Depuis quelques jours, Laurent Chatin a le masque. Plutôt que mettre son personnel au chômage partiel, comme l’ont fait tant d’autres chefs d’entreprise, le patron de Damiron, une société spécialisée dans la papeterie médicale, a voulu se rendre utile. «J’avais des machines, un savoir faire, il me semblait naturel d’en faire profiter le pays», soupire-t-il. Avec ses huit salariés, il a donc travaillé d’arrache-pied pendant quinze jours pour concevoir un masque de protection anti coronavirus qui réponde aux normes de l’Afnor. Et, disons-le, il est plutôt satisfait du résultat. Son produit, livrable en kit (le masque proprement dit et son attache, extrêmement facile à fixer) se présente comme un cône en papier de fort grammage, jetable et recyclable, (le virus ne survit que trois heures sur du papier, contre deux jours sur du tissu) parfaitement adaptable aux différentes formes des visages et suffisamment épais pour intercepter la plupart des postillons. Conscient des immenses besoins du pays, Laurent Chatin a adapté son appareil de production afin de pouvoir en livrer près de 15 millions par mois, au prix de 50 centimes pièce.

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Encore faudrait-il pour cela que les pouvoirs publics lui donnent leur feu vert ! Pour essayer de l’obtenir, notre homme a couru la semaine dernière apporter six prototypes à la Direction Générale de l’Armement (DGA). Bizarrement, c’est en effet cette administration qui a été chargée de tester l’efficacité des nouveaux modèles de masques médicaux. Problème : ses fonctionnaires sont presque aussi débordés que les infirmières des services de réanimation. Dès le lendemain, ils lui font donc parvenir un mail l’informant qu’ils ne testeront pas ses modèles parce qu’ils sont en papier, ce qui ne correspond pas à la logique du projet. «Je les ai rappelés tout de suite et devant mon insistance, ils ont fini par accepter de prendre ma demande en compte».

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Deux jours plus tard, le verdict tombe : masques refusés. Motif : ils ne collent pas assez bien au visage. Pour justifier leur décision, les laborantins de la DGA agrémentent leur réponse d’une photo d’un des cônes pendant lamentablement devant la bouche d’un mannequin. «Ils n’avaient pas compris que c’était un kit et qu’il fallait fixer l’attache !» se stupéfie Laurent Chatin. Après leur avoir fait gentiment remarquer leur bévue, il demande aux techniciens de bien vouloir refaire un test, sérieux celui-là. Mais il n’obtient aucune réponse.

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Le patron de Damiron ne se décourage pas pour autant. A force de faire le siège des ministères, il finit par tomber sur la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher en personne, qui lui conseille de s’adresser à l’Apave, le principal organisme privé de certification. Cela fera aussi bien l’affaire que la DGA, lui laisse-t-elle entendre. Ni une ni deux, il s’empresse de remplir les formulaires, suit les instructions à la lettre, et, deux jours plus tard, présente à l’Apave un dossier complet. Pour s’entendre de nouveau adresser un refus poli. Cette fois, c’est parce que son masque jetable et à usage unique n’est pas lavable qu’on refuse de le tester. «Cela n’entre pas dans notre process», lui fait-on valoir, un peu ennuyé.

Jeudi après midi, une semaine après avoir commencé son parcours du combattant, Laurent Chatin, jamais découragé, a adressé un email au directeur général de l’Apave. Qui – ô miracle - a accepté, semble-t-il, de débloquer la situation. Les masques du PDG de Damiron vont-ils finir par être testés ?

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