignon retransmise sur les chaînes info un «dérapage inacceptable». Une mise en scène confirmant la stratégie choisie par le nouvel exécutif : s'appuyer sur cet audit pour justifier les mesures budgétaires contraignantes à venir, voire le report de certaines promesses de campagne. Jeudi, le Premier ministre s'est ainsi engagé «à contenir le déficit à 3% dès cette année». «Nous ne le ferons pas en augmentant les impôts, a-t-il assuré, nous le ferons par des mesures d'économies», qu'il va «précise[r]» le 4 juillet devant les parlementaires à l'occasion de sa déclaration de politique générale. «Le gouvernement est déterminé à mettre un terme à ce genre de pratique», a-t-il ajouté, promettant un «budget sérieux, crédible, sur des bases sincères».

Il y a trois jours, son ministre de l'Economie et des Finances y était allé sur TF1 du couplet sur la «France […] droguée à la dépense publique, […] une prison qui va peser sur les générations futures». Sans les détailler non plus, le nouveau patron de Bercy avait évoqué des «propositions qui concerneront tous les secteurs» : «On ne va pas passer le rabot sur un ministère ou sur un autre», avait souligné Le Maire qui souhaite «que chacun fasse un effort pour qu'au bout du compte, nous retrouvions notre liberté et que nous respections nos engagements européens», insistant alors sur la «crédibilité de la France en Europe». «Il y a dans le budget des gels et des surgels décidés par le gouvernement précédent. Les dégels seront plus difficiles à obtenir dans le second semestre», a prévenu le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, mercredi. Jeudi, le président de la Cour des comptes, Didier Migaud, a dit ce qu'il pensait de cette pratique : «Vous pouvez toujours geler, surgeler mais à un moment donné, le congélateur est plein».

Pour l'instant, pas question dans leur prise de parole publique de revenir sur certains engagements de campagne emblématiques d'Emmanuel Macron. Philippe et Le Maire ont confirmé qu'il s'engageait à ne pas augmenter les impôts en 2017 et 2018. «L'objectif, il reste de baisser les impôts qui pèsent sur les ménages et sur les entreprises d'ici la fin du quinquennat», a-t-il répété sur TF1, garantissant au passage comme «première décision», la suppression de «toutes les charges sociales» pour les salariés. Une mesure financée par une hausse de la CSG y compris pour les retraités à partir de 1 200 euros mensuels. En revanche, la transformation du CICE en baisse de cotisations sociales pour les entreprises pourrait être reportée, selon les Echos, à 2019. En 2012, Jean-Marc Ayrault avait souhaité s'appuyer sur l'audit de la Cour des comptes pour accuser l'ère Sarkozy de l'état du pays. François Hollande avait alors refusé, et la majorité avait ensuite regretté, pendant cinq ans, de ne pas avoir assez insisté sur «l'état du pays que [leur] avait laissé Sarkozy». Alors qu'il a pourtant été secrétaire général adjoint de l'Elysée puis ministre de l'Economie (sans les Finances) de François Hollande, Macron, en laissant un Premier ministre et deux ministres de droite à Bercy faire le boulot ingrat de grands argentiers, fait oublier qu'il a pourtant participé à ce même gouvernement étrillé par la Cour des comptes.

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