La dynamique étatique inquiétante contre la liberté d’expression en France

La France ne se classe que 32ème dans le classement Reporters sans frontières pour la liberté d’expression. Force est de constater que le pays connaît de plus en plus de restrictions en la matière.

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La dynamique étatique inquiétante contre la liberté d’expression en France

Publié le 10 juin 2019
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Par Alexandre Massaux.

La France se targue d’être le pays des droits de l’Homme. Or l’un de ces droits les plus précieux est la liberté d’expression. Pour autant, la France ne se classe que 32ème dans le classement Reporters sans frontières. Car force est de constater que le pays connaît de plus en plus de restrictions en la matière.

Une liberté de la presse sous pression

La loi « anti-fake news », votée fin 2018, en période électorale, est critiquée par RSF qui voit dans le système de référé judicaire « un outil difficile à mettre en place et contre-productif ». En effet, cette loi attribue au juge un rôle de vérification de contenu qui n’est pas le sien et qui risque de lui donner un rôle politique. De plus, cette loi renforce le pouvoir du CSA « à l’encontre des médias contrôlés par un État étranger ou placés sous l’influence de cet État ».

Si cette disposition a été créée avec en tête la lutte contre les médias russes comme Russia Today et Sputnik News, elle peut donner lieu à des abus contre d’autres médias. Le directeur du journal Le Monde, Jérôme Fenoglio, critiquant les propositions de loi, indiquait très justement que : « La confiance, tout autant entre les journalistes et leurs lecteurs qu’entre les élus et leurs électeurs, se bâtit sur le temps long, sur chaque article et sur chaque jour de mandat. »

Les lois anti-fake news sont rares dans le monde. Actuellement, seuls quatre pays sont dotés d’un tel dispositif judiciaire : la France, l’Allemagne mais aussi la Russie et le Kenya. L’ironie étant que les deux premiers ont voté ces lois pour faire face à Moscou mais que le gouvernement et la Douma russe se sont inspirés des lois française et allemande pour faire ses propres lois.

Les mesures limitant la liberté d’expression : des outils renforçant paradoxalement les extrémistes

Outre la liberté de la presse, c’est la liberté d’expression des citoyens qui connaît des limites très diverses du fait de la loi. Depuis la loi du 29 juillet 1881 l’injure (article 29 alinéa 2) mais aussi l’incitation à la haine sont condamnées. Ce sont sur ces motifs que des demandes ont été faites à l’encontre de personnes tenant des propos extrémistes comme récemment Nick Conrad.

À cela s’ajoute l’action des autorités en matière de maintien de l’ordre public, qui n’est pas nouvelle, comme le montrait déjà en 2009 le cas d’Orelsan empêché de se produire à un festival sur demande de Ségolène Royal, alors présidente de la région Poitou-Charentes, ou celui de Dieudonné interdit de salles du fait d’une circulaire du ministre de l’Intérieur Manuel Valls.

Si la lutte contre l’extrémisme est en soi une noble cause, l’utilisation des pouvoirs publics pour censurer les discours et paroles des extrêmes est contre-productive. Dans les trois cas cités, la volonté de censure a abouti à un effet Streisand donnant de l’importance aux personnes censurées qui se sont alors posées en martyr. Cela n’a pas réduit leurs publics et l’a même parfois renforcé comme dans le cas de Dieudonné.

En effet, il est possible de contrôler l’expression mais pas l’opinion en elle-même restée présente dans l’esprit des personnes concernées et de leurs partisans et qui risque de devenir de plus en plus extrémiste. En outre, s’attaquer via la censure à des personnes qui se disent « anti-système » les confortent dans leur rhétorique.

Conformément aux idées de John Stuart Mill, la liberté d’expression est nécessaire pour assurer l’émergence de la vérité :

« Mais ce qu’il y a de particulièrement néfaste à imposer silence à l’expression d’une opinion, c’est que cela revient à voler l’humanité : tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion davantage encore que ses détenteurs. Si l’opinion est juste, on les prive de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent un bénéfice presque aussi considérable : une perception plus claire et une impression plus vive de la vérité que produit sa confrontation avec l’erreur. »

Le premier amendement de la constitution américaine qui interdit au Congrès de restreindre ce droit est une application de cette philosophie et vise à limiter les cas de censure. En effet, en intervenant dans la liberté d’expression à travers des moyens légaux on réduit et supprime le dialogue et radicalise les positions.

Une liberté d’expression de plus en plus encadrée sur le net

À cela s’ajoute une tendance de plus en plus forte du contrôle de la liberté d’expression sur le net et les réseaux sociaux. Les statistiques de Facebook et de Twitter montrent clairement une propension de la France à demander la suppression de contenus jugés non conformes à la loi.

En 2018, ce sont 667 suppressions de contenus Facebook et 243 réclamations twitter qui ont été faites par la France. À titre de comparaison, les Pays-Bas sont à 193 contenus Facebook et 6 réclamations sur twitter et la Pologne, pourtant connue pour ses dérives autoritaires est à 26 contenus Facebook et 6 sur twitter.

