Pour « contrôler » les prix de l'électricité, Paris veut court-circuiter le calendrier de Bruxelles et d'EDF

Emmanuel Macron a promis ce lundi que l’Etat maîtrisera bientôt les prix de l'électricité, alors que ceux-ci restent anormalement hauts sur les marchés. Paris souhaite que les tarifs reflètent davantage les coûts de production du parc nucléaire tricolore, qui représente 70% du mix électrique du pays. Alors que les négociations patinent à Bruxelles, l'exécutif se dit prêt à légiférer à l'échelle nationale. Il doit toutefois faire face aux réticences du PDG d'EDF, avec qui les tensions se sont intensifiées ces derniers jours. Au point qu'un ultimatum lui a été lancé.
Luc Rémont, PDG d'EDF et Bruno Le Maire, ministre de l'Economie.
Luc Rémont, PDG d'EDF et Bruno Le Maire, ministre de l'Economie. (Crédits : Reuters)

La France va-t-elle administrer les prix de son électricité, à travers une économie totalement régulée par l'Etat, plutôt qu'assujettie aux lois du marché ? Si l'on en croit le discours d'Emmanuel Macron en conclusion du Conseil de planification écologique, ce lundi 25 septembre, le gouvernement compte « reprendre le contrôle » de ce tarif, afin qu'il soit « soutenable » pour les entreprises et les ménages. S'affichant maître en son royaume, le chef de l'Etat a même promis d' « annoncer en octobre » ces nouveaux prix, afin de mettre l'Hexagone « dans une situation favorable et compétitive au niveau européen ». Fini, donc, les envolées des factures réfrénées par un bouclier tarifaire versé aux frais du contribuable ?

Dans cette optique, l'exécutif planche en tout cas sur une loi, « qui a vocation à englober l'ensemble des sujets de programmation énergie climat et le sujet relatif à la régulation des prix de l'électricité », précise l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique. Cette loi, dont la dénomination ne semble pas encore avoir été fixée, doit être présentée en conseil des ministres d'ici la fin de l'année.

Profiter de « l'atout français du nucléaire »

Le gouvernement français semble donc déterminé à légiférer à l'échelle nationale, sans attendre la mise en œuvre de la réforme du marché à l'échelle des Vingt-Sept, prévue pour 2024.

« On souhaite évidemment un accord européen sur la réforme du marché [de l'électricité, ndlr]. Mais, si nécessaire, le gouvernement fera ce qui est indispensable pour s'assurer que les consommateurs bénéficient de la compétitivité [du parc nucléaire français, ndlr], comme évoqué par le Président », pointe le cabinet de la ministre.

Le but : payer une électricité « proche des coûts de production des centrales » du pays, en profitant de l'atout français du nucléaire, aujourd'hui « compétitif » grâce à un prix de revient autour de « 60-70 euros le mégawattheure (MWh) », glisse-t-on à l'Elysée. « Parce que nous avons nationalisé EDF, parce que nous avons une chance qui est notre base installée qui est le nucléaire », avait insisté lundi Emmanuel Macron.

75% du prix de notre électricité est fixé par les prix du marché du gaz, selon RTE

Mais comment procéder, alors que les prix de vente de l'électricité restent anormalement hauts ? Pour acheter dès aujourd'hui un MWh à livrer au 1er trimestre 2024, il faut par exemple débourser 143,54 euros sur la bourse européenne d'échange Epex. Au dernier trimestre, ce montant grimpe même jusqu'à 200 euros/MWh à la pointe !

Et pour cause, les tarifs de l'électricité dépendent pour beaucoup de la construction du marché européen, plutôt que du coût de production des centrales dans chaque pays. Schématiquement, le prix final du MWh à acquérir pour le lendemain s'aligne en général sur celui de la dernière centrale appelée sur le Vieux continent, c'est-à-dire la plus chère (souvent une centrale à gaz, y compris dans les pays qui ne dépendent pas de ce combustible fossile pour produire leur courant). Et ce, « alors même que les coûts de production de l'électricité en France sont très peu corrélés au prix du gaz, puisque le gaz, c'est moins de 10 % de notre production d'électricité », déplore une source à l'Elysée.

