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Acquis menacés

Javier Milei, un président qui veut défaire les droits des femmes en Argentine

Le nouveau président argentin a fait campagne sur un programme de restrictions de nombreux droits humains, en particulier ceux des femmes. Javier Milei a notamment promis d'abroger la loi légalisant l'avortement et de supprimer le ministère des Femmes. Son élection suscite une vive inquiétude dans la société argentine, qui a enregistré de nombreuses avancées dans ce domaine au cours des dernières années.

Javier Milei salue ses partisans lors de son discours de victoire après avoir remporté le second tour de l'élection présidentielle, à Buenos Aires, en Argentine, le 19 novembre 2023.
Javier Milei salue ses partisans lors de son discours de victoire après avoir remporté le second tour de l'élection présidentielle, à Buenos Aires, en Argentine, le 19 novembre 2023. © Natacha Pisarenko, AP
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"Muy preocupada" ("très inquiète", en français). Ce sont les mots de désarroi répétés par la militante féministe Victoria Tesoriero après l’élection de Javier Milei, dimanche, à la tête de l’Argentine. "Nous sommes toutes très préoccupées par le contexte et la possibilité que Milei mette en œuvre tout ce qu'il a promis pendant sa campagne."

Abrogation de l’IVG, suppression du ministère des Femmes et des cours d’éducation sexuelle... Les promesses du nouveau président argentin visant à restreindre les droits des femmes font craindre un recul des acquis dans ce pays fer de lance du féminisme dans la région. Arrivé sur la scène politique argentine il y a seulement deux ans, Javier Milei s’est engagé à bousculer le statu quo, brandissant une tronçonneuse devant ses partisans pour symboliser ses coupes à venir des dépenses de l'État. Celui qui crie "Vive la liberté, bordel !", consacre une partie de son programme à l'amputation des droits des Argentines.

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"De nombreuses camarades reçoivent des menaces de mort, certaines directement à leur domicile", témoigne Victoria Tesoriero, donnant l’exemple de messages d’intimidation reçus par des responsables politiques qui se sont prononcées contre Javier Milei. "Ces menaces contiennent l'image d'une Falcon. Dans l’histoire de l’Argentine, cette voiture verte est le symbole des enlèvements de la dernière dictature militaire [1976-1983, NDLR], responsable de la disparition de 30 000 personnes."

Certains partisans de Javier Milei ont d’ailleurs suscité l'indignation en célébrant sa victoire à bord d'une Falcon verte. "Je pense que la victoire de Milei franchit la ligne rouge de tout accord démocratique possible. Et c'est ce qui nous inquiète", poursuit cette sociologue et membre de la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit.

L'éducation sexuelle dans le viseur

Pendant toute sa campagne, l'économiste de 53 ans a répété son opposition à l'avortement, légal depuis décembre 2020 en Argentine, qu'il désigne comme un "assassinat aggravé par ascendant". Il a notamment déclaré qu'il organiserait un référendum, et que si le "non" à l'avortement l'emportait, il "supprimerait la loi". Plusieurs milliers d'Argentines, les "foulards verts" – couleur devenue symbole de la lutte pour l'avortement –, avaient manifesté un mois avant son élection pour défendre ce droit.

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"L'une des raisons pour lesquelles Milei a été élu, c'est qu'il s'est présenté comme un candidat anticaste et antisystème qui respecte ses promesses de campagne", analyse Maricel Rodriguez Blanco, maîtresse de conférences en sociologie à l'Institut catholique de Paris et spécialiste de l’Argentine. "Il a tout intérêt à mener à bien ses promesses. On peut malheureusement s'attendre à un énorme recul en matière de droits humains, qui vont bien au-delà du droit à l'avortement."

En effet, l’IVG n’est pas seule dans le viseur de Javier Milei. Le nouveau président remet aussi en question l’éducation à la sexualité à l’école, la qualifiant d'"endoctrinement de l’idéologie de genre". Cette loi adoptée en 2006 ("ley de Educación Sexual Integral" (ESI), en espagnol) a pourtant fait ses preuves.

