Le recours au chômage partiel ne cesse de s'amplifier. En France, selon le dernier bilan de la direction statistique du ministère du Travail publié ce mercredi 13 mai, plus de 12,4 millions de salariés sont concernés par ce dispositif. Ces demandes ont été formulées par 1,015 million d'entreprises. La paralysie de l'économie française pendant les huit semaines de confinement a obligé beaucoup de dirigeants à avoir recours à ce type de mécanisme appliqué dans un grand nombre de pays européens.
Avec le début du déconfinement, ces chiffres devraient se stabiliser, voire ralentir dans les prochaine semaines sauf si de nouveaux foyers de contagion apparaissent dans des zones fortement peuplées. Le 11 mai marque le début d'une levée de certaine restrictions. Le système économique va rester malgré tout sous pression pendant des semaines. Les entreprises enregistrent de fortes tensions sur leur trésorerie et les salariés redoutent une montée du chômage au sortir de la crise. Jusqu'à maintenant, le chômage a été relativement contenu mais les prochaines semaines risquent d'être déterminantes. En outre, même si le chômage partiel permet de limiter la casse économique et social, beaucoup de travailleurs précaires comme les indépendants, les employés en contrat à durée déterminée, en intérim risquent de passer entre les mailles des filets de sécurité.
Les TPE et PME en première ligne
Les petits établissements sont dans le rouge. D'après les chiffres du ministère du Travail, la plus forte proportion (47%) de demandes de chômage partiel concerne les entreprises de moins de 50 salariés. Viennent ensuite les entreprises ayant entre 50 et 249 salariés. En revanche, les grandes entreprises ayant plus de 1.000 salariés représentent environ 20% des demandes.
Sans surprise, les établissements spécialisés dans le commerce, la construction et l'hébergement-restauration représentent la majeure partie des demandes. La fermeture administrative de l'ensemble des restaurants, bars, brasseries depuis la mi-mars a contraint les employeurs à inscrire la quasi-totalité de leurs salariés sous le régime du chômage partiel.
A l'opposé, l'agriculture, la sylviculture et la pêche, les activités immobilières, les métiers de l'énergie, de l'eau, de la gestion des déchets et de la dépollution ne représentent qu'une minorité des demandes. Beaucoup de ces activités ont été jugées essentielles et n'ont pas fait l'objet de fermetures administratives. Dans l'agriculture, plusieurs employeurs ont même dû faire face à un manque de bras en raison notamment d'une forte hausse d'activité au printemps et la fermeture des frontières à la main d'oeuvre étrangère.
L'Ile-de-France concentre le quart des demandes
La région francilienne concentre 25% des demandes d'activité partielle en raison notamment du poids de la population active régionale dans le total au niveau national. Arrivent ensuite l'Auvergne-Rhône-Alpes (12,6%), les Hauts-de-France (7,9%), le Grand-Est (7,8%) et la Nouvelle-Aquitaine (7,8%).
A l'inverse, la Corse (0,5%), le Centre-Val de Loire (3,2%), la Bourgogne-Franche-Comté (3,8%) ne représentent qu'une très faible part des demandes. Les territoires d'outre-Mer figurent également en bas du tableau des demandes (entre 0,1% à Mayotte et 0,9% à la Réunion).
Les contrôles vont se durcir
Or, la forte montée en puissance du dispositif ces dernières semaines met en relief des effets d'aubaine pointés par de nombreux économistes. Certaines entreprises ont eu recours à ce mécanisme alors qu'elle n'en n'avaient pas besoin. Dans une récente note, les chercheurs de l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) rappelaient sur ce point les difficultés pour contrôler les abus. "L'ampleur prise par le dispositif limite les capacités de contrôle ex post, d'autant que la frontière entre travail et chômage peut être floue (y compris pour l'entreprise) lorsque le salarié est en télétravail".
Face à ces possibles dérives, l'exécutif a décidé de renforcer son arsenal de contrôle. Il y a quelques jours le ministère du Travail a diffusé des instructions à ses services en région (Direccte) "afin de leur présenter les objectifs du plan de contrôle qu'elles auront à mettre en œuvre dans leurs territoires et leur rappeler les outils juridiques dont elles disposent. Les Direccte devront distinguer entre les entreprises qui, de bonne foi, ont fait des erreurs lorsqu'elles ont renseigné leurs demandes d'indemnisation, et celles qui ont fraudé".
Le ministère de Muriel Pénicaud indique que "la mise en activité partielle de salariés auxquels il est demandé parallèlement de (télé)travailler, ou des demandes de remboursement intentionnellement majorées par rapport au montant des salaires effectivement payés, figurent parmi les principales fraudes identifiées par l'administration". Les services dépendant du ministère devront traiter en priorité et "systématiquement" des cas signalés par les salariés, les comités économiques et sociaux ou les organisations syndicales.
Les risques d'une moindre prise en charge
La proportion des indemnités prises en charge par les administrations publiques pour les salariés devrait se réduire dans les prochaines semaines. La ministre du Travail Muriel Pénicaud a à plusieurs reprises expliqué que ce dispositif n'avait pas vocation à durer. Cette stratégie comporte néanmoins des risques et représente une équation complexe pour le gouvernement. Une diminution trop rapide de la prise en charge par l'Etat et l'Unédic, par rapport à la reprise pourrait exacerber une hausse du chômage dans les prochains mois. Si le gouvernement choisit de réduire la proportion du montant alloué aux salariés pour faire des économies, il risque d'amplifier le nombre d'inscriptions au chômage et diminuer le pouvoir d'achat des ménages traversant une crise majeure. Ce qui risque également de peser sur les comptes de l'assurance-chômage et accentuer les effets de la crise économique sur le marché du travail alors que la récession devrait atteindre un niveau record cette année. Dans leur dernière note de conjoncture, les économistes de la Banque de France ont annoncé que la perte d'activité était d'environ -27% au mois d'avril contre -32% au mois de mars.