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« L’épargne de précaution, immédiatement disponible, a l’effet le plus significatif sur le bonheur »

Alors que le Livret A a fait le plein en avril, l’économiste Mickaël Mangot décrypte les effets de l’épargne sur le bonheur. Se sentir riche, ce n’est pas forcément avoir de gros revenus, c’est avant tout détenir un montant suffisant d’épargne liquide.

Propos recueillis par 

Publié le 22 mai 2020 à 05h00, modifié le 22 mai 2020 à 07h55

Temps de Lecture 5 min.

« Les différents types d’épargne n’impactent pas le bonheur de la même façon », note Mickaël Mangot.

Râleurs, contestataires, voire insatisfaits chroniques, les Français ? Si l’on en croit les spécialistes de l’économie du bonheur, ils ont pourtant une raison d’être heureux : les centaines de milliards d’euros qu’ils détiennent en épargne « liquide » – comptes courants, livrets bancaires, espèces…

Différentes études ont en effet montré ces dernières années un lien entre épargne de précaution et bonheur, souligne l’économiste Mickaël Mangot, directeur de l’Institut de l’économie du bonheur et auteur du podcast « Homo Econovirus ». Mais, attention, cet impact n’est pas proportionnel…

Epargner, cela rend heureux ?

Mickaël Mangot.- On peut le dire. A revenus identiques, ceux qui épargnent sont davantage satisfaits de leur vie. La part épargnée du revenu compte plus, pour le bonheur, que la part consommée.

Si l’économie du bonheur s’est longtemps focalisée sur la relation entre revenus et bonheur, la recherche s’est, ces dernières années, davantage tournée vers l’épargne.

Une étude publiée outre-Manche en 2019 (« Living Lagom. Challenging Perceptions of Wealth », publiée en 2019 par le Centre for Business and Economics Research, pour Barclays, voir PDF) conclut notamment qu’une hausse de dix points de pourcentage de l’épargne mensuelle augmente la probabilité qu’un individu se dise très satisfait de sa vie, autant que « le fait d’être en bonne, très bonne ou excellente santé ». Et que cet effet de l’épargne sur la satisfaction de la vie est supérieur à celui des revenus.

Si la hausse de l’épargne dure dans le temps, l’impact sur la probabilité de se dire satisfait de sa vie est multiplié par trois…

Quels sont les mécanismes à l’action ?

Il est intéressant de constater que l’épargne joue sur les trois dimensions du bien-être subjectif étudiées par les sciences du bonheur. Le bien-être émotionnel – les émotions fugaces ressenties dans une journée ; l’évaluation que l’individu fait de sa vie – sa « satisfaction de la vie » et le bien-être psychologique profond de l’individu, nourri par des sentiments durables – estime de soi, autonomie, compétence, connexion aux autres.

Ainsi, si l’épargne améliore à court terme la balance émotionnelle, en apaisant certaines angoisses, elle rend aussi, à moyen terme, l’individu plus satisfait de sa vie car le patrimoine accumulé peut être perçu comme une réalisation personnelle, et parce qu’il permet de réaliser ses projets de vie (achat d’une maison, voyages, etc.).

Elle nourrit enfin, sur le long terme, des sentiments profonds participant durablement au bien-être de l’individu – en épargnant chaque mois, on se prouve par exemple qu’on est capable de respecter ses plans, de maîtriser son impulsivité, ce qui contribue à booster l’estime de soi et le sentiment de contrôle de sa vie.

Livrets bancaires, immobilier, Bourse : le lien épargne-bonheur vaut-il pour tous les placements ?

Les différents types d’épargne n’impactent pas le bonheur de la même façon. C’est l’épargne de précaution, liquide, immédiatement disponible en cas de coup dur, qui a l’effet le plus significatif sur le bonheur, comme l’a montré une étude réalisée au Royaume-Uni en 2016 (« How Your Bank Balance Buys Happiness : The Importance of “Cash on Hand” to Life Satisfaction », publiée en 2016 par l’American Psychological Association).

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On observe également une corrélation positive, mais moindre, entre bonheur et épargne mobilisée en immobilier. En revanche, on ne constate pas d’effet global positif de l’épargne investie en actions sur le bonheur, le bonheur des investisseurs fluctuant largement avec les performances boursières. Sans compter que, pour eux, en temps de crise, c’est la double peine : ils sont, comme le reste de la population, anxieux pour leur emploi, mais sont en plus anxieux pour leurs économies.