« 75% du prix de notre électricité est fixé par les prix du marché du gaz, alors que 85% de notre électricité est décarbonée », avait d'ailleurs souligné la semaine dernière Thomas Veyrenc, directeur de la stratégie et de la prospective de RTE lors de la présentation des nouveaux scénarios de l'organisme.

Pour « reprendre le contrôle », le gouvernement espère donc contourner ce marché, à travers la multiplication des contrats à long terme. Et milite depuis plusieurs mois pour réguler l'ensemble du parc nucléaire d'EDF, avec l'instauration d'un prix plancher et d'un prix plafond de vente de ses MWh, afin que ceux-ci ne soient pas soumis à la volatilité des enchères quotidienne. Tandis que la Commission européenne s'y oppose, en chantre de la concurrence, et que les eurodéputés eux-mêmes se sont prononcés contre, Emmanuel Macron envisagerait-il donc de prendre Bruxelles de vitesse, en inscrivant ce système dans une loi nationale ?

EDF ne veut pas vendre à prix coûtant

Reste qu'un autre compromis devra être trouvé. Et cette fois, à l'échelle nationale. En effet, l'Etat se heurte également à la vision très divergente du PDG d'EDF Luc Rémont, dont les relations avec Matignon se sont sensiblement tendues ces derniers jours. Arrivé il y a dix mois aux manettes du groupe, celui-ci ne cesse de rappeler qu'EDF est une entreprise de droit privé évoluant dans un marché ouvert et concurrentiel.

« Même si le capital est entièrement dans les mains de l'Etat, cela reste une société anonyme et non une entreprise publique », relève Gwenaël Plagne, secrétaire adjoint CGT du comité social et économique central d'EDF.

L'objectif du dirigeant est très clair : vendre son électricité nucléaire de gré à gré auprès de grandes entreprises pour en tirer un prix suffisamment élevé (en-dessous mais proche de 100 euros), afin de financer le mur d'investissements auquel doit faire face son entreprise : quelque 25 milliards d'euros par an pour prolonger le parc existant, lancer la construction des six prochains réacteurs de type EPR 2 et accélérer dans les énergies renouvelables.

L'Etat lance un ultimatum à Luc Rémont

La publication, la semaine dernière, du rapport du régulateur de l'énergie estimant le nouveau coût de production du nucléaire autour de 60 euros le MWh aurait poussé le dirigeant à sortir de ses gonds lors du conseil d'administration de l'entreprise auquel participait Sophie Mourlon, la directrice générale de l'énergie et du climat (DGEC), rapporte BFMTV. Cette donnée, que Luc Rémont jugeait éminemment confidentielle, venant irrémédiablement mettre à mal ses négociations commerciales.

Alors que les discussions entre l'Etat et EDF semblent plus que jamais dans une impasse, Elisabeth Borne a donné quinze jours à Luc Rémont pour revenir vers le gouvernement avec une proposition tarifaire acceptable, selon Le Figaro. Un délai aux airs d'ultimatum... Un compromis pourra-t-il être trouvé d'ici le 7 octobre ? Une crise de gouvernance, à la veille de la relance nucléaire, est-elle envisageable ? « Il est bien trop tôt pour évaluer une mise à l'écart du PDG », estime un représentant du personnel, pour qui ce bras de fer relève surtout « d'une feuille de route incohérente ».

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Commentaires 36
à écrit le 29/09/2023 à 18:28
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L'atout nucléaire Français est bien permanent . Dans ces conditions POURQUOI le gouv. a-t-il abandonné cet avantage énorme ? Par idéologie capitaliste (version libéralo-européiste?) par incompétence? OU LES DEUX à la fois? Ce qui intellectuellement e...

à écrit le 28/09/2023 à 11:20
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On m'a toujours recommandé d'éviter les court-circuits en électricité. Le gouvernement devrait écouter le PDG-électricien: il s'y connait (on l'espère)!

à écrit le 28/09/2023 à 9:49
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Après avoir finalise la destruction d EDF tant voulu par l Europe libérale allemande voilà nos pompiers pyromanes.dans leur oeuvre de séduction apparente due a la perversion narcissique. Spoliation du peuple français a grande échelle avec la loi no...

à écrit le 27/09/2023 à 14:45
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C'est l'Europe qu'il faut court-circuiter comme le font la Pologne , la Hongrie voire l'Espagne ......

à écrit le 27/09/2023 à 14:44
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C'est l'Europe qu'il faut court-circuiter comme le font la Pologne , la Hongrie voire l'Espagne ......

à écrit le 27/09/2023 à 14:44
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C'est l'Europe qu'il faut court-circuiter comme le font la Pologne , la Hongrie voire l'Espagne ......

à écrit le 27/09/2023 à 14:37
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Il faut alors faire la même chose sur toutes les énergies. Pourquoi pénaliser seulement EDF ? Il y a pourtant un prix de marché, sinon tout le monde va intensifier le solaire car une centrale n'est pas chère bien qu'elle produise quand il n'y a pas...

à écrit le 27/09/2023 à 13:30
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Tout dépend de ce que l'on entend par cout de production. Cela inclue-t-il les futurs grands carénages, et le renouvellement des plus anciennes ? histoire de lisser correctement le cout au kw... ainsi que les autres investissements de grande ampleur,...

le 27/09/2023 à 14:40
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Les coûts de recherche développement d'un filière à sels fluorés, neutron rapide, Thorium. Il faut penser à l'avenir et incinérer les déchets a longue vie dedans ! On doit faire propre pour les générations à venir...

à écrit le 27/09/2023 à 13:29
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Tout dépend de ce que l'on entend par cout de production. Cela inclue-t-il les futurs grands carénages, et le renouvellement des plus anciennes ? histoire de lisser correctement le cout au kw... ainsi que les autres investissements de grande ampleur,...

à écrit le 27/09/2023 à 11:55
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Attention ça ne rigole plus , l'état va aider les français en n'écoutant pas Bruxelles . Macron , le chef de la rébellion ,va orchestrer la résistance et mettre fin à l'oppression de l'Europe . EL libérator Emmanuel va rendre des millions d'euro ...

le 27/09/2023 à 16:50
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@bernard_do. Vous m'avez bien fait rire avec cette délicieuse intervention. Merci.

à écrit le 27/09/2023 à 10:27
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c'est un article étrange, car il sous entendrait que ce n'est pas l'état qui a mis en place larem et qui depuis le départ peut en sortir et ne le fait pas ! et la réponse permet de comprendre qu'il ne le fera pas ! a force de dire un jour le tou...

le 28/09/2023 à 21:22
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D'accord avec vous ; un paragraphe expliquant qui abuse qui et permettant de comprendre simplement qui touche les dividendes de cette situation tendue d'avec nos partenaires allemands serit bienvenu

à écrit le 27/09/2023 à 10:11
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comme ils disent profiter de l atout du nucléaire. ! sans oublier le coût à venir des démantèlements qui ont explosé. la centrale de Brénnilis ne produit plus depuis 1985 et toujours en cours de démantèlement 38 ans déjà ++

le 14/11/2023 à 20:17
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Cette centrale est un prototype. Son démentèlement a été plannifié sur 55 ans, il sera terminé aux alentours de 2040. On ne peut pas comparer avec les centrales classique à eau pressurisée qui engendre beaucoup moins d'éléments radioactifs.

à écrit le 27/09/2023 à 10:01
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"La France va-t-elle administrer les prix de son électricité, à travers une économie totalement régulée par l'Etat, plutôt qu'assujettie aux lois du marché ?" Vous en connaissez beaucoup des marchés où le gros doit céder au petit à prix coûtant 25 %...

le 27/09/2023 à 10:30
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forcer edf a brader sa valeur ne me semble pas être "le marché" forcé par l'état , il s'agit d'un autre concept ! et pouvoir endetter edf par la même pour ensuite par l'impôt refinancer? puis les centrales? statofinancier?

à écrit le 27/09/2023 à 9:47
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Sauf erreur, le Portugal et L'Espagne sont sortis du système européen et les prix baissent. On s'aligne sur le prix du gaz à la hausse, mais quand il baisse on n'en tient pas compte !

à écrit le 27/09/2023 à 9:16
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Sortons du système de régulation européenne , abolisssont la loi NOME et L'anreh et il n'y aura plus de problèmes

à écrit le 27/09/2023 à 9:02
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Un certains nombres de grands équilibres auraient dus bénéficier dès leurs apparitions d'une solide rustine on peu citer au hasard: cette privatisation d'EDF, la question des frontières de l'UE à défaut française, l'industrie (le tour d'ATOS est venu...

à écrit le 27/09/2023 à 8:27
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Quand on a vocation à exporter de l’électricité, aux allemands, et aux belges notamment, on est en faveur des prix de d’électricité les plus hauts possibles. Quand on a devant soi des investissements énormes, avec des structures (EDF) déjà fortement ...

le 27/09/2023 à 9:11
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Actuellement au moment ou j'écris ces lignes, 87% de notre électricité est NUC et 10% Hydro (Electricity Maps). Ce que je crains c'est qu'avec le vieillissement de nos centrales, en 2035 nous ayons des voitures électriques et des pompes à chaleur mai...

le 27/09/2023 à 13:26
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Je ne suis pas loin de partager votre point de vue: laissons EDF gagner de l'argent et le réinvestir. Mais je m'explique mal, compte tenu des coûts de production (60 € pour le nucléaire, 20€ pour l'hydraulique, 70€ pour les ENR, 100€ pour le gaz, soi...

à écrit le 26/09/2023 à 23:06
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Excellente initiative pour une fois, il faut quitter cet absurde marché européen de l'électricité et retrouver la maîtrise de notre outil de production nucleaire. Si cela peut être le prélude à un début de démantèlement de l'UE ce sera une excellent...

à écrit le 26/09/2023 à 22:57
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Quel politique Français a emprisonné edf dans un marche européen en y pseudo indépendant et basé aux pays bas - pays le plus libéral d Europe. ? Mais notre sarko …. Il aura tout fait foirer celui la .

le 27/09/2023 à 13:45
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A côté de la catastrophe libyenne, le scandale de la loi NOME est de la rigolade.

à écrit le 26/09/2023 à 22:57
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Quel politique Français a emprisonné edf dans un marche européen en y pseudo indépendant et basé aux pays bas - pays le plus libéral d Europe. ? Mais notre sarko …. Il aura tout fait foirer celui la .

à écrit le 26/09/2023 à 21:43
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Un accord contre l'Allemagne ? Ils n'ont donc toujours pas compris que l'Allemagne défend d'abord ses intérêts et nous laisse souverainement nous occuper des nôtres tant que cela ne la dérange pas. Cette naïveté est accablante...

à écrit le 26/09/2023 à 20:47
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vendre au cout marginal, ca rappelle les cours microeconomie 1ere annee, et on a aussi appris que c'est pas possible......ces incompetents de politiciens devraient prendre des cours de microeconomie, et s'ils comprennent un peu qqch, ils pourront fai...

à écrit le 26/09/2023 à 20:04
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Pour une fois, entièrement d’accord avec l’initiative de Macron. Comme l’Espagne et le Portugal l’année dernière, la France doit aussi sortir de cet absurde marché européen.

à écrit le 26/09/2023 à 19:18
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La multiplication des contrats à long terme n'est pas une mauvaise idée mais sur base volontaire et à un prix négocié entre le producteur et le consommateur, pas fixé par Bruno-qui-ne-sait-pas-compter.Et sur le coût de production du nucléaire autour ...

le 26/09/2023 à 21:34
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@Adieu BCE. Tout à fait d'accord 👏

à écrit le 26/09/2023 à 19:07
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Qui a financé les centrales nucléaires d’EDF? EDF lui même ou le contribuable français? En dernier recours, qui financera le renouvellement du parc? EDF ou le contribuable français? Macron est correct dans ce dossier. L’UE et les politiques pro gaz...

le 27/09/2023 à 13:43
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Non, dans ce cas nous sommes inimitables. 70% de nucléaire, ça ne se trouve nulle part ailleurs (par exemple aux USA, l'électricité est encore 60% fossile). D'ailleurs, c'est mieux comme cela : éviter la concurrence sur l'uranium.

à écrit le 26/09/2023 à 18:10
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Que de temps perdu pour mettre en place une évidence la bureaucratie française se met en marche avec plus d’un an de retard, pendant ce temps les entreprises chutent

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