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Laure Murat : « L’affaire Judith Godrèche marque un tournant rhétorique du #metoo du cinéma français »

L’historienne Laure Murat considère, dans une tribune au « Monde », que les propos des réalisateurs, notamment ceux de Benoît Jacquot, fournissent des éléments sur un système opératoire de prédation qu’on connaissait habituellement par les victimes.

Publié le 17 février 2024 à 06h00, modifié le 17 février 2024 à 13h31 Temps de Lecture 4 min. Read in English

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Depuis quelques semaines, entre la tribune sur Depardieu et l’affaire Judith Godrèche, tout le monde se demande si le véritable #metoo du cinéma français serait enfin advenu. Comme si quelque chose avait enfin bougé. Oui, mais quoi, au juste ? C’est l’histoire d’un point de bascule. Il est rhétorique.

Premier acte : une tribune paraît dans Le Figaro, le 25 décembre 2023, pour défendre Gérard Depardieu, « monstre sacré », mis en examen pour « viols » et « agressions sexuelles », et qu’un reportage vidéo a montré débitant des insanités sur une petite fille montant à cheval. L’avalanche de contre-tribunes et le revirement de l’opinion publique provoquent un violent rétropédalage des signataires, au point qu’on se demande si la rengaine « lynchage-tribunal médiatique-chasse à l’homme » n’aurait pas, à force, fait son temps – sauf, apparemment, pour le président de la République.

Deuxième acte : l’exhumation du documentaire de Gérard Miller sur Les Ruses du désir (2011) fait l’effet d’un coup de tonnerre. Dans l’épisode sur « L’Interdit », on découvre un entretien avec Benoît Jacquot, qui reconnaît, sourire en coin, un rien bravache, son goût pour les très jeunes filles. Il explique même benoîtement que le cinéma n’est jamais qu’une « couverture » pour « trafic illicite » de « mœurs de ce type-là », à savoir les relations sexuelles avec des mineures. Et de citer en exemple sa relation passée avec Judith Godrèche, 14 ans à l’époque.

Ce trafic, il en reconnaît l’illégalité, « mais j’en avais rien à foutre », précise-t-il, avant d’insister sur le fait que toute la corporation enviait les profits qu’il tirait de son aura de metteur en scène. On ne saurait être plus clair, plus précis, ni plus grossier. On connaissait le « raciste décomplexé », bienvenue au « prédateur décomplexé ». Qui ne pourra pas nous faire le coup de « c’était une autre époque », « on ne savait pas », puisqu’il vient d’avouer, en riant qui plus est, qu’il avait parfaitement conscience de son forfait.

Point de bascule

C’est ici que se situe le point de bascule. Tout écœurants que soient les propos de Depardieu sur les « moules » des filles, ils relèvent de provocations d’un homme qui a fait de l’obscénité son mode de débraillement permanent, quand il ne nie pas purement et simplement avoir jamais agressé une femme de sa vie. La parole de Benoît Jacquot, c’est en quelque sorte le contraire. Tout à coup, on entend le discours composé, construit, du prédateur organisé. C’est presque inespéré.

Pourtant, ce discours, il a toujours été là, public, rampant, et même admis. Benoît Jacquot n’a jamais caché son goût des mineures, tout comme Gabriel Matzneff des « moins de 16 ans » ou Philippe Caubère des prostituées, par exemple. La différence, c’est que Jacquot a depuis longtemps mis au point un discours écran, qui articule son désir sexuel à son travail de créateur comme une nécessité. L’extrait de 2011 prouve qu’entre l’artiste torturé par le syndrome de Pygmalion et les agissements du pervers ordinaire (et désinhibé) il y a l’épaisseur d’un papier à cigarette.

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