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Au secours, je rentre en France !

Le retour d'expatriation n'est pas une sinécure: au-delà des tracas administratifs, du blues des enfants, il est parfois difficile de retrouver sa place. Beaucoup évoquent un «décalage émotionnel» avec ceux restés en France. Quelques conseils pour réussir son retour.

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Publié le 27 avr. 2018 à 01:01

Pour leur dernière soirée à Londres en juillet, Arnaud et Béatrice de Montille se sont rendus à Buckingham Palace. Rien de moins. Non que la reine ait souhaité leur dire au revoir: Elizabeth II leur a remis un trophée, le Queen's Award for Enterprise, pour Merci Maman, la société de bijoux personnalisés créée dix ans auparavant par Béatrice. «C'était la veille de notre déménagement, une sacrée coïncidence», s'étonne encore aujourd'hui Arnaud, qui se souvient avec émotion des quelques minutes d'échange avec la souveraine. «Elle nous a posé des questions sur notre aventure entrepreneuriale, c'était surréaliste!» Le lendemain, Arnaud et sa famille quittaient la capitale britannique après quatorze ans d'expatriation. Direction Lyon, d'où il est originaire.

Ce n'est pas le Brexit qui les a chassés de Londres, même si le vote en faveur de la sortie de l'Union européenne a eu «un fort impact psychologique»:«Nous nous sentions chez nous à Londres et là, d'un coup, nous avons compris que nous restions des étrangers et que le Royaume-Uni restait une île», se rappelle l'entrepreneur. Ce qui a motivé leur retour sur le continent, c'est plutôt l'envie de changement et la volonté de voir leurs enfants grandir en France. «Londres a été une grosse tranche de vie pour nous: nous sommes arrivés jeunes mariés sans enfant et nous sommes repartis avec quatre enfants et un business en pleine croissance!» Difficile de tourner cette grande page pour en ouvrir une autre? «Oui et non, sourit Arnaud. Il y a un côté difficile que nous n'avions pas du tout anticipé: se trouver un toit.» Pas d'avis d'imposition français, pas de fiches de salaire, pas de contrat de travail... Leur quête d'un logement se transforme rapidement en mission impossible. «Tous les appartements nous passaient sous le nez parce que nous ne rentrions pas dans les cases. Nous avons été obligés de proposer une garantie bancaire de douze mois de loyer.»

Ne pas rentrer dans les cases: c'est aussi l'expression qu'emploie Christine Demmel, secrétaire générale de l'association France Retour Accueil, à qui il a fallu six mois pour faire immatriculer sa voiture belge achetée en Hongrie. «Je tournais en rond, je n'étais jamais dans la bonne case. C'était infernal, raconte cette quinquagénaire qui a vécu dix-huit ans en expatriation. Après on en rigole, ça fait une bonne histoire à raconter mais sur le moment, ce n'est pas drôle du tout.» Pour Marie-Céline aussi, le retour administratif s'est révélé «extrêmement pénible et compliqué».«Il nous a fallu neuf mois pour être de nouveau affiliés à la Sécurité sociale... Nous ne sommes pourtant partis que deux ans et demi et nous n'avons pas disparu de la planète!» déplore cette jeune trentenaire rentrée de Singapour en juillet 2015 avec trois enfants en bas âge.

Tous les expatriés vous le diront: le retour en France, c'est d'abord un parcours administratif semé d'embûches. Ceux qui rentrent doivent souvent «recréer leur vie administrative presque de zéro», explique Anne-Laure Fréant, fondatrice du site retourenfrance.fr. Cette géographe de formation est devenue une spécialiste du sujet après les nombreuses difficultés rencontrées lors de son propre retour. Fin 2015, elle a participé à la mise en place du simulateur officiel Retour en France (voir encadré p. 64). C'est une belle avancée mais il y a toujours un «manque de fluidité», regrette Anne-Laure Fréant, qui prône la création d'un compte mobilité afin que chacun puisse suivre son dossier tout au long de son parcours, en France comme à l'étranger.

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On part Français, on revient expatrié

Parfois, les obstacles administratifs ont été encore plus durs pendant l'expatriation. «Mais ce n'était pas chez eux, donc c'était légitime, souligne Alix Carnot, cogérante d'Expat Communication. Là, ils reviennent chez eux. Ils auraient donc envie qu'on leur ouvre la porte. Les difficultés administratives sont pénibles à accepter psychologiquement parce qu'elles renvoient au fait d'être étranger dans son propre pays.» C'est là le coeur des problématiques liées au retour: «On part Français, on revient expatrié», analyse Betty Joly Le Cren. «On part avec nos vérités, elles sont remises en question et elles explosent en plein vol... Alors on s'en crée de nouvelles et quand on regagne la France, tout est de nouveau remis en question», résume cette quadragénaire partie sept ans en Chine puis en Inde, avec son mari et leurs deux enfants. «Cela fait trois ans que nous sommes revenus, mais je commence seulement à faire mon deuil, admet-elle, émue. Pour moi, le retour a été un déchirement.»

C'est depuis peu seulement qu'elle parvient à mettre des mots sur ce qu'elle a traversé. Le «chemin de vie incroyable» que fut pour elle l'expatriation a été brutalement interrompu. «Je suis allée à la rencontre de moi-même. J'ai ouvert des portes mais je n'ai pas été au bout du couloir», analyse Betty qui s'est reconvertie en coach à son retour. La littérature scientifique parle de «choc culturel inversé» pour qualifier le blues des expatriés. Mais pour le docteur en psychologie du travail Philippe Thorel, qui a étudié le retour de cadres expatriés par leur entreprise ou de leur propre initiative, ils vivent un bouleversement beaucoup plus large: un véritable choc identitaire. «L'expatriation est une quête très personnelle, identitaire, où s'exprime le besoin de se confronter à l'étranger pour savoir qui l'on est et de mettre au défi ses capacités», explique-t-il.

Ce choc comporte une dimension culturelle et une dimension temporelle, la dynamique identitaire s'inscrivant dans une temporalité qui démarre avant l'expatriation. Philippe Thorel a ainsi pu observer un lien entre les motivations de l'expatriation, le succès de celle-ci et la tonalité du retour. Par exemple, plus le départ est guidé par l'attrait du pays en question, plus l'adéquation culturelle est bonne et plus difficile sera le retour. «Nous étions super bien à Singapour, nous avions fait notre trou», se souvient avec nostalgie Marie-Céline, qui compare son intégration là-bas, «très rapide», à celle «plus longue et plus compliquée» lors du retour en France, à Lyon. «On se sent en décalage émotionnel avec les gens qui n'ont pas vécu l'expatriation et qui, du coup, ne comprennent pas notre vague à l'âme.» La difficