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Enquête

Le RSI, cauchemar des travailleurs indépendants

Par Daniel Bastien

Publié le 28 avr. 2014 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Six ans après, le crash informatique qui a frappé le rapprochement du régime social des indépendants avec les Urssaf fait toujours des vagues. De gros efforts ont été engagés pour corriger cette « catastrophe industrielle », mais, fragilisé, le petit monde des TPE en subit toujours des répliques, et la confiance reste entamée.

Faites l'expérience ! » suggère le sénateur (UMP) du Loiret, Jean-Noël Cardoux : « Parlez-en à un chauffeur de taxi indépendant, et je vous promets un succès garanti ! On ne peut toujours pas évoquer le RSI devant un artisan ou un commerçant sans qu'il monte sur ses grands chevaux. » Rapporteur, depuis quelques mois, de la mission d'information sur le (dys) fonctionnement du régime social des travailleurs indépendants, le parlementaire écoute beaucoup et en entend visiblement de belles. Le sujet est hypersensible, car le système de protection sociale des artisans, commerçants et industriels indépendants (mais aussi des professions libérales pour la partie maladie) n'en finit pas d'émerger du cataclysme qui s'est abattu sur lui il y a juste six ans.

C'était en janvier 2008, au moment de la création de l'« interlocuteur social unique » (ISU), lorsque le rapprochement informatique bâclé et raté entre le RSI et les Urssaf a brutalement plongé dans l'irrationalité les relations entre les indépendants et leurs branches retraite et maladie, touchant de plein fouet une partie de son 1,7 million d'affiliés. Les deux organismes, normalement complémentaires en matière de recouvrement, de prestations et de contentieux, ne pouvaient plus échanger leurs informations... Le genre de « bug » qu'on n'imagine pas forcément dans un grand pays développé.

De gros efforts ont été faits pour remettre la machine sur les rails et des améliorations sont sensibles, mais le traumatisme est toujours là dans le petit monde des très petites entreprises (une population de 5,4 millions en comptant les ayants droit et retraités). « Le mécontentement perdure; le RSI apparaît toujours comme un chiffon rouge », constate Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale (UPA). Encore aujourd'hui, « une lettre du RSI, c'est comme une cartouche. Alors les gens ne les ouvrent même plus ! » affirme Pascal Geay, président fondateur de l'association « Sauvons nos entreprises ».

L'histoire a des allures de film de série B. La Cour des comptes a elle-même réécrit le scénario de cette « catastrophe industrielle ».« Le 28 novembre 2007, les fichiers des Urssaf ont été écrasés par les fichiers du RSI sans expérimentation préalable, ni phase de test ni retour en arrière possible », rappelle-t-elle dans son rapport de septembre 2012 sur la Sécurité sociale. « Les premiers appels de cotisations relevant de l'interlocuteur social unique ont été émis le 17 décembre 2007. Le blocage du logiciel a été constaté dès les premiers jours du mois de janvier 2008 et a duré presque trois semaines, durant lesquelles il n'y avait plus aucune possibilité de gérer les comptes », poursuit-elle. « On ne pouvait pas arrêter la machine », confirme Stéphane Seiller, qui, depuis, est devenu le directeur général du RSI. « Les professionnels étaient pris de vertige », se souvient Bruno Chrétien, directeur de l'Institut de la protection sociale, « c'était un peu comme dans "Terminator 3", quand les machines prennent le pouvoir... »

