Le voyage avait mal commencé. A Annecy, lorsque j’ai pris place dans le TGV 6978 de 15 h 31, à destination de Paris, ce jeudi 24 août, j’ai tout de suite branché mon ordinateur, qui n’avait plus guère de batterie, pour terminer mon article sur la rentrée de Bruno Le Maire, le ministre des finances, dans un site industriel près d’Annecy. Mais une heure plus tard, écran noir. Plus de batterie car aucune prise électrique de la rame ne fonctionnait. Très énervé, dans l’impossibilité d’envoyer mon papier à la rédaction, j’interpelle un contrôleur : "désolé monsieur, c’est à cause de l’onduleur. Plus aucune prise ne marche dans le train", me répond-il.
Dépité, je rejoins ma place sans imaginer que cet incident annonçait le pire. Un peu plus tard, à 50 kilomètres de Mâcon, le train est stoppé en rase campagne. Le conducteur est censé faire "des vérifications techniques", puis la sanction tombe : la panne est sérieuse, on ne peut plus circuler. Une rame va venir nous secourir.
Roland Lescure, le ministre de l’industrie, a remué ciel et terre
Et puis ? Plus rien. L’attente. Plus aucune information. Les passagers saisis par une chaleur étouffante, dégoulinent de sueur. Une mère, inquiète pour ses enfants en bas âge, hausse le ton auprès du personnel. Une personne âgée, inquiète de ne plus avoir d’eau, en obtient de son voisin. Au bout d’une heure, le personnel de bord prend une décision stratégique : ouvrir les portes de la rame pour avoir un peu d’air. Immédiatement les passagers s’agglutinent autour des sorties, en laissant la priorité aux enfants en bas âge et aux plus vieux. Puis les plus hardis bravent l’interdit : sauter sur la voie, pour avoir un peu de fraîcheur. Très vite, ils sont suivis par les autres passagers et notamment par les équipes ministérielles.
Des passagers du train Annecy Paris. Crédit : Thierry Fabre, Challenges.
Car dans ce TGV, il y a un certain Roland Lescure, le ministre de l’Industrie, qui accompagnait son ministre de tutelle en Haute-Savoie, ainsi que des membres du cabinet de Bruno Le Maire. Chemise littéralement trempée, Roland Lescure, en marchant sur le ballast, multiplie les appels pour tenter de savoir, au bout de plus de deux heures, ce que les passagers du train 6978 vont devenir. Le ton est ferme. On devine des appels aux dirigeants de la SNCF, y compris au grand patron Jean-Pierre Farandou. Lescure est très vite rappelé, mais reçoit des informations imprécises ou contradictoires. "Vous devriez avoir un dépannage dans 20 minutes", lui dit-on. "Mais on m’a déjà dit ça il y a une demi-heure", répond-il, agacé.
D’ordinaire très calme et posé, ce grand échalas perd son flegme. "Ecoutez, je vous le dis très clairement : je veux une solution pour tous les voyageurs de ce train et pas seulement pour le ministre. Je serai le dernier à quitter ce train". On devine qu’on lui a proposé de l’exfiltrer. Ce qui aurait été très mal vécu par les voyageurs même si beaucoup n’ont pas réalisé qu’un pilier de Bercy est à bord. "Ah mais vous êtes ministre, s’étonne une passagère. Je ne vous connaissais pas. C’est normal, je rentre de Singapour".
Épisode épique ce soir dans le train Annecy-Paris. Panne, voyageurs qui suffoquent sortant sur les voies. Le ministre @RolandLescure, dans le train, qui alerte les dirigeants de la #sncf sans obtenir d’info…L’information est toujours un mot que la Sncf ne connaît pas pic.twitter.com/6Zk3lAsYcr
— Thierry Fabre (@FabreFaber) August 24, 2023
Devant la lenteur des réactions de l’entreprise publique, et surtout la cacophonie des messages, Roland Lescure a une autre idée : appeler Clément Beaune, le ministre des Transports. Il a la réputation d’être assez dirigiste avec la SNCF. Ça ne peut pas faire de mal.
La SNCF, un monstre bureaucratique
Est-ce le coup de fil à Beaune ou la soufflante auprès de Farandou ? Après 3 heures d’attente, les voyageurs sont finalement remorqués jusqu’à Mâcon dans cette rame-sauna. A l’arrivée, des secouristes prennent en charge les plus mal en point et le troupeau d’usagers est appelé à se diriger vers la voie 4. En fait, c’est la voie 2, mais on n'est plus à ça près… En rang d’oignons, nous attendons, sans informations.
Des TGV pour Paris s’arrêtent, bondés. On se dit que ce n’est pas pour nous. Certains décident d’y aller, ils voyageront debout. Mais aucune voix ne sort de ce foutu haut-parleur de la gare pour nous donner une information, un mot que la SNCF semble avoir banni de son vocabulaire. Enfin, le train sauveur finit par arriver pour nous ramener à Paris avec plus de 4 heures de retard. Le personnel SNCF, aidé par un conseiller presse très efficace de Bruno Le Maire, distribue eau et victuailles.
A Paris, sur le quai, j’aperçois le crâne chauve de Roland Lescure, qui est resté au milieu des rescapés du TGV 6078. J’ai envie de lui dire merci d’avoir secoué le mammouth de la SNCF. Mais je suis assez dépité de voir que cette entreprise publique n’a toujours pas soigné sa maladie bureaucratique, qui la ronge depuis des années. Avec sa difficulté à faire face aux pannes qui se multiplient ces derniers jours et sèment la pagaille. Et son incapacité à donner des informations à ses usagers, qui sont aussi des contribuables très sollicités, avec 17 milliards de subventions publiques à la SNCF en 2020 (plus d'une fois et demi le budget de la justice). A ce prix-là, on a droit d’être exigeants.
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