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Comment l’Insee a intégré le trafic de drogue dans le calcul du PIB

Après plusieurs années de débat, l’Insee a appliqué cette demande de l’institut statistique européen Eurostat, déjà appliquée dans d’autres pays.

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Publié le 01 février 2018 à 09h35, modifié le 23 août 2018 à 11h01

Temps de Lecture 3 min.

Cannabis, cocaïne et autres drogues génèrent en France une activité économique estimée à 2,7 milliards d’euros par an, soit 0,1 point de produit intérieur brut, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques. Pour la première fois, l’Insee a intégré le trafic de drogue, illégal, dans la mesure de la croissance, après des années de discussion.

Espagne, Royaume-Uni, Italie… d’autres pays européens avaient déjà commencé en 2014 à adopter un nouveau calcul tenant compte de la consommation de stupéfiants et des activités liées à celle-ci, à la demande de l’office européen de statistique, Eurostat.

Comment, concrètement, l’institut de statistiques français a-t-il fait pour évaluer le poids de la consommation de drogue dans la croissance ?

1. Un calcul sous l’angle de « l’offre »

Les Etats membres de l’Union européenne peuvent choisir le mode d’estimation de leur croissance qui leur convient, mais ils doivent fournir des données harmonisées à Eurostat, l’institut européen des statistiques.

La méthodologie, obtenue auprès de l’office européen, recommande d’aborder la prostitution sous l’angle de « l’offre » et de prendre en compte les « consommations intermédiaires », comme la location d’un appartement et l’achat de matériel.

Concernant la drogue, Eurostat conseille de multiplier la quantité consommée par le prix moyen ayant cours dans la rue, tout en faisant jouer le paramètre du « ratio de pureté » des produits stupéfiants et des « coûts de transport et de stockage » des narcotrafiquants.

« Nous suivons bien une approche de ce type, en nous fondant sur les analyses de chercheurs spécialistes de ces sujets », confirme l’Insee, notamment les travaux de chercheurs de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) et de l’Institut national des hautes études sur la sécurité et la justice (INHESJ), sans détailler davantage son approche et les analyses sur lesquelles il s’appuie.

2. Un impact incertain sur le PIB

L’explication à l’origine de ce nouveau mode de calcul est que la contribution de chaque membre au budget européen dépend pour partie de son PIB. Or certains Etats membres (Pays-Bas, Suède…) ont, dans leur PIB, une part liée à la drogue et/ou à la prostitution.

Difficile de savoir précisément le montant généré par ces activités, dans la mesure où les autres pays européens ayant sauté le pas ne détaillent pas dans leur PIB, qui varie chaque année pour des raisons macroéconomiques, quelle part relève des trafics illégaux. D’ailleurs, on ne sait même pas quel pays a adopté quelle méthode ; les pays sont censés se conformer au nouveau mode de calcul, se contente de répondre Eurostat.

Peut-être pour ne pas donner des armes à ceux qui militeraient pour une légalisation, peu de pays ont communiqué sur ces changements de calcul mais l’Allemagne (qui incluait déjà la prostitution dans son PIB) a noté une amélioration de 0,1 point de pourcentage en 2013. Les services statistiques britanniques ont partagé un exercice de calcul sur l’année 2009, comprenant du prix moyen du gramme d’héroïne à celui de la passe, anticipant une hausse de 0,7 point du PIB.

En France, le calcul effectué par l’Insee et publié fin mai aboutit à une ausse de 0,1 point du produit intérieur brut.

3. Pourquoi la France a tardé à adopter ce calcul

La décision de l’Insee fait suite à un long débat lancé par Eurostat en 2013. L’Insee avait, dans un premier temps (en 2014), accepté de donner une estimation des revenus issus du trafic de drogue dans le revenu national brut (RNB), destiné principalement à déterminer la contribution de la France au budget de l’Union européenne, mais pas dans le PIB, mesure comptable « sacrée », ou du moins qui fait référence dans le débat public.

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Son argument : le libre arbitre. « On voit bien que des consommateurs en situation de grande dépendance ne sont plus vraiment en mesure d’exercer leur libre arbitre (et donc, on peut arguer que les transactions ne se font pas vraiment par accord mutuel, ce qui est un critère essentiel pour l’Insee). »

L’étape suivante a relevé d’un choix pragmatique : l’Insee reconnaît avoir fini par être « assez isolé au niveau européen sur cette position »… avant de se rallier à la majorité. « En même temps, le raisonnement [sur le libre arbitre] pourrait s’appliquer aussi à des substances (alcool, tabac, voire jeux de hasard) dont la consommation est légale et que l’on prend en compte depuis longtemps dans les comptes nationaux. »

L’institut européen des statistiques avait également demandé aux Etats membres d’intégrer la prostitution dans leurs statistiques nationales, estimant qu’il s’agissait de transactions commerciales consenties librement. Ce dernier point fait débat en France : l’Insee a tranché en estimant que le consentement des prostituées n’était « probablement pas vérifié ». « Une volumineuse documentation montre que la prostitution de rue est ultra-majoritairement le fait de personnes mineures et/ou en situation irrégulière, sous la coupe de réseaux qui les obligent à se prostituer pour rembourser les passeurs. »

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