Le jour où la politique l'a emporté sur le sanitaire

Hier, Emmanuel Macron a annoncé la suspension "par précaution" du vaccin Astra Zeneca.  ©AFP - Jean-Marc Haerich
Hier, Emmanuel Macron a annoncé la suspension "par précaution" du vaccin Astra Zeneca. ©AFP - Jean-Marc Haerich
Hier, Emmanuel Macron a annoncé la suspension "par précaution" du vaccin Astra Zeneca. ©AFP - Jean-Marc Haerich
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L'un après l'autre, les gouvernements européens ont suspendu les vaccinations avec AstraZeneca.

Depuis des jours, depuis des semaines, le gouvernement français le répétait : il n'y a aucun problème avec AstraZeneca, nous disait encore dimanche soir Jean Castex. 

"Ce vaccin présente une certaine efficacité notamment pour les formes les plus graves de la maladie. Je peux vous assurer que si j'avais le moindre doute, [je demanderais sa suspension], absolument. Mais à ce stade, il faut avoir confiance dans ce vaccin." (interrogé par Samuel Etienne)

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Et voici donc qu'hier Emmanuel Macron a annoncé sa suspension, "par précaution".  

Bien sûr, ce n'est pas la première fois que les courbes glissantes de la pandémie provoquent des tête-à-queue dans la communication politique.

Comment ne pas se souvenir par exemples des recommandations contradictoires sur le port du masque ?  

Mais cette fois, l'embardée se déroule en moins de 24 heures.  

D'où cette question : les ministres ont-ils été trop péremptoires ; ou est-ce le président qui est trop alarmiste ?  

De quelles données disposons-nous ?

Le premier pays à avoir suspendu partiellement la vaccination avec AstraZeneca, c'est l'Autriche, le lundi 8 mars.

Plus précisément : suspension d'un lot de ce vaccin, après le décès d'une infirmière des suites d'une thrombose, quelques jours après qu'elle a reçu l'injection. Même si aucun lien de cause à effet n'a été établi jusqu'ici. Le gouvernement autrichien parle de "précaution".  

Selon l'Agence européenne du médicament, sur cinq millions de personnes vaccinées en Europe avec l'Astra Zeneca, 30 cas de thromboses (formation anormale de caillots sanguins) ont été signalés.

D'après l'Agence, statistiquement, cette proportion n'est pas supérieure à celle qu'on retrouve dans la population générale non-vaccinée. Les bénéfices de l'injection restent très supérieurs au risque, selon elle.  

C'est aussi ce que dit l'Organisation mondiale de la santé.

Enfin, au Royaume-Uni, pays qui utilise le plus massivement AstraZeneca, les autorités n'ont fait remonter aucun problème significatif au sein des 11 millions de vaccinés.  

Alors pourquoi cette suspension du vaccin dans presque toute l'Europe ?  

Pour comprendre, il faut retracer la chronologie de ces décisions.  

Lundi dernier, donc, l'Autriche suspend partiellement. Trois jours plus tard, le Danemark décide d'interrompre toutes les injections d'AstraZeneca, après des cas graves de caillots sanguins. Là encore par précaution. L'autorité sanitaire danoise souligne qu'elle n'a pas établi de causalité.  

Quelques heures après, c'est la Norvège qui prend la même décision. Le lendemain c'est la Bulgarie, puis ce week-end, l'Irlande et les Pays-Bas.  

Et donc hier, en une poignée d'heure, l'Allemagne, puis la France, puis l'Espagne puis le Portugal basculent à leur tour.  

Y a-t-il des données nouvelles, à ce stade, qui expliquent ce revirement ? Non, m'expliquait hier soir un membre de l'exécutif français.  

D'ailleurs en France, le comité scientifique sur les vaccins n'a pas poussé le gouvernement dans cette voie, comme le reconnaissait hier soir l'une de ses membres, la professeure Brigitte Autran, interrogée sur LCI par Elisabeth Martichoux :  

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On l'entend : ce n'est pas la science qui a fondé cette décision. La politique a pris le pas sur le sanitaire.  

C'est un effet domino. Une réaction en chaîne. Plus nombreux sont les pays qui interrompent l'injection d'Astra Zeneca, plus la pression est forte sur ceux qui ne le font pas.  

Il s'agit moins de statistiques et de raison... que de panique et d'imitation.  

Comme quand vous êtes dans une foule, vous voyez des gens courir, alors vous vous mettez à courir, tout le monde se met à courir, sans savoir précisément pourquoi.  

Bref, l'Europe vient d'être victime d'un mouvement de foule. 

Chaque dirigeant, craignant de passer pour laxiste aux yeux de son opinion publique, s'est aligné sur le voisin. 

Exception notable : la Belgique. Bruxelles continue. « Ce serait irresponsable d'arrêter », a dit hier soir le ministre fédéral de la santé.  

Alors comment interpréter politiquement ce que nous venons de vivre ?  

Bien sûr, prudence est mère de sûreté, comme l'on dit. Et dans cette affaire, la psychologie collective, les craintes légitimes ne peuvent être balayées d'un revers de main.

Mais derrière cet affolement en cascade, on peut aussi voir le couronnement de l'aversion pour le risque. Le risque, même s'il est infime comparé aux bénéfices, est insupportable à nos sociétés modernes.  

A cette s'ajoute une dose d'individualisme triomphant ("et si c'était moi ?")...

Et voici comment nous nous focalisons sur quelques cas angoissants (mais sans lien établi), plutôt que sur des millions de personnes protégées du virus.  

Frédéric Says

L'équipe