Salto appelle les pouvoirs publics à règlementer les télécommandes au nom de la « souveraineté culturelle »

Si le sujet peut à première vue faire sourire, la question de savoir quels boutons devraient avoir le droit de figurer sur nos télécommandes est prise très au sérieux par tous les acteurs impliqués. [RozenskiP/Shutterstock]

Le patron du service de streaming français Salto exhorte les pouvoirs publics à s’attaquer à l’« asymétrie concurrentielle folle » entre les grandes plateformes et les éditeurs nationaux, à commencer par la configuration des télécommandes qui font bien souvent apparaître un bouton Netflix ou Amazon Prime.

Si le sujet peut à première vue faire sourire, la question de savoir quels boutons devraient avoir le droit de figurer sur nos télécommandes est prise très au sérieux par tous les acteurs impliqués.

« S’il y a un bouton pour une plateforme américaine, il doit y avoir un bouton pour une plateforme française », résume Thomas Follin, directeur général de Salto, la plateforme de streaming française détenue par France Télévisions, TF1 et M6.

« On a perdu le contrôle de l’exposition de nos contenus, de nos services, de toutes les histoires que l’on raconte aux Français », précise-t-il à EURACTIV France, notant que son combat contre l’« asymétrie concurrentielle folle » entre les grandes plateformes et les éditeurs nationaux dépasse la seule question des télécommandes.

Pour autant, la place qu’occupe cet objet est loin d’être anecdotique. « L’économie de l’accès et de la découvrabilité […] est importante », expliquait lundi (24 janvier) Bruno Patino, président du directoire d’Arte France, devant les sénateurs de la commission d’enquête sur la concentration des médias en France.

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Comment exister dans « ces environnements numériques que nous ne maîtrisons pas pour éviter l’effacement technologique », s’interrogeait également Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, qui défend une visibilité renforcée pour les services publics sur les télécommandes.

« Aujourd’hui les téléviseurs et les télécommandes ne sont pas neutres », déplore M. Follin, qui appelle les régulateurs, français comme européens, à agir.

Contactée par EURACTIV, la plateforme américaine Netflix souligne que ce bouton fait l’objet de négociations commerciales et qu’il n’est pas exclusif.

Même son de cloche du côté de l’Alliance Française des Industries du Numérique (Afnum) qui ajoute que « ces touches apportent un avantage au consommateur et ne détournent pas des services hertziens ». « Il n’y a pas de sens économique ou pratique à localiser les télécommandes pour chaque marché régional ou national », précise l’organisation, qui représente plusieurs fabricants de téléviseurs, dont Samsung, à EURACTIV France.

« Il est tout à fait possible d’adapter les interfaces logicielles des téléviseurs, comme le font déjà les fabricants », ajoute-t-elle, notant que « des accords locaux avec des partenaires stratégiques nationaux se sont multipliés ces dernières années ».

« Mission flash »

Cette question sensible est d’ailleurs le sujet d’une « mission flash » menée par les députés autour de « la configuration des télécommandes de téléviseurs et des pages d’accueil des box afin de préserver la concurrence entre les acteurs ».

Si le rapport est attendu fin février, la députée socialiste et co-rapporteure de la mission, Michèle Victory, a indiqué à EURACTIV France qu’elle ne voyait pas « d’inquiètude majeure » sur le possible caractère anticoncurrentiel de ces boutons.

Elle a également précisé qu’il fallait anticiper l’évolution, voire la disparition, de la télécommande et qu’elle espérait que le débat qu’elle porte se poursuivra au niveau européen.

Le sujet est déjà plus ou moins sur la table à Bruxelles. La question d’ajouter les téléviseurs connectés à la liste des services des plateformes entrant dans le champ d’application du Digital Markets Act (DMA), provision défendue par les eurodéputés, devra être tranchée dans le cadre du trilogue en cours entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission.

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Un enjeu de « souveraineté culturelle »

Il en va de la « souveraineté culturelle » de la France, selon M. Follin. Il regrette que les pouvoirs publics « laissent s’installer un nouveau paradigme dans lequel tous les chemins d’accès concentrent vers les plateformes américaines », ce qui ne permet pas de garantir la diversité de l’offre ni la pluralité de l’information.

Au-delà du seul « chemin d’accès » à ces services, le patron de Salto regrette surtout que le catalogue offert par les plateformes offre très peu de contenus locaux.

Un décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (dit « décret SMAD ») de juin 2021, résultant d’une directive européenne, impose pourtant aux plateformes de consacrer au moins 20 % du chiffre d’affaires qu’elles réalisent en France au financement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes ou d’expression originale française — ce taux peut aller jusqu’à 25 % pour celles qui proposent des films moins de 12 mois après leur sortie en salles.

Le montant total attendu de ces contributions devrait représenter « une fourchette de 250 à 300 millions d’euros », notait le CSA, devenu Arcom, en décembre dernier.

« Combien est-ce que cela représente dans ce qui est investi au global par ces grandes plateformes ? C’est epsilonesque », réplique M. Follin. À titre d’exemple, Netflix tablait sur 17 milliards de dollars, soit 15 milliards d’euros pour l’année 2021.

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