Selon une enquête du ministère des Tutelles publiques de Buenos Aires réalisée en 2020, 80 % des enfants et adolescents ayant signalé des abus sexuels l’ont fait après avoir suivi un cours d’ESI. "C’est ce type de loi qui permet de lutter contre les causes des violences faites aux femmes", souligne Maricel Rodriguez Blanco, "grâce à la remise en question des stéréotypes et des inégalités, par exemple".

Négation des inégalités salariales

Javier Milei aime jouer avec les stéréotypes. Interrogé sur la question du patriarcat en milieu professionnel, il a déclaré qu'il ne croyait pas aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes. "Si les femmes gagnaient moins que les hommes, les entreprises en seraient remplies, car les entreprises veulent gagner de l'argent !", avait-il affirmé sur la chaîne CNN en 2021. Une déclaration contraire aux données statistiques : au troisième trimestre 2022, les femmes gagnaient en moyenne 26,3 % de moins que les hommes, selon une enquête de l'Institut national de la statistique et des recensements (Indec).

La suppression du ministère des Femmes, des Genres et des Diversités, promise par Javier Milei, est une autre source d'inquiétude pour les féministes. Dans une vidéo devenue virale publiée en août, on le voit arracher des Post-it pour annoncer la suppression de huit ministères sur les 18 actuels, qu'il juge inutiles, une fois élu.

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"Je crois en l'égalité devant la loi", a-t-il déclaré à la chaîne LN+ lorsqu'on lui a demandé pourquoi il supprimerait ce ministère créé en 2019. "Il ne s'agit pas d'un droit, il s'agit de privilèges. Ce que vous devez garantir, c'est l'égalité devant la loi."

Cette "égalité devant la loi", Javier Milei entend l’appliquer aux féminicides : il a en effet proposé d’éliminer la circonstance aggravante prévue par le code pénal lorsque le genre est considéré comme le motif du crime. Dans ce pays où les autorités ont recensé en 2022 un féminicide toutes les 35 heures, cette notion est essentielle, selon les féministes. Dans 88 % des cas de féminicide enregistrés en 2022, la victime connaissait son meurtrier, selon les statistiques de l'Observatoire du féminicide de la Cour suprême. Dans 59 % des cas, il s'agissait de son partenaire ou ex-partenaire.

Le quartier général de campagne de Sergio Massa, ministre argentin de l'Économie et candidat malheureux à la présidentielle, après sa défaite face à Javier Milei, le 19 novembre 2023.
Le quartier général de campagne de Sergio Massa, ministre argentin de l'Économie et candidat malheureux à la présidentielle, après sa défaite face à Javier Milei, le 19 novembre 2023. © Matias Delacroix, AP

Phénomène de "backlash"

La victoire écrasante de Javier Milei est une victoire des positions antiféministes. "L’adhésion à ses idées antiprogressistes, par un électorat principalement masculin et antiféministe, démontre une certaine polarisation de la société argentine", analyse Alice Apostoly, cofondatrice et codirectrice de l’Institut du genre en géopolitique, spécialiste des politiques étrangères féministes.

"On entre dans le phénomène du ‘backlash’ [retour de bâton conservateur, NDLR], c’est-à-dire l’hostilité que subissent les droits des femmes à chaque avancée. Cela concerne aussi la Corée du Sud, la Pologne, la Hongrie, les États-Unis... L’élection de Milei est un symptôme

supplémentaire d'une montée des conservatismes et d'une menace très concrète envers les droits des femmes et LGBTQI+ au niveau mondial."

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Le nouveau président de l'Argentine prendra ses fonctions le 10 décembre. Cependant, son absence de majorité parlementaire pourrait entraver la mise en œuvre de son programme. Pour éviter un blocage au Congrès de la Nation et au Sénat, le gouvernement devra dialoguer avec les autres forces politiques et consentir à des concessions.

Par ailleurs, les spécialistes interrogées considèrent la pression sociale comme un facteur déterminant pour les droits des femmes en Argentine. Victoria Tesoriero partage cette conviction. "Je pense que le mouvement féministe argentin est très fort et qu'il ne sera pas facile de le renverser", estime-t-elle, soulignant le soutien de féministes du monde entier, en particulier d’Amérique du Sud, reçu après l’annonce de la victoire de Javier Milei. "Nous devons rester vigilantes et organisées pour défendre les acquis des dernières années."

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