Il y a donc une dynamique de contrôle de l’activité sur les réseaux peu commune en Occident, qui couplée à la loi anti-fake news, renforce la responsabilité des plateformes numériques et le risque de leur auto-censure afin de se prémunir des sanctions potentielles.

Là encore les retombées sur la liberté d’expression en général seront néfastes. On peut déjà l’observer aux États-Unis où, sans contraintes légales, une plateforme comme Facebook supprime déjà un grand nombre de contenus politiques non limités aux publications des extrêmes. Si un cadre légal contraignant s’ajoute à cette politique interne du réseau social, il faut s’attendre à une amplification du phénomène.

Le point commun de toutes ces atteintes à la liberté d’expression est de lutter contre les extrémistes et les dérives. Néanmoins, ces limites de la liberté d’expression sont des portes ouvertes à une censure contre un plus grand nombre de personnes. De plus, censurer les propos offensants à travers la puissance publique peut se retourner contre le censeur si son adversaire arrive au pouvoir.

Toute personne peut être considérée comme un extrémiste par une autre personne ou un groupe ayant des idées différentes. L’humouriste anglais Rowan Atkinson (alias MrBean) qui a fait campagne pour la liberté d’expression, le résume bien :

« Le problème évident de l’interdiction des insultes est que trop de choses peuvent être interprétées comme telles. La critique est facilement interprétée comme une insulte. Le ridicule est facilement interprété comme une insulte. »

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  • ce qui n’empêche pas les ceusses qui nous gouvernent de critiquer d’autres dirigeants  » qui limite la liberté d’expression » dans leur pays respectif ;

  • Tout est en place pour basculer rapidement vers une dictature, comme en 40…tout le monde n’arrivera pas à se sauver.

  • « Le point commun de toutes ces atteintes à la liberté d’expression est de lutter contre les extrémistes et les dérives.  »
    Du moins, c’est le prétexte qui est affiché. En réalité, c’est tout ce qui est « politiquement incorrect » qui est visé.
    Avant l’arrivée d’internet, certaines informations étaient tout simplement passées sous silence. Que l’on songe, pour l’anecdote, à la maladie de Pompidou ou à la double vie de Mitterrand… Mais aussi, à une écriture de l’histoire et des actualités servant les intérêts politiques géostratégiques du moment…
    Nous étions sous Pravda -occidentale- , mais ne le savions pas.
    Un pouvoir, surtout quand il n’est pas reconnu pour ses bons services, a besoin de contrôler un narratif qui le justifie et occulte ses côtés sombres, pour demeurer.
    Il serait gênant, par exemple, que certains financements de la campagne de Macron en 2017 soient révélés…

  • L’auteur défend la liberté d’expression car elle serait pire que le Mal…

    Sauf que son emploi systématique du mot « extrémiste » démontrerait un intérêt utilitariste de la liberté d’expression, plutôt que la possibilité aux uns et aux autres d’échanger et comprendre la position des autres..

    Ce qui au final met un gros doute sur sa défense de la liberté d’expression, qu’il remettra en cause dés qu’il ne sera plus gagnant. Comme ce journaliste qui écarte de l’exprimable ce qui est « abject » pour lui, comme ce parti qui rejette les résultats d’un référendum perdu « parce qu’ils ont été trompés », comme cette candidate US qui revient sur sa parole d’accepter les résultats des votes parce qu’ils lui sont dus.

    • C’est peut-être aussi une façon de se protéger, dans un contexte de chasse aux sorcières et d’intimidation des déviants intellectuels. Il devient plus sûr de dénoncer les dérives autoritaires « parce qu’elles peuvent faire le lit des extrêmes » que parce qu’elles sont injustes, immorales et tyranniques: auquel cas l’on attaque frontalement le camp du Bien.

  • La France n’a JAMAIS été le pays des Droits de l’homme, c’est une odieuse usurpation. Ce sont les anglo-saxons qui les ont inventés et pratiqués. Ce n’est pas parce qu’on les a couchés sur le papier en 1789 que cela fait de la France la patrie. Surtout qu’ils furent aussitôt bafoués par les massacres de la Révolution!

    • @Virgile
      Bonsoir,
      Et malgré le fait d’avoir couché sur papier les Droits fondamentaux de l’Homme, nous avons changé de « République » 5 fois, avons eu deux empires, deux « retours du roi », et un régime gentiment qualifié d’ « autoritaire » au lieu de totalitaire, alors que les Etats-Unis en sont toujours à leur Bill of Rights et leur Constitution quasi inchangée depuis 1776 ; idem d’ailleurs pour le Royaume outre manche. Leurs régimes n’ont pas changé depuis leurs instaurations.

  • La Pologne pourtant connue pour ses dérives autoritaires? Il ne connait rien à la situation dans ce pays que je connais bien! Il n’y a pas de lois contre la liberté d’expression comme en France.

