« On passe à quatre ou cinq, armés, tu tues tout le village en une seule nuit, c‘est facile, je te dis que tu peux faire ça, c‘est facile ! » Voici l’un des nombreux extraits audio produits par l’accusation pour renvoyer six hommes résidant dans le Finistère en 2020 devant la cour d’assises spéciale des mineurs (le plus jeune avait 16 ans au moment des faits). Celui qui s’exprime, Mohamad D., alors âgé de 35 ans, a quitté la Syrie en 2014 et est arrivé en France un an plus tard, avec le statut de réfugié.
Mais il est dans le viseur de la DGSI (sécurité intérieure). L’homme, qui a épousé une femme et vit à Brest, a bien quitté la Syrie, mais il y aurait combattu… sous le drapeau de l’État islamique. C’est en le surveillant que la DGSI constate, en septembre 2019, qu’il se rend régulièrement dans une boucherie halal du centre-ville de Brest. Son propriétaire, Wahid B., 35 ans, est bien connu des services. Il a été condamné pour apologie du terrorisme. Juste après les attentats de novembre 2015, il avait mimé un mitraillage alors qu’un véhicule de police passait devant son échoppe, rue Jean-Jaurès.
« Faire un maximum de morts »
À l’intérieur de l’établissement, plusieurs hommes se rencontrent régulièrement et se montrent méfiants dans leurs déplacements. Saisie, la justice antiterroriste autorise la sonorisation de la boucherie. Les écoutes révèlent des velléités de départ pour combattre en Syrie, ou au Mali.
Mais rapidement, en décembre, les discussions font état de projets terroristes en France. Les idées fusent : projeter un camion rempli d’explosifs dans la base navale de Brest, attaquer le tramway, un centre commercial, infiltrer l’armée et, lors d’un exercice, « tous les allumer », profiter d’un match de football pour « faire un maximum de morts », ou d’une manifestation de gilets jaunes, ou du Nouvel An chinois à Paris (« en réaction à l’oppression des musulmans ouighours en Chine »), tuer le controversé imam brestois Rachid El Jay, cible de l’extrême droite mais aussi de l’État islamique, qui a mis sa tête à prix, et qui a déjà échappé de peu à la mort, quelques mois plus tôt, lors d’un guet-apens tendu par un déséquilibré… Et aller dans la campagne, réaliser des barrages surprises « comme en Syrie », arrêter les automobilistes, les tuer, et « tuer tout un village en une nuit »…
Deux arcs et quelques flèches
Mais les conspirateurs n’ont ni armes, ni explosifs. Sur les sept hommes qui échangent et se rencontrent, plusieurs se montrent pourtant très motivés, dont le plus jeune, Mou’adh, 16 ans. Lui propose notamment de fabriquer des ceintures d’explosifs. Avec Christopher, 32 ans, converti à l’islam en 2016, il se rend dans le quartier sensible de Kérourien pour savoir comment se procurer une arme à feu. Ils reviennent bredouilles. Mais l’équipe envisage d’aller à Marseille ou en ex-Yougoslavie pour en acquérir.
Le temps presse. Trois suspects ont fait allégeance à l’État islamique. La DGSI décide de passer à l’action. Le 20 janvier 2020, sept personnes sont interpellées à Brest, Guissény, et Loc-Eguiner-Ploudiry. Les seules armes trouvées sont… deux arcs et quelques flèches. Et une très abondante documentation de propagande djihadiste, ainsi que des tutoriels récemment téléchargés pour manier des armes à feu, fabriquer des explosifs, réaliser des attaques au couteau ou au véhicule bélier. Plusieurs mis en cause sont biberonnés aux vidéos de combats, de décapitation…
« Des paroles en l’air »
Mais, en garde à vue, puis devant les juges d’instruction, chacun nie tout projet terroriste et minimise sa participation au groupe et sa radicalisation. « C’étaient des paroles en l’air », assure l’un. Du « blabla », jure un autre. « Il n’y a aucun élément préparatoire, aucun repérage, aucune arme. Rien. Il n’y a que des paroles et leur contexte n’a même pas été retranscrit », dénonce au Télégramme Me Sami Khankan, l’avocat nantais du principal mis en cause, Mohamad D. La justice antiterroriste en a décidé autrement et a confirmé en appel, ce lundi, le renvoi de six des sept mis en examen, devant la cour d’assises spéciale des mineurs. Un pourvoi en cassation de cette décision a été annoncé. S’il est rejeté, un procès devrait avoir lieu à Paris fin 2024.