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RSI-Urssaf : le black-out

Responsable : la précipitation de l'Etat, qui courait après les économies à coups de RGPP et de simplification administrative à marche forcée et sans réel pilotage, le tout sur fond de défense becs et ongles de leur petit pré-carré par les administrations. « C'est l'exemple même du dysfontionnement de la technocratie française », estime-t-on dans un think tank, « quand on parle du RSI dans les ministères, tout le monde sursaute encore ! » La Cour des comptes y est d'ailleurs allée à coups de canon dans son rapport en parlant de « réforme mal construite et mal mise en oeuvre » et de « mésestimation complète des contraintes techniques ». L'hébétude des deux systèmes RSI-Ursaf, qui ne pouvaient pas communiquer entre eux, a, pendant les quatre ans du gros de la crise, « engendré de graves perturbations », rappelle la Cour : appels de cotisations totalement fantaisistes et incohérents (certains n'en recevaient pas, d'autres se voyaient réclamer des sommes erronées, différentes d'un courrier à l'autre, ou indues); envoi d'huissiers ou interdictions bancaires sans réels motifs mettant en péril l'activité des entrepreneurs; difficultés à faire valoir ses droits à la retraite et défaut de calcul de leurs montants (certains retraités se voyant même demander de cotiser encore à... leur retraite de base); apparition de « singletons » ( « des gens qui cotisaient pour la maladie et la CSG, mais pas pour la retraite, ou l'inverse ! », explique un haut fonctionnaire); les affiliés rencontraient encore les pires difficultés à obtenir leur carte Vitale; enfin, et surtout, une impossibilité générale de communiquer avec une institution plongée dans une situation d'autant plus ingérable que les autoentrepreneurs ont rejoint le système en 2009. Pour couronner le tout, « les assurés ne savaient jamais à qui s'adresser », reconnaît un syndicat du RSI.

Dégâts et guerre des chiffres

Les dégâts furent d'ampleur, et c'est une guerre des chiffres pour savoir combien, parmi le 1,7 million d'affiliés du RSI, ont été touchés. Pour l'organisme, de 6 à 12 %; pour le sénateur Cardoux, environ 15 %, soit l'équivalent de la totalité de la population de Nantes ou Bordeaux. Pour « Sauvons nos entreprises », de 50 à 60 %. Un récent sondage réalisé en janvier 2014 par le SDI (Syndicat des indépendants) avance enfin que 74 % des indépendants ont été confrontés au moins une fois à un dysfonctionnement du RSI.

Pour le RSI, tout ceci est aujourd'hui un peu de l'histoire ancienne. « On est vraiment sorti depuis 2013 de la crise grave. On est désormais sur une trajectoire d'amélioration », y indique-t-on. Face aux levées de boucliers, aux plaintes devant le défenseur des droits, un nouveau directeur général, Stéphane Seiller, dont l'action et le « sérieux » sont assez unanimement reconnus, a été nommé en juillet 2011 avec des moyens renforcés pour reprendre les choses en main, et des solutions ont commencé à s'organiser. Un travail de fourmi. « Nous avions écarté l'idée d'une révolution informatique, c'était trop risqué », précise d'emblée Stéphane Seiller; pour lui, « le système est désormais stabilisé, même s'il y a toujours des choses à faire ». Les équipes s'y sont attelées et techniquement les systèmes communiquent entre eux correctement . « Pour obtenir une protection sociale qui fonctionne pour les indépendants, il fallait remettre en route le système de recouvrement des cotisations et donc, faire travailler ensemble les caisses régionales du RSI et les Urssaf. Dès octobre 2011, nous avons créé de petites équipes communes en détachant chacun trois personnes travaillant ensemble sur les problèmes en mode dégradé, manuellement, avec le téléphone, et chacun face à son système informatique. C'est ce qui nous a permis de décoller », explique-t-il. « Nous avons institutionnalisé cette intégration et commencé à la généraliser en 2013. Des équipes communes RSI-Urssaf devraient couvrir tout le territoire en 2015. » Une performance pour deux institutions très « pros », mais qui, longtemps, n'ont pas voulu se parler... Stéphane Seiller rappelle par ailleurs la mise en place d'une plate-forme téléphonique pour enfin rétablir la communication avec le public, l'accès direct aux comptes via Internet, l'instauration de délais de paiement et l'institution d'un médiateur du RSI en janvier dernier. Pour le directeur général, les résultats sont là : traitement de tout le stock des dossiers en souffrance; baisse de 65 % des réclamations en 2013 par rapport à 2012; raccourcissement important des délais de traitement des affiliations, des radiations, des remboursements de trop-perçus; et « fiabilisation » des appels de cotisations. A partir de 2015, celles-ci seront d'ailleurs appelées avec un décalage d'un an par rapport aux revenus, contre les deux ans qui, auparavant, n'aidaient guère à fluidifier le système... Au total, les nouveaux dossiers litigieux ont considérablement diminué, observent aujourd'hui les parties prenantes.

