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«Je ne serai pas la dernière» : une femme enceinte perd son enfant et frôle la mort au CHU de Bordeaux

TÉMOIGNAGE - Dans un contexte de réorganisation des urgences de l’agglomération bordelaise, la prise en charge chaotique de Caroline Belfort, enceinte de sept mois, a viré au drame.

Le Figaro Bordeaux

Son calvaire a commencé le 20 juillet. Quatre jours après la mise en place de la régulation des urgences de Pellegrin, Caroline Belfort, 22 ans, enceinte de sept mois et atteinte de la mucoviscidose depuis la naissance appelle les pompiers. Elle a 39°C de fièvre, son coude rouge, douloureux et enflé a triplé de volume. Et elle s’est évanouie une trentaine de fois dans la journée. À leur arrivée au domicile de ses parents, au Haillan, les soldats du feu l’examinent, prennent ses constantes et les transmettent au médecin régulateur, qui estime qu'il n'est pas nécessaire de la conduire à l’hôpital. «Ils ne m’ont pas écoutée. Dans le camion, ils me disaient: “Madame, vous avez juste une enflure du coude. C’est peut-être une piqûre de moustique. Vous n’allez pas perdre votre bébé.» Une première erreur d’appréciation, suivie d’une multitude d’autres, qui conduiront Caroline Belfort à vivre un drame: le décès de son deuxième enfant à naître tout en frôlant la mort.

Conduite à la maternité du CHU de Bordeaux par sa mère, la jeune femme demande à son obstétricien de déclencher son accouchement. Elle s’inquiète pour son bébé qui ne bouge plus dans son ventre depuis plusieurs heures. Selon l’examen du médecin, le cœur de l’enfant affiche alors 190 pulsations par minute. «Il me disait que c’était normal et que son rythme cardiaque s’était un peu ralenti à cause de ma fièvre». Pour son coude enflé, qui cache en réalité une arthrite septique qui la conduira à la septicémie, Caroline Belfort est dirigée vers les urgences adultes de Pellegrin. Régulé depuis quatre jours, le service refuse de la recevoir et dépêche une ambulance pour la conduire à la polyclinique de Bordeaux Nord.

Refus de soigner

Durant de longues heures, la jeune femme et sa mère attendent une ambulance qui ne vient pas. Et pour cause: mal informée de la localisation de la patiente, elle est envoyée au Haillan, à une vingtaine de minutes de Bordeaux. «J’aurais gagné du temps, au moins quatre heures, si j’avais pu me déplacer moi-même», estime la jeune femme. Sur place, l’urgentiste qui examine Caroline Belfort refuse lui aussi de la prendre en charge. «Il a dit: “Je ne connais pas son dossier, je préfère qu’elle soit renvoyée à Pellegrin où elle est suivie parce que si elle vient à accoucher ici ou à perdre son bébé, je m’en voudrais à vie”.» Une déclaration qui s’avérera prémonitoire.

Arrivée à 18 heures au CHU de Bordeaux, Caroline Belfort ne sera installée dans une chambre et soulagée par une injection de morphine qu’à 2 heures du matin. Il lui est alors demandé de patienter jusqu’au lendemain pour être opérée. «Le rhumatologue qui m’a examinée m’avait tout de même dit que si ça n’allait pas, il fallait le rappeler dans la nuit. Ce que j’ai demandé, mais l’équipe médicale a refusé», assure Caroline Belfort.

Mort et septicémie

Quand elle est conduite au bloc à 11 heures le lendemain matin, Caroline Belfort est en danger de mort. Son corps, en proie à une septicémie, décompense. «En 26 ans métier, je n’ai jamais vu une prise en charge aussi catastrophique», témoigne sa mère, infirmière, «à force d’attendre, ils ont été obligés de me demander qui il fallait sauver entre ma fille et le bébé. Ils avaient 15% de chance de sauver Caroline. Je l’ai choisie car elle a une fille de 15 mois». Le cœur de l’enfant à naître, lui, avait continué à décélérer tandis que sa mère était emmenée au bloc. Il était en arrêt cardiaque quand il a été extirpé du ventre de Caroline par césarienne. Les tentatives de le réanimer sont restées vaines.

«Je me suis réveillée samedi à 14 heures. Je demandais où était mon bébé. Même si, au fond de moi, je sentais qu'il n'était plus dans mon ventre, je voulais juste une réponse et personne ne me répondait», se souvient Caroline Belfort. La jeune femme, qui a choisi d’avoir des enfants tôt et rapprochés en raison de sa maladie rendant l’avenir imprévisible, est en colère: «Je leur en veux. Je trouve que ma situation a été prise à la légère. J’ai la mucoviscidose, je suis suivie à Pellegrin depuis que je suis toute petite, mais je n’ai pas été écoutée. Il aurait pu déclencher la césarienne dès jeudi soir, l’enfant était viable.» Triste face à un système de santé qui périclite, la jeune femme assure: «Malheureusement, je ne suis pas la première et je ne serai pas la dernière. Je peux comprendre qu’en période d’été c’est compliqué de détecter une telle anomalie, mais j’avais fait 30 malaises dans la journée. Si on pouvait prendre plus au sérieux les patients, ce serait bien.» Et surtout, elle ne supporte plus que l’équipe médicale lui dise que «tout est arrivé très vite» alors qu’elle était sur place deux jours avant son opération.

Contacté, le CHU de Bordeaux assure que «plusieurs membres des équipes médicales du CHU de Bordeaux ont accompagné la patiente avec la plus grande attention et la plus grande diligence dans toutes ses composantes» en renouvelant «l'expression de sa vive compassion à l'égard de la patiente et de sa famille». Des mots que Caroline Belfort aurait aimé que la direction de l’hôpital vienne lui dire en face. «Je suis restée une semaine à la maternité de Pellegrin pour mon suivi de couche. Je doute que le bureau du directeur soit si loin. Il aurait pu appeler ou passer dans ma chambre pour s’excuser.»

Estimant qu’il est inutile d’engager une longue et fastidieuse procédure judiciaire car l’hôpital public n’a pas d’argent et que la chaîne de responsabilités est complexe, Caroline Belfort a décidé de ne pas porter plainte malgré sa peine. Son fils, qui pesait 1,7 kilo à la naissance a été inhumé. Il s’appelait Marius.

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189 commentaires
  • Quelle bonne idée ! La différence, c'est que les femmes, elles, le savent !

    le

    Et ce n’est pas la première non plus. Je connais au moins un cas où l’enfant et la maman sont décédés à cause de « l’organisation » du système de soin.

  • Millie

    le

    Une honte quand on voit les prélévements et tout ce qu'on paye pour un systeme de santé !!! j'aurais porté plainte perso...

  • Poum-poum

    le

    Dans les hôpitaux et services de soins il y a le meilleur et le pire : des gens très professionnels et humains et d'autres qui n'ont aucune considération pour les patients. On voit le résultat.

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