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Réquisition de masques : que dit le droit ?

Un décret du Premier ministre publié le 4 mars réquisitionne l'ensemble des masques de protection dans le cadre de la lutte contre le coronavirus.
Un décret du Premier ministre publié le 4 mars réquisitionne l'ensemble des masques de protection dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. PHILIPPE DESMAZES / AFP

La réquisition des masques de protection s'inscrit dans la continuité de réquisitions historiques légitimées notamment par le Code de la Défense.

«Vu l'urgence». Dans le décret publié ce 4 mars au Journal Officiel, le gouvernement donne le ton en stipulant la réquisition immédiate des masques de protection dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19. L'occasion de se pencher sur la réquisition, la définition qu'en donne le droit et ses précédents usages historiques.

Si le «stade 3» de l'épidémie de Covid-19 n'est pas encore déclaré, comme l'a à nouveau rappelé Olivier Véran mercredi, le gouvernement a souhaité rassurer : annulation ou report de divers événements et salons, fermetures d'écoles dans les foyers de contamination, encadrement des prix des gels hydroalcooliques, ... Face aux risques de pénurie chez les professionnels de santé, Emmanuel Macron a également décidé mardi de réquisitionner les masques de protection. Concernant le circuit suivi par les masques réquisitionnés, le ministère des Solidarités et de la Santé a indiqué jeudi au Figaro que «les modalités pratiques sont toujours en cours d'élaboration», sans donner davantage de précision sur les producteurs concernés et sur modalités de distribution des masques.

Mais que dit le droit au sujet de la réquisition ?

Tout d'abord, la réquisition n'est pas définie par un seul texte : «la définition de la réquisition est dispersée» dans plusieurs textes, indique Benoît Plessix, professeur à Paris 2 Panthéon-Assas. «C'est un droit attribué par les textes à des autorités administratives (maires, préfets, ...) les autorisant à obtenir de manière forcée des prestations de biens et services», précise-t-il. La réquisition se distingue de l'expropriation par son caractère temporaire : «la réquisition est une dépossession temporaire», insiste Benoît Plessix. Une réquisition n'est donc pas légale sans indication de la date de fin de réquisition, ce que l'on retrouve dans le premier article décret du premier ministre dans la formule «sont réquisitionnés, jusqu'au 31 mai 2020...».

Des origines militaires à la diversification

De plus, ce décret marque «le retour à la réquisition très classique des objets», détaille Benoît Plessix : «elle est réalisée dans le contexte d'une urgence» et en faveur «de l'intérêt général». On réquisitionne en effet des «biens meubles» : sont concernés les stocks de «masques de protection respiratoire de type FFP2 détenus par toute personne morale de droit public ou de droit privé» mais aussi les «stocks de masques anti-projections détenus par les entreprises qui en assurent la fabrication ou la distribution», indique le décret. Une réquisition classique au regard des origines militaires de la réquisition : «dans le droit français, la réquisition apparaît dans une loi de 1877, codifiée aujourd'hui dans le code de la Défense», justifie Benoît Plessix. L'exemple le plus connu de réquisition de biens mobiliers est celui des «taxis de la Marne», réquisitionnés en septembre 1914 sur ordre du général Gallieni, gouverneur de Paris pour envoyer plusieurs milliers d'hommes en renfort aux troupes de Joffre sur le front de la première bataille de la Marne.

Mais les réquisitions ont connu «une très grande diversification », affirme Benoît Plessix. En premier lieu après la guerre afin de remédier à la destruction de nombreux logements pendant la Seconde Guerre mondiale : «une ordonnance de 1945 a ainsi conduit à la réquisition de logements vacants afin de reloger les familles», précise-t-il. Avant d'ajouter : «la loi du 29 juillet 1998 a réactivé cette réquisition des logements vacants, dans le cadre de la lutte du gouvernement Jospin contre le phénomène des mal-logés». Plus récemment, la question des logements vacants a été évoquée par différents ministres, dont Cécile Duflot en 2012, et en février 2020 par Julien Denormandie, ministre du Logement.

Signe de cette diversification, la réquisition peut également s'appliquer à des personnes. «Par exemple, un médecin peut être réquisitionné dans le cas d'un accident de la route en pleine nuit», explique Benoît Plessix. «Mais la réquisition peut également concerner les grévistes», ajoute-t-il, car «l'administration est autorisée à réquisitionner des personnes travaillant dans des services publics ou des entreprises privées et assurant des activités nécessaires à la satisfaction des besoins essentiels de la population». À cet égard, l'exemple des raffineries est éclairant : en 2003, des employés de raffinerie en grève sont réquisitionnés au motif que leur activité présente «une importance particulière pour le maintien de l'activité économique«, comme la livraison de carburants dans les aéroports, et « le fonctionnement des services publics». «Le Conseil d'État juge ici légale l'atteinte au droit de grève», analyse Benoît Plessix. La justification de la réquisition reste toujours la même : «il s'agit d'assurer les besoins essentiels de la population», commente-t-il.

Une dernière interrogation suscitée par cette réquisition des masques est celle des exportations. Questionné au sujet d'éventuelles exportations d'un producteur français de masques vers le Royaume-Uni, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, affirmait mercredi 4 mars à l'antenne de Sud Radio qu'il n'y avait «pas d'exportation possible» grâce à ce décret : «tous les masques produits en France resteront en France», précise-t-il.

Benoît Plessix estime que cette conséquence commerciale de la réquisition des masques de protection relève du «protectionnisme économique» justifié par l'urgence : «on ne peut pas interdire à l'État d'agir dans des conditions particulières». Toutefois, «l'esprit» de la réquisition veut qu'il y ait dans ce genre de cas une «indemnisation» des personnes concernées, indique-t-il.

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