Mais qu'en pense le public ? En janvier dernier, le sondage du SDI montrait que « 80 % des personnes interrogées ne constatent pas d'amélioration dans le fonctionnement du RSI ». Les experts le confirment d'ailleurs : « Le problème s'est largement amélioré, mais il n'est pas réglé », estime Bruno Chrétien. « Ce sera très, très long, mais c'est normal : il faut travailler dans la sérénité », ajoute Jean-Noël Cardoux, dont les propositions seront publiées avant la fin de l'année. Face à l'insécurité, « on met de l'argent de côté au cas où », explique ce jeune en phase de création d'entreprise. Syndicats et associations d'usagers témoignent de problèmes rémanents : la communication n'est pas « au top », des appels de cotisations incohérents continuent de tomber, souvent en retard avec « effet boule de neige », et soulèvent toujours autant de suspicion, les versements d'indemnités journalières posent souvent problème (car un indépendant en retard de cotisation ne peut rien toucher), des cartes Vitale ne sont pas attribuées, et les retraites posent problème : « A cause de l'informatique, des éléments d'information sont inexacts car perdus ou incomplets et rendent difficiles leurs calculs », indique le SDI; « on est très mauvais sur les pensions de réversion, avec un retard d'un an », explique-t-on en interne, où l'on se plaint toujours de l'informatique : « Il nous faut ouvrir 11 applications pour répondre à l'assuré. Nous n'avons pas encore l'outil adéquat. » Et mieux vaut, enfin, ne pas changer de situation, comme le fait pourtant cette population très active et mouvante...

Une remise à plat est réclamée

Surtout, si la masse des dysfonctionnements s'est contractée, l'acuité des problèmes reste pour chacun entière lorsqu'ils se posent. Et la crise économique n'arrange pas les choses : il en va parfois de la survie de l'entreprise et de la famille. « Des gens menacent de se suicider dans nos accueils », témoignent même des employés du RSI. Marches, manifestations, « la résistance se durcit et s'organise », souligne Jean-Guilhem Darré, délégué général du SDI. « Sauvons nos entreprises » réclame ainsi un moratoire et une remise à plat du RSI, et des groupements d'indépendants agitent la menace de non-paiement des cotisations maladie et retraite. Le mouvement « Les Libérés » s'attaque de son côté au monopole de la Sécurité sociale en prônant une désaffiliation sauvage (illégale) au profit de systèmes concurrents. Un mécontentement catégoriel qui rappelle les mouvements violents des années 1960, 1970 et 1980 : « Il existe dans le monde de la très petite entreprise des minorités agissantes qui peuvent être très violentes », rappelle Pierre Burban.

Signe d'une fatigue générale, plus du quart des indépendants qui sont passés à une activité salariée ou assimilée au sein de leur entreprise l'ont fait délibérément pour ne plus avoir de contact avec le RSI, révèle le sondage du SDI. Les experts, pourtant, y voient un modèle qui finira par s'imposer dans l'avenir.

Les points à retenir

En 2008, la fusion informatique précipitée entre le RSI et les Urssaf, accompagnant la création d'un « interlocuteur social unique » pour les patrons indépendants, a provoqué un effondrement du système.

D'importants efforts ont été réalisés pour corriger un écheveau d'incohérences en matière de prestations maladie et retraites, qui a gravement perturbé la vie des affiliés et mis en danger nombre de TPE.

Mais le sujet reste hypersensible. Selon un sondage récent, 80 % des personnes interrogées ne constatent pas d'amélioration dans le fonctionnement du RSI.

Daniel Bastien

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