Tout cela amène à repenser la richesse : se sentir riche, ce n’est pas forcément avoir de gros revenus, ni même une épargne considérable, c’est avant tout détenir un montant suffisant d’épargne liquide.

Un conseil, donc : au moment d’investir dans l’immobilier, siroter toute son épargne pour gonfler son apport est une erreur. Mieux vaut, pour son bonheur, garder un matelas de précaution en toutes circonstances, en s’endettant davantage ou achetant plus petit. D’autant que l’impact de la propriété sur le bonheur est au global plus faible qu’on l’imagine.

L’épargne « nourrit, sur le long terme, des sentiments profonds participant durablement au bien-être de l’individu », détaille Mickaël Mangot.

L’effet de l’épargne de précaution sur le bonheur joue-t-il aussi dans les pays socialement très protecteurs, comme la France ?

Les études sont, certes, souvent anglo-saxonnes, mais leurs résultats ont déjà été reproduits dans d’autres pays. Si l’effet serait peut-être un peu moindre en France, il resterait, à mon sens, significatif. Tous les aléas de la vie ne sont pas couverts par la Sécurité sociale et nous ne sommes pas nécessairement assurés pour ces risques non couverts (pertes, pannes, vols de biens matériels, etc.).

Par ailleurs, le spectre du chômage est plus stressant en France que dans les pays anglo-saxons : c’est le paradoxe de la sécurité de l’emploi, on a moins de chance de subir le chômage mais, si cela arrive, retrouver un emploi est plus compliqué, d’où un stress plus grand malgré la protection.

Quasi 13,5 milliards d’épargne liquide ont été collectés sur le Livret A depuis janvier. Les Français sont donc très heureux ?

Attention, l’effet de l’épargne de précaution n’est pas proportionnel au montant d’épargne. Passer de zéro épargne à 200 euros d’épargne par mois a un impact bien plus fort sur la satisfaction de la vie que passer de 200 à 400 euros.

Quand on a déjà beaucoup d’épargne, continuer à en accumuler n’a donc plus vraiment d’intérêt en matière de bonheur. Cette remarque est cruciale. Elle vaut aussi pour les revenus : l’effet positif d’un euro supplémentaire de revenu sur le bonheur diminue au fil de l’enrichissement.

L’étude de 2016 précitée démontre ainsi que passer de 1 à 1 000 livres sterling sur son compte augmente en moyenne la satisfaction de la vie des individus interrogés de deux points, sur une échelle de vingt, alors que passer de 1 000 à 10 000 livres ne l’augmente que de 0,7 point.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Quelles alternatives au Livret A ?

L’impact sur le bonheur de l’épargne dépend donc de la situation de départ de l’individu, de combien il en détient déjà. Mais aussi d’autres facteurs, comme la symbolique que revêt l’épargne pour lui – si, par exemple, le patrimoine est vu comme un signe de réussite sociale ou non.

Certains profils psychologiques sont donc plus sensibles à l’épargne ?

L’économie comportementale suggère que trois ressorts psychologiques poussent à accumuler de l’épargne de précaution : notre aversion au risque et à l’incertitude (se passer d’épargne de précaution, c’est accepter que nos consommations futures fluctuent avec nos revenus), notre besoin de contrôle (ne pas avoir d’épargne de précaution, c’est accepter de subir les événements et de n’avoir aucun contrôle sur son niveau de vie) et notre aspiration à la stabilité (l’épargne permettant de maintenir ses habitudes de vie).

Cependant, ces aversions et aspirations ne sont pas présentes de la même façon pour tous les profils psychologiques.

Si l’on prend les cinq grands traits de personnalité, les fameux « Big Five », on peut penser que la plupart des profils psychologiques ont besoin d’épargner pour être heureux. Les « extravertis » font toutefois figure d’exception : si, comme le montrent les études, ils épargnent moins que les autres, c’est parce qu’ils dépensent plus en activités sociales, mais aussi, et c’est plus intéressant encore, parce qu’ils éprouvent moins le besoin de se protéger. Ayant moins peur de la vie, ils tolèrent mieux le risque. L’épargne aura donc logiquement un effet moindre sur leur bonheur que pour les autres profils.

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