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L'inflation est-elle sous-estimée?

Le niveau de l'inflation estimé par les Français est souvent supérieur à celui mesuré par l'Insee. Plusieurs éléments permettent d'expliquer ce décalage pas si surprenant.

Du jamais vu depuis 2008. L'inflation a continué d'accélérer en France en janvier, à 2,9% sur un an, contre 2,8% en décembre, selon l'Insee. Un phénomène qui s'explique en grande partie par la forte hausse des prix de l'énergie (+19,7%). A contrario, l'augmentation des prix des services (+2%), des produits alimentaires (+1,5%) ou manufacturés (+0,6%) apparaît relativement modérée.

Au final, la France s'en tire globalement mieux que la plupart de ses principaux voisins comme l'Allemagne (+4,9% en janvier) ou l'Espagne (6%). Mais lorsqu'on interroge les Français, c'est un tout autre tableau qui se dessine. Les enquêtes réalisées montrent régulièrement que l'inflation ressentie par la population est d'un niveau bien plus élevé que celui mesuré par l'Insee. Sur l'année 2020 par exemple, les Français estimaient la hausse des prix à 2,5%, alors qu'elle n'était que de 0,5%, selon une étude menée par la Banque de France.

Divergence méthodologique

C'est ce décalage entre la statistique et la perception des Français qui instille le doute dans l'esprit de certains, persuadés que l'inflation calculée par l'Insee est sous-estimée. Les moyens mis en oeuvre par l'institut pour estimer la hausse des prix sont pourtant robustes: au total, les prix de 160.000 articles référencés dans 27.000 points de vente répartis sur tout le territoire sont régulièrement passés à la loupe. 500.000 prix sont également relevés sur Internet et, depuis 2020, les données des caisses de magasins sont aussi analysées.

Il faut cependant bien comprendre que la mesure de l'inflation que propose l'Insee résulte d'un choix méthodologique. Par exemple, l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) utilisé à l'échelle européenne pour faciliter les comparaisons entre pays a progressé de 3,3% en France, en janvier sur un an. De fait, l'indice de l'Insee diffère de l'IPCH, en particulier sur la prise en compte des dépenses de santé puisque le premier suit les prix de l'ensemble de la prestation de santé, y compris le montant à la charge de l'Assurance maladie, quand le second ne couvre que la dépense des ménages "nette" des remboursements de l'Assurance maladie.

Le casse-tête de la prise en compte du logement dans la mesure de l'inflation

Mais le débat sur la mesure de l'inflation porte surtout sur le logement. L'Insee considère en effet que ce poste ne représente que 6% des dépenses de consommation (14% si l'on prend en compte les charges comme l'eau, le gaz, électricité...). De quoi hérisser les locataires qui consacrent une part bien plus importante de leur budget au loyer.

Reste que le poids du loyer dans le panier de consommation de l'Insee n'a pas été déterminé au hasard. S'il peut sembler faible au premier abord, son niveau s'explique par le fait que près de 60% des Français sont propriétaires, et ne paient donc pas de loyer par définition. Or, l'institut de la statistique considère que l'achat d'un bien immobilier n'est pas un acte de consommation mais un investissement. Ajoutés à cela, les 2,5% de ménages logés gratuitement. Quant aux 40% de locataires restants, leur taux d'effort est estimé à 20%. D'où un poids moyen du logement estimé à 6%.

L'un des autres reproches souvent adressé à l'Insee est la prise en compte de l'"effet qualité" dans sa mesure de l'inflation des produits numériques, des services de communication ou des produits de santé notamment. Cela consiste à faire baisser le prix de certains biens pourtant plus chers qu'avant parce que leur qualité a augmenté. Prenons par exemple le cas d'un nouveau modèle d'ordinateur portable sorti par une marque en 2022. Bien que plus coûteux à l'achat que l'ancien modèle de cette même marque, l'Insee considérera que son prix réel a baissé car le nouvel ordinateur dispose de nombreuses fonctionnalités nouvelles par rapport à son prédécesseur: il offre une palette de service plus large qu'avant. Sa qualité a progressé davantage que son prix.

Une structure de consommation propre à chacun

Il faut aussi rappeler que l'inflation telle que mesurée par l'Insee se réfère à un panier de bien de consommation moyen qui ne reflète donc la réalité de... personne. Chaque consommateur adapte sa structure de consommation en fonction de ses habitudes et de son budget. Tous les Français n'ont donc pas le même ressenti de l'inflation: le fumeur qui utilise beaucoup sa voiture subira une hausse des prix bien plus marquée que celui qui ne fume pas et emprunte les transports en commun. L'Insee propose d'ailleurs un simulateur sur son site internet permettant à chacun de calculer son propre indice des prix en fonction de ses habitudes de consommation.

Pour expliquer l'écart entre l'inflation qu'il mesure et le ressenti des Français, l'Insee explique également que "les ménages accorderaient plus d'importance aux prix en hausse qu'aux prix en baisse ou stables, car ce sont les premiers qui peuvent constituer une menace pour l'équilibre de leur budget". C'est ainsi que les consommateurs ont été bien plus sensibles à la hausse des prix de l'essence (+13,7%) et dans une moindre mesure à celle des fruits frais (+4%) en 2021 qu'à la baisse des prix des téléphones portables (-3,1%) ou des équipements audiovisuels (-5,8%).

De la même manière, l'augmentation continue ces dernières années des dépenses dites "contraintes" (abonnements à Internet, aux mobiles, aux assurances...) grèvent le budget des ménages qui, une fois les factures réglées, s'aperçoivent qu'il leur reste moins pour consommer, ce qui renforce le ressenti d'une inflation élevé.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco