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Attaque au couteau d’Arras : pourquoi le suspect « fiché S » n’a pas été expulsé

De nombreuses voix politiques se sont émues que le meurtrier présumé de l’enseignant Dominique Bernard soit resté sur le territoire français en 2014, alors que sa famille était visée par une procédure d’expulsion.

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Publié le 16 octobre 2023 à 19h33, modifié le 17 octobre 2023 à 10h37

Temps de Lecture 4 min.

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Trois jours après qu’un enseignant a été tué et trois autres personnes grièvement blessées, un policier  patrouille devant le lycée Gambetta, à Arras, dans le Pas-de-Calais, le 16 octobre 2023.

Y a-t-il eu dysfonctionnement ? C’est ce qu’argue le Rassemblement national (RN) depuis l’attaque terroriste au couteau qui a coûté la vie à un professeur de français, Dominique Bernard, vendredi 13 octobre. Le suspect, Mohammed Mogouchkov, est un extrémiste musulman russe qui avait failli être renvoyé dans son pays, en 2014. Le président du RN, Jordan Bardella, a dénoncé « des failles dans toute la chaîne de responsabilité », quand le pouvoir en place et son prédécesseur assurent que la loi a été respectée.

Le code du droit des étrangers réserve de nombreuses exceptions, qui ont profité à l’assaillant, dont le casier était vierge et dont la surveillance n’avait pas permis de prouver d’intentions terroristes.

Pourquoi la famille avait-elle été visée par une procédure d’expulsion ?

En 2008, la famille de Mohammed Mogouchkov, originaire d’Ingouchie (une région du sud-ouest de la Russie où prédomine l’islam sunnite), s’installe en France, dans le village de La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), au sud de Rennes. Il a alors 6 ans. Le père a usé de tous les recours pour tenter d’obtenir le statut de réfugié, en vain.

En 2013, son ultime demande de droit au séjour est refusée par la préfecture. Le couple et ses cinq enfants, dont un bébé, sont alors assignés à résidence dans un foyer. Le 18 février 2014, la police aux frontières interpelle la famille et la transfère à l’aéroport de Roissy pour la renvoyer en Russie. Mais leur expulsion est annulée in extremis.

Pourquoi leur expulsion avait-elle été annulée ?

La presse locale mettait à l’époque l’accent sur la mobilisation des associations de soutien aux sans-papiers. La décision aurait néanmoins été prise par les équipes de Manuel Valls, qui était alors ministre de l’intérieur, comme il l’a expliqué dimanche 15 octobre sur Franceinfo. Son cabinet « a considéré que la famille, qui était là depuis plus de cinq ans, qui avait des enfants scolarisés du CP ou du CE1 à la sixième, répondait aux critères de ce qu’on a appelé la circulaire Valls concernant les sans-papiers, les expulsions d’enfants ».

Cette circulaire de 2012 prévoit en effet plusieurs situations dans lesquelles il est suggéré au préfet de faire preuve de souplesse face à une demande de régularisation d’un étranger  :

  • si celui-ci est arrivé en France mineur et est devenu majeur ;
  • si le conjoint est en situation régulière ;
  • s’il a un talent exceptionnel ou rend service à la collectivité ;
  • si les enfants sont scolarisés de manière stable.

C’est au titre de ce dernier critère que la procédure d’expulsion de la famille Mogouchkov a pu être annulée. Il fallait pour cela justifier d’une « installation durable » d’au moins cinq ans, sauf exception, et d’une scolarisation d’au moins un des enfants « depuis au moins trois ans », conditions que remplissait la famille, estimaient les associations, bien que la préfecture contestait leur assiduité à l’école.

Une fois majeur, Mohammed Mogouchkov aurait-il pu être expulsé ?

Mohammed Mogouchkov a eu 18 ans en 2021. Or l’article L631-3 du code du droit des étrangers interdit d’expulser une personne qui se serait installée en France avant ses 13 ans, ce qui était le cas de ce dernier. Néanmoins, la loi prévoit des exceptions, notamment les « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste ». C’est la raison pour laquelle l’ancien président François Hollande a estimé, lundi 16 octobre, qu’il « aurait pu être expulsé ».

Encore faut-il que ces comportements soient avérés. En 2019, le frère du terroriste présumé, Movsar, est interpellé par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui le soupçonne de diffuser de la propagande djihadiste pour l’organisation Etat islamique. Il est condamné en avril 2023 à cinq ans de prison ferme.

Mohammed Mogouchkov, lui, a été signalé par son lycée pour radicalisation en 2020. Depuis 2023, il était « fiché S ». Les services de renseignement le suivaient pour ses liens supposés avec des activités menaçant la sûreté de l’Etat – ici, le terrorisme islamiste –, fichage qui ne fait pas l’objet d’une décision judiciaire et repose sur des indices parfois indirects, comme la connaissance d’un terroriste.

Lundi 16 octobre, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a précisé lors d’une conférence de presse que le casier judiciaire de l’assaillant était vierge, que son suivi par la DGSI datait de moins de trois mois, et qu’aucune preuve de projet terroriste n’avait pu être apportée. Selon le ministère de l’intérieur, les services de renseignement ont été pris de court par « son passage à l’acte soudain ».

Aurait-il été possible de le renvoyer en Russie ?

Gérald Darmanin a fait part de son intention d’intensifier les expulsions vers la Russie. « Il y a une petite soixantaine de “fichés S” de nationalité russe, a-t-il précisé, samedi 14 octobre. Parmi eux, il y a évidemment des gens qui viennent de Tchétchénie. La consigne que nous avions, jusqu’à présent, c’était l’expulsion systématique de ces personnes qui peuvent être particulièrement dangereuses. » Le ministre a plaidé pour une « expulsion systématique » des personnes identifiées comme dangereuses.

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Mais le droit français interdit de renvoyer dans son pays d’origine un individu « s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ». De même, le droit européen proscrit les expulsions vers des pays qui pratiquent la torture sur les opposants politiques ou les minorités religieuses.

M. Darmanin a dit s’affranchir de ces considérations légales en assurant qu’« il vaut mieux, parfois, être condamné par la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme] et protéger les Français ». Mais encore faut-il que le pays d’origine accepte le retour de ces personnes.

En effet, pour expulser du territoire français une personne en situation irrégulière, qui plus est sans passeport en cours de validité de son pays d’origine, il est nécessaire d’obtenir un « laissez-passer consulaire », permettant à la personne de voyager. Et comme le précisait le ministre de l’intérieur, « les relations diplomatiques (…) entre la Russie et la France étant extrêmement limitées, pour ne pas dire inexistantes », il faudra réussir à convaincre Moscou d’accepter le retour de ressortissants radicalisés russes.

Enfin, même avec un accord de retour d’un ressortissant entre la Russie et la France, un dernier obstacle subsiste. L’absence de vol direct entre les deux pays rend l’expulsion quasiment impossible ; les autorités devraient obtenir des visas de transit par des pays tiers pour la personne expulsée, mais aussi pour son escorte.

Le 11 octobre, la cour d’appel de Paris avait dû remettre en liberté un ressortissant russe, l’administration chargée de fournir un vol n’ayant pu trouver de solution pour rejoindre la Russie, même avec une escale.

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