    • Les lois restreignant la liberté d’expression visent essentiellement à éviter ce que vous êtes en train de faire: remettre en question les fake news officielles…

  • Un pays socialoïde ne peut tolérer la moindre liberté d’expression qui revient forcément à critiquer la contrainte collectiviste. La contrainte collectiviste artificielle, fondée sur le mensonge politique permanent, ne peut supporter le débat. Le mensonge ne supporte pas d’être confronté à la vérité qui le dévoile pour ce qu’il est.

    En revanche, un pays libre ne peut ni ne doit accepter l’expression socialiste puisqu’elle tend à détruire la liberté, ce que beaucoup trop de libéraux, par trop idéalistes, ignorent malheureusement pour l’apprendre à leurs dépens, généralement quand il est trop tard. Il ne faut pas se plaindre une fois qu’on a perdu sa liberté alors qu’on aurait pu et dû agir avant de la perdre. Ainsi, l’idéalisme béni-oui-oui est une forme de trahison de son prochain. Il convient d’agir préventivement contre les socialismes, par mesure de salubrité publique, comme on agit préventivement contre n’importe quel criminel, en l’empêchant de nuire à nouveau.

    • Post collector !! La perte de liberté en France est considérable depuis l’arrivée de Pignouf 1er en 2012, renforcée par celle de Macron depuis 2017. Le plus terrifiant est que le peuple n’en n’est pas conscient car Macron procède par petites anicroches successives (aux libertés fondamentales) en utilisant au maximum le système du cliquet.

      • @Blabolo
        Bonjour,
        Il n’a pas fallu attendre Macron pour voir les libertés fondamentales s’étioler. Ces libertés ont été annihilées depuis au moins 4 décénies. L’exemple le plus ancien qui me vient est celui de l’impossibilité d’être payé en liquide, et donc l’obligation d’avoir un compte bancaire, jusqu’à l’actuelle « guerre contre le cash ». Ah oui, encore plus ancien est la génèse et le parcours du Code de la Route et de ses « à côtés » (Sécurité/Prévention Routière, taxes, lois, pas de permis puis permis à vie, puis permis à points ; pas de carte grise puis carte grise puis carte grise avec des taxes ; pas de vignettes puis vignettes temporaires indéfinilment, plus de vignette, puis retour à la vignette colorée, etc…)

        • J’ajouterai l’absence de limitation de vitesse avec seulement des vitesses limites dans les endroits réellement dangereux (virages etc…). L’époque ou la « police de la route » était en sommet de côte etc…pas derrière un radar !

    • Ben en france on a rien perdu puisqu’on jamais eu de liberté véritablement.

    • « un pays libre ne peut ni ne doit accepter l’expression socialiste puisqu’elle tend à détruire la liberté »

      Non, je trouve qu’il faut les laisser s’exprimer, ne serait-ce que pour le plaisir de les réfuter.

  • mais , le terreau était déjà là , une génération entière en France a été élevée selon l’idée, rarement contestée, que le pen ne devait pas avoir accès aux médias..

    et on ne peut pas non plus revenir sur je suis charly…
    d’un autre côté ce n’est pas propre à la France..

  • Pour moi, sanctionner l’Injure ou l’incitation à la haine ou encore l’appel à des actes violents ne sont pas des atteintes à la liberté d’expression.
    En effet, la première des libertés est celle de jouir de son corps et de sa vie.
    Or des insultes ou des appels à la violence sont clairement des atteintes à la première des libertés : celle de vivre !!!

    • Injures, insultes…Pouvez-vous en donner une définition précise et me dire quel est le seuil au-delà duquel la sanction doit tomber?

      « la première des libertés : celle de vivre !!! »
      ..en étant prêt à supprimer aux autres le droit d’exprimer un avis qui vous fâche?
      Vous devriez être content, on y va tout droit. 🙂

  • Cela avait commencé avec la loi Gayssot.Puis les associations communautaires, les féministes, les écolos et maintenant mes les réseaux sociaux avec les modérateurs effaceurs de commentaires qui ne leur plaisent pas.

    Ce qui fait qu’on finit par s’autocensurer pour éviter les ennuis.

  •  » Il n’y a pas de nos jours de mot plus galvaudé que celui de liberté;

    je ne crois pas à la liberté, car chacun la veut pour soi et la refuse aux autres  »

    Bismarck, discours au Reichtag, 15 Mars 1884

  • On dirait que Contrepoint redécouvre la lune. Ca fait 30 ou 40 ans que ça craint pour la « liberté d’expression » en France. Dans les années 80 la presse a commencé à faire assaut de « bienpensance » (zéropensance donc), ensuite il y eut l’incroyable Loi Gayssot, et de nos jours tous les journalistes « fouineurs » sont intimidés, placardisés, attaqués en justice, condamnés… Ne reste aujourd’hui que l’orchestre officiel.

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