Tribune. Le mardi 16 février, à l’Assemblée nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, confirmait ce qu’elle avait annoncé deux jours plus tôt sur la chaîne CNews : le lancement d’une « enquête » sur l’« islamo-gauchisme » et le postcolonialisme à l’université, enquête qu’elle déclarait vouloir confier au CNRS à travers l’alliance Athéna. Les raisons invoquées : protéger « des » universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches », séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion », ainsi que… « l’apparition au Capitole d’un drapeau confédéré ».
Si le propos manque de cohérence, l’intention est dévastatrice : il s’agit de diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté, à laquelle, en tant qu’universitaire, Frédérique Vidal appartient pourtant, et qu’il lui appartient, en tant que ministre, de protéger. L’attaque ne se limite d’ailleurs pas à disqualifier, puisqu’elle fait planer la menace d’une répression intellectuelle. Comme dans la Hongrie d’Orban, le Brésil de Bolsonaro ou la Pologne de Duda, les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité sont précisément ciblés.
Indigence, indignité, lâcheté
Personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche publics, docteurs et docteures, doctorants et doctorantes des universités, nous ne pouvons que déplorer l’indigence de Frédérique Vidal, ânonnant le répertoire de l’extrême droite sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà invoqué en octobre 2020 par le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.
Mais, plus encore, nous nous insurgeons contre l’indignité de ce qu’il faut bien qualifier de chasse aux sorcières. La violence du projet redouble la lâcheté d’une ministre restée silencieuse sur la détresse des étudiants et étudiantes pendant la pandémie, comme elle avait été sourde à nos interpellations sur une loi de programmation de la recherche [LPR] massivement rejetée par toutes celles et tous ceux qui font la recherche, y contribuent à un titre ou un autre.
La crise économique et sociale la plus grave depuis 1945 assombrit l’avenir des jeunes adultes, l’anxiété face à la pandémie fissure la solidarité entre les générations, la pauvreté étudiante éclate aux yeux de tous et toutes comme une question sociale majeure, les universités – lieux de vie et de savoir – sont fermées. Mais, pour Frédérique Vidal, le problème urgent de l’enseignement supérieur et de la recherche, celui qui nécessite de diligenter une « enquête » et d’inquiéter les chercheurs et chercheuses, c’est la « gangrène » de l’« islamo-gauchisme » et du postcolonialisme.
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