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La lettre musclée de Michel-Édouard Leclerc à Édouard Philippe

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- - Jean-Sébastien Evrard - AFP

Le patron des groupes Leclerc prévient le Premier ministre que le projet de loi sur le seuil de revente à perte risque de nuire au pouvoir d'achat des Français.

Michel-Edouard Leclerc fait le forcing auprès du Premier ministre. Le patron des centres Leclerc, qui voit d'un mauvais oeil la loi sur la remontée du seuil de revente à perte, s'est fendu d'une lettre à Edouard Philippe dans laquelle il ne mâche pas ses mots.

Selon Leclerc, cette loi va faire gonfler les prix et donc nuire au pouvoir d'achat des Français. "L'impact économique de cette mesure est conséquent: il a été estimé par vos propres services comme pouvant atteindre 5 milliards d'euros sur la période, écrit-il. Dans les magasins, c'est selon le positionnement prix, ce seront 2000 à 3000 articles qui devront augmenter de 1 à 10%."

Jusqu'ici tout le monde est d'accord puisque le but du gouvernement est de mettre fin à la guerre des prix que se livrent les enseignes afin de mieux rémunérer les agriculteurs.

Les actionnaires américains de Coca s'intéressent-ils aux agriculteurs français?

Sauf que c'est sur les conséquences d'une telle mesure que les deux parties ne sont pas d'accord. Le gouvernement espère que cette hausse des prix permettra de mieux rémunérer les producteurs et in fine les agriculteurs. Scénario auquel Michel-Edouard Leclerc ne croit pas du tout.

"A ce jour personne au gouvernement ni au Parlement n'a été en capacité de nous expliquer clairement par quel mécanisme la hausse du prix du Coca, du Nutella, de l'Evian, du Nescafé ou du Ricard allait ruisseler vers le monde paysan français." Au passage, le patron des centres Leclerc ironise sur le ruissellement , sujet de moquerie des adversaires du président Macron.

"Espérerez-vous sincèrement que les actionnaires américains, chinois, russes de ces multinationales [...] sont à ce point concernées par le niveau de vie des agriculteurs français pour décider que le surplus de cash généré par une éventuelle hausse des marges leur soit reversé? Soyons sérieux, ce ne sera pas le cas."

Mais pourquoi Michel-Edouard Leclerc est-il le distributeur le plus vent debout contre ce projet de loi? D'abord parce que c'est celui qui a fait du levier prix le principal argument de vente. D'ailleurs, c'est toujours lui qui jouit de la meilleure image/prix auprès des consommateurs car c'est celui qui pratique en moyenne les prix les plus bas. Cette loi le priverait donc de ses capacités de négociation (certains industriels et agriculteurs parlent plutôt de pression) pour obtenir les prix les plus bas.

L'étonnante mauvaise passe de Leclerc

Mais surtout Leclerc est dans une mauvaise passe depuis quelques mois. Pour la première fois depuis des années, sa part de marché recule en France depuis plusieurs mois. Une dégringolade qui s'est poursuivie en septembre avec un cinglant recul de 0,6 point de marché (ce qui est très important sur une évolution mensuelle) alors que dans le même temps ses grands rivaux Intermarché et Lidl gagnent tous les mois du terrain. Or pour Leclerc la relance pourrait passer par un gros coup de pression sur les prix, ce que la loi va lui interdire. 

Enfin, Leclerc voit aussi d'un mauvais oeil l'arrivée d'Amazon sur le territoire de l'alimentaire. Certes, l'américain est encore un nain sur ce marché comparé aux grandes chaînes d'hyper mais il grignote petit à petit des parts de marché surtout dans la capitale où il vient de lier un partenariat pour distribuer les produits Monoprix. Et c'est justement dans la capitale que Leclerc cherche à s'implanter avec son service de livraison et de drive piéton. 

Et gros problème pour Leclerc, la loi agriculture et alimentation ne concernera pas Amazon qui pourra donc être plus incisif sur les prix. "Amazon, facturant depuis le Luxembourg, ne sera pas concerné par la remontée du seuil de revente à perte. Dès lors, à quoi bon travailler avec Bercy en ce moment pour créer un contrat de filière entre distributeur et Etat, si en parallèle on redonne des avantages au e-commerce?"

Des questions qui risquent de rester lettre morte. La loi vient d'être votée au Parlement et entrera en application le 1er mars prochain. 

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco