Daniel Cohn-Bendit : « La réaction des Gilets jaunes est une erreur de fond »

VIDÉO. L'ancien député européen salue le virage écologique d'Emmanuel Macron et réaffirme sa conviction que les pollueurs doivent payer. Quels qu'ils soient.

Propos recueillis par

Temps de lecture : 13 min


Invité de l'interview politique du Point, l'icône de Mai 68 défend contre les Gilets jaunes le principe de la taxe carbone. Il juge cependant que les mesures de compensation auraient dû être annoncées plus tôt par le gouvernement. Depuis Francfort, où nous l'avons interrogé, il réaffirme son soutien à Emmanuel Macron et, à 73 ans, se dit déterminé à donner son maximum pour soutenir la liste de LREM aux élections européennes dans six mois. Au passage, il tance les écologistes français, dont il déplore les divisions. Entretien.

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Le Point : Le mouvement des Gilets jaunes est-il juste ?

Daniel Cohn-Bendit : Ce mouvement poujadiste mélange des tas de revendications et refuse de mener le débat de fond, à savoir comment répondre de front à deux défis, la dette écologique et la dette financière. Si l'on veut être à la hauteur du challenge pour l'avenir, il faut répondre, simultanément, à ces deux questions. La réaction des Gilets jaunes face à la hausse des prix de l'énergie, même si je comprends certains problèmes qu'elle pose, est une erreur de fond, car à ce rythme-là on n'affrontera jamais la dette écologique. Il n'y aura jamais de moment opportun pour s'y attaquer !

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La fiscalité écologique, qui punit des comportements anti-écologiques, est-elle soutenable à l'heure où les impôts sont déjà à des niveaux record ?

Elle est juste et nécessaire. Elle découle du pacte écologique de Nicolas Hulot, signé par tous les candidats en 2007. Ce pacte précisait qu'il fallait taxer plus l'empreinte écologique et moins le travail, objectif qu'Emmanuel Macron a repris à son compte. Regardez le tabac. Il est admis par tous qu'il faut le taxer, car, sinon, les cancers seraient plus nombreux et les coûts de santé augmenteraient pour la collectivité. C'est pourtant injuste, car les plus affectés par la hausse du prix des cigarettes sont les plus pauvres. C'est le même principe pour la taxation écologique. Si on veut s'attaquer à la dégradation climatique, il faut changer nos comportements de mobilité.

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Faut-il pour cela pénaliser les classes défavorisées qui habitent en dehors des grandes villes et qui se déplacent en diesel pour travailler ?

Là, j'ai un reproche à faire au gouvernement. Emmanuel Macron est, avec raison, le champion du « en même temps ». Pourtant, si on augmente une taxe écologique et qu'on ne propose pas, en même temps, des allègements pour ceux qui vivent dans les territoires, pour les plus défavorisés, alors l'évolution paraît socialement injuste. Ce que le gouvernement a proposé cette semaine va dans la bonne direction. Mais pourquoi diable ne l'a-t-il pas fait en même temps ? Dès le mois d'août, un rapport de LREM le signalait. Il y a là un déficit politique du gouvernement.

Est-il juste de taxer le diesel, mais pas le kérosène des avions ?

C'est injuste et insuffisant. Aucun gouvernement n'ose taxer le kérosène, c'est un scandale écologique ! Il faut le taxer. Prendre l'avion deviendra plus cher. Ce sera socialement injuste, car, là aussi, ce sera plus difficile pour les classes moyennes inférieures qui auront du mal à se payer l'avion. Là aussi, il faudra des mesures de compensation. La taxation du kérosène, au niveau européen, incitera à moyen terme les avions à consommer moins de carburant, car toute régulation oblige les constructeurs à agir.

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Est-il cohérent qu'Emmanuel Macron taxe le diesel depuis qu'il est président alors qu'il le défendait lorsqu'il était ministre de l'Économie ?

Je ne lui reproche pas d'évoluer dans la bonne direction. Il avait tort à l'époque, il a raison aujourd'hui. Pourquoi un président de 40 ans n'apprendrait-il pas ? Il n'est pas né écologiste, moi non plus d'ailleurs. Il a été influencé par un certain nombre de personnes, notamment Nicolas Hulot. Mais Ségolène Royal qui, lorsqu'elle était ministre de François Hollande, n'a pas eu le courage de tenir face aux Bonnets rouges qui contestaient les péages écologiques, ce qui a coûté plus d'un milliard d'euros à la France, qu'a-t-elle fait pour remplacer les portiques ? Elle a augmenté le diesel. Et aujourd'hui, elle dit que ce n'est pas social !

« Il faut privilégier les petits pas. Sinon, on fait partie des perdants de l'histoire »

Placez-vous au même niveau la nécessité de maîtriser les dépenses publiques et la défense de l'environnement ?

Absolument, au même niveau. Ce sont les deux grands défis pour les générations futures. L'argumentaire de gauche qui déplore que seuls 20 % des recettes de la taxe carbone soient utilisées au bénéfice de la transition écologique, le reste allant dans le budget général de l'État, est malsain. Car pourquoi serait-ce malpropre d'alimenter le budget de l'État ? On veut des investissements partout, dans les hôpitaux, les maternités, les écoles, on veut maintenir le nombre de fonctionnaires, et on veut des rentrées moindres ! Cela ne peut pas fonctionner. Il faut moderniser et lutter contre le changement climatique, en même temps, il faut répondre à la dette financière, qui implique de réduire le déficit de l'État.

FRANCE-POLITICS-ENVIRONMENT-GOVERNMENT © Daniel Pier AFP

Nicolas Hulot a quitté le gouvernement à la fin du mois d'août 2018.

© Daniel Pier AFP
Nicolas Hulot devrait-il défendre la taxe carbone, qu'il a initiée ?

Il aurait dû parler. Il va le faire le 22 novembre à la télévision (il est l'invité de L 'Émission politique de France 2, NDLR). Je ne lui fais pas la morale. Il est un formidable catalyseur de la problématique écologique, mais il est aussi peu fait que moi pour être ministre. Il a beaucoup apporté à ce gouvernement et, à un moment, il n'a plus supporté les contraintes, et je le comprends. Je trouve qu'en partant, il n'a pas assez défendu son bilan. Et il a dit quelque chose de très critiquable, à savoir que, pour répondre à la crise écologique, il faut changer le système. Quelle erreur ! S'il faut attendre de changer le système pour répondre au changement climatique, on est foutus. Il faut privilégier les petits pas. Sinon, on fait partie des perdants de l'histoire.

Peut-on reprocher aux gens de se sentir dupés quand, pendant des années, on leur a vendu le diesel comme un carburant propre ?

Je ne leur reproche pas ça. La vraie responsabilité est du côté des fleurons de l'industrie en Europe, les constructeurs automobiles, qui se sont comportés comme des goujats.

Fait-il mettre l'industrie automobile à contribution ?

Mais bien sûr ! On a sciemment menti aux consommateurs qui ont acheté des voitures diesel. Ceux qui polluent doivent payer, ceux qui ont menti doivent payer. En Allemagne, si la coalition de Merkel est en perte de vitesse, c'est parce que les gens qui se sont fait avoir ne comprennent pas que ce soit à eux de payer (pour devoir acheter une nouvelle voiture, les villes allemandes étant de plus en plus nombreuses à décider de bannir les vieux diesels, NDLR) ! Le carburant cher, c'était le seul moyen pour faire que les voitures consomment de moins en moins. Mais à partir d'un certain moment, on a menti sur la consommation des voitures, pas seulement sur le diesel, aussi sur l'essence. Les tests étaient bidon. Je comprends la colère des consommateurs. C'est à l'industrie automobile de payer.

Pour les élections européennes de mai prochain, LREM vous propose toujours la tête de sa liste, malgré votre refus. Allez-vous finir par accepter ?

Trop, c'est trop. J'ai été député européen pendant 20 ans, j'aurai 74 ans l'année prochaine, 79 ans à la fin de la législature. On ne peut pas prétendre vouloir un renouvellement politique et me présenter ! En revanche, je ferai campagne avec En marche !, je participerai à des meetings avec eux, je contribuerai au pilotage de la campagne, je ne dirai jamais de mal des écologistes, et je me battrai pour qu'En marche ! fasse le meilleur score possible.

Les thèmes écologistes vont être bien défendus avec les listes Jadot, Royal, Batho, Hamon…

Pour eux, la mère des batailles est la transition écologique et leur programme sur le sujet est à 98 % identique, qu'on regarde ce que disent Ségolène Royal et les socialistes, ce que disent Yannick Jadot et EELV, ce que disent Benoît Hamon ou Delphine Batho. Ils me rappellent les trotskystes, qui étaient divisés en 4 ou 5 organisations, mais avaient en gros le même programme de transition. Il faut se rassembler pour avoir un maximum de poids politique. En Allemagne, par exemple, la nouvelle direction des Grünen a réussi à rassembler du centre à la gauche. Cela est efficace : le vote écologique devient un vote refuge des humanistes, qu'ils soient de gauche, centristes ou chrétiens-démocrates. De même pour la campagne que nous avions menée avec Europe Écologie aux européennes de 2009 : si on a réussi, c'est grâce à trois conditions. Premièrement, la bienveillance ; nous n'agressions pas les autres, mais défendions nos propositions. Deuxièmement, un programme écologique. Et troisièmement, une capacité de rassembler, avec des gens comme José Bové ou Éva Joly ou moi-même.

Qui a cette capacité de rassembler aujourd'hui en France ?

C'est bien le problème ! Je n'en sais rien. Les listes écologistes peuvent, toutes ensemble, espérer se partager 15 % environ. À quatre, je ne sais pas comment ça se répartira entre eux. La raison de cette dispersion tient à la folie présidentielle en France. Il suffit pour un responsable politique d'avoir un tout petit peu d'ambition pour ne plus vouloir figurer derrière un tel ou une telle sur une liste électorale, car cela pourrait nuire à ses projets présidentiels… Cette perversion du système politique français n'est pas à la hauteur du défi écologique.

Emmanuel Macron © LUDOVIC MARIN AFP

Après dix-huit mois de mandat, "Dany" continue de soutenir Emmanuel Macron.

© LUDOVIC MARIN AFP

Un tel rassemblement pour les européennes vous semble impossible ?

J'y ai pensé, mais les écologistes ne veulent pas. Il y a aussi le problème des groupes au Parlement européen, c'est trop difficile.

Donc, vous allez faire campagne pour En marche ! contre les écologistes...

Je vais faire campagne pour En marche !, mais pas contre les écologistes. Il faut que je trouve le moyen de respecter cet impératif.

Pascal Canfin sera-t-il tête de liste LREM ?

Je n'en sais rien. Il y a des discussions avec lui, avec d'autres écologistes aussi, on verra le résultat des courses. Je participe à ces discussions, j'essaye d'influencer.

« Si on arrive à constituer une armée européenne, ce qu'on a commencé avec la construction européenne se termine ; le problème de la guerre est résolu »

Quel doit être le message d'Emmanuel Macron pour les européennes ?

Les quatre vecteurs fondamentaux sont : primo la société ouverte – c'est-à-dire la démocratie –, secundo la transition écologique, tertio une nouvelle conception de l'Europe sociale, qui intègre le problème des réfugiés et des immigrés, et quarto une véritable offensive pour les jeunes en Europe. Ces quatre piliers rassemblent des sensibilités qui vont du centre droit aux écologistes en passant par le MoDem, des socialistes, etc. La liste d'En marche ! doit montrer sa capacité à rassembler, face aux défis européens.

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Un message très pro-européen est-il opportun, au moment du Brexit et des réveils nationaux identitaires ?

Plus que jamais ! À partir du moment où on partage la position d'Emmanuel Macron – qu'il faut renforcer la souveraineté européenne, que la souveraineté nationale ne sera protégée que par une souveraineté européenne – alors il faut y aller à fond.

L'armée européenne est-elle un bon thème de campagne ?

Angela Merkel a eu un argument génial cette semaine devant le Parlement européen : si on arrive à constituer une armée européenne, ce qu'on a commencé avec la construction européenne se termine ; le problème de la guerre est résolu. Avec une armée commune, la guerre est impossible. Mais comment peut-on y parvenir ? Il y a 2 millions de soldats en uniforme en Europe ! L'objectif, c'est une armée européenne de 300 000 soldats européens. Pour cela, il ne faut pas dépenser de nouvelles sommes, mais les transférer des budgets nationaux au budget européen. C'est là où ça va être difficile. À partir du prochain budget européen, une partie des dépenses de la défense nationale doit être versée au budget européen pour organiser les débuts de l'armée européenne.

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Cette armée sera-t-elle toujours dans l'Otan ?

Bien sûr ! Le vrai problème qui risque de se poser, si Donald Trump est réélu dans deux ans, est de savoir si l'Amérique restera toujours dans l'Otan. Si Trump est reconduit, toute l'architecture de sécurité mise en place après 1945 volera en éclats. Il faut qu'on s'y prépare.

Vous n'avez aucune hésitation à aider Emmanuel Macron, dont la popularité est en berne ?

Aucune, surtout pour les européennes ! Il est le seul chef d'État à avoir des idées, à mettre en perspective l'Europe. S'il n'y a pas au Parlement européen une force En marche ! capable de rassembler au-delà du groupe libéral, il aura encore plus de difficultés en Europe. On l'a bien vu lors du débat sur les listes transnationales, où il a manqué de soutien au Parlement européen.

Quelle serait la meilleure personnalité pour succéder à Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission ?

Le groupe du Parti populaire européen (PPE, conservateurs) sera vraisemblablement le plus nombreux dans le nouveau Parlement ; il proposera l'Allemand Manfred Weber. Je pense que Weber ne pourra pas réunir de majorité et je ferai tout pour l'en empêcher, parce que tant qu'il refuse d'expulser de ses rangs les députés du parti de Viktor Orbán, tout son discours sur la démocratie en Europe est hypocrite. Une alternative est Michel Barnier qui est compatible avec le PPE aussi bien qu'avec Emmanuel Macron et avec les libéraux. Barnier a une véritable capacité qu'il a démontrée dans les négociations sur le Brexit. L'autre personnalité possible, qui serait une très bonne candidate, est Margrethe Vestager. En tant que commissaire à la Concurrence, elle a fait énormément pour la régulation de la mondialisation. Si j'étais Macron, je dirais que la France va la nommer comme commissaire présentée par la France dans la prochaine Commission. Elle est danoise, mais il n'est écrit nulle part qu'un pays doit présenter un citoyen national. Ce serait un geste européen, symboliquement très fort pour les européennes.

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Mais Macron vous écoute-t-il ?

Parfois oui, parfois non.

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Commentaires (204)

  • VIVE 2022

    Le personnel politique parle dit : ''votez pour X'', ou''Votez Y''. On voit qu'ils n'ont rien compris. On va très certainement vers l'élection qui battra tout les''plus hauts''de l'abstention.

  • kdb1

    Pour rester crédible, le gouvernement devrait d'abord commencer par affecter toutes les recettes de la taxe écologique à la transition écologique et ne pas les utiliser pour chercher à boucher les trous du budget. Que sont devenues les promesses de réformes de l'Etat et des collectivités territoriales et les économies qui devaient en découler ?

  • angelopardi

    À force de compenser les taxes, on annule leurs effets positifs et dissuasifs. Et on alourdit la charge de l'état. On se tire 2 balles dans le pied.