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Présidentielle: peut-on vraiment gouverner par référendum comme le veut Marine Le Pen?

 L'entrée du Conseil constitutionnel, rue de Montpensier dans le Ier arrondissement de Paris.

L'entrée du Conseil constitutionnel, rue de Montpensier dans le Ier arrondissement de Paris. - BERTRAND GUAY © 2019 AFP

Marine Le Pen multiplie les annonces sur son recours si elle était élue, Emmanuel Macron dénonce des pratiques anti-constitutionnelles... Dans quels cas et comment le président de la République peut-il organiser un référendum?

Elle propose une "révolution référendaire", lui se montre plus réservé bien qu'il n'exclut pas le recours au référendum sur l'épineuse question des retraites. Pendant la campagne pour le second tour, c'est à qui apparaîtra le plus proche du peuple. Pendant qu'Emmanuel Macron fait des bains de foule, Marine Le Pen multiplie les annonces sur l'usage du référendum. Quitte à promettre des concertations impossibles constitutionnellement.

Lors d'une conférence de presse à Vernon dans l'Eure, ce mardi, la candidate du RN a promis de "vivifier" les institutions de la Vème République par le recours massif au référendum.

"Un référendum n'est pas dangereux, donner la parole au peuple n'est pas dangereux, ce qui est dangereux, c'est de ne pas lui donner", a souligné la candidate d'extrême droite en visant le président sortant.

Immigration, RIC...La candidate n'exclut aucun débat, même celui sur le rétablissement de la peine de mort. Il n'est "pas vrai qu'on peut réviser la Constitution de manière directe", lui a répondu Emmanuel Macron lors d'un déplacement à Mulhouse le même jour.

Mais peut-on vraiment gouverner par référendum? En principe oui, en pratique, c'est bien plus complexe.

· Soumettre une loi avec l'article 11 de la Constitution

En matière législative, le président peut soumettre l'approbation d'une loi au peuple en invoquant l'article 11 de la Constitution. Le champ d'initiative est toutefois restreint.

"Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions", dit l'article.

Le champ d'initiative est toutefois restreint. Comme le texte l'indique, le chef de l'Etat ne peut soumettre que les lois portant sur les questions d'organisation des pouvoirs publics et les réformes portant sur les politiques sociale, économique et environnementale.

Les lois portant sur les politiques fiscale, pénale, sociétale et migratoire ne peuvent donc pas être soumises à référendum. Ainsi, lorsqu'en 2013 des politiques de droite demandaient un référendum sur le mariage pour tous, la manoeuvre était en réalité constitutionnellement impossible.

Pourquoi cette restriction sur les questions sociétales? "Parce qu’elles ont toujours été considérées comme plus sensibles", rappelait au moment de la loi sur le mariage pour tous Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à Sciences Po Bordeaux, cité par Le JDD.

Quand Emmanuel Macron évoque la possibilité d'avoir recours au référendum pour la réforme des retraites, il se réfère à cet article 11. S'il le fait, les Français devront répondre à une question de ce type: "Etes-vous pour ou contre ce projet de réforme des retraites?"

Ils devront en effet approuver ou désapprouver le projet de loi socio-économique dans son ensemble, mais ils ne pourront s'exprimer sur les éléments de ce projet. La question ne pourra donc pas porter sur l'âge du départ à la retraite par exemple.

Sur l'immigration, Marine Le Pen veut inscrire le principe de "priorité nationale" dans la Constitution en passant directement par les Français. Pour faire cette modification constitutionnelle, elle ne pourra pas utiliser l'article 11, mais l'article 89. Et elle devra passer par plusieurs étapes avant d'avoir l'avis des Français.

· Réviser la Constitution avec l'article 89

Lorsque l'on veut toucher à la Constitution, le président de la République ou un parlementaire peut demander un référendum en invoquant l'article 89.

En matière constitutionnelle, il n'y a pas de limite de sujets, à la différence du législatif. En revanche, il faut respecter scrupuleusement et avec patience deux étapes: l'adoption obligatoire par l'Assemblée et le Sénat du texte "à la virgule près", insiste auprès de BFMTV.com le constitutionnaliste et professeur de droit public à l'université de Lille, Jean-Philippe Derosier, et la ratification.

L’article 89 présente la caractéristique de requérir l’existence d’un consensus au sein de l’exécutif et l’accord des deux assemblées. L’opposition du Président de la République, du Premier ministre ou de l’une des deux assemblées suffirait, en effet, à empêcher la révision d’aboutir.

Cette dernière peut se faire de deux façons. Soit en réunissant les deux chambres en congrès et en obtenant son approbation (pour cela, il faut que le texte obtienne au moins la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés). Soit par référendum. Et dans ce cas, c'est la base du texte adopté par les deux chambres qui est soumis au vote des citoyens. Par exemple avec comme question: "Etes-vous d'accord ou non avec ce texte?".

C'est en suivant ce fastidieux processus qu'Emmanuel Macron a échoué à faire entrer par référendum en juillet 2021 la protection du climat et la biodiversité dans la Constitution, comme l'avait préconisé la Convention citoyenne pour le climat. Le Sénat et l'Assemblée ont en effet échoué, lors de la première étape, à se mettre d'accord sur le texte final de la CCC.

· Marine Le Pen, prête à violer le droit?

Toucher à la Constitution par référendum en ajoutant ou en retirant un élement, c'est ce que préconise Marine Le Pen lorsqu'elle veut changer les règles en matière d'immigration en faisant inscrire dans la Constitution le principe de "priorité nationale" par exemple.

Ou lorsqu'elle veut réviser le texte suprême pour rendre plus facile l’organisation de référendums sur tous les sujets et instaurer le fameux RIC, le référendum d’initiative citoyenne.

Constitutionnellement, la candidate du RN ne pourra faire ces modifications qu'en passant par l'article 89. Elle devra obtenir d'abord l'adoption du texte par les deux chambres avant de le faire ratifier par référendum.

"Il y a donc peu de chances que les changements qu'elle veut instaurer aboutissent, tel qu'elle l'envisage", nous explique Jean-Philippe Derosier.

Si elle le fait quand même, elle passerait en "coup de force", fait valoir le constitutionnaliste. Cela reviendrait à "violer le droit" et perpétrer "un coup d'État constitutionnel", déplore le professeur de droit, qui n'a pas hésité ce mardi, face au porte-parole du RN Julien Odoul sur LCP, à parler de pratiques "terroristes de démocrature".

Si Marine Le Pen est élue, sa volonté d'une révolution référendaire sur tous les sujets passera-t-elle malgré les limites imposées par le droit? Pour le constitutionnaliste, le risque existe.

Hortense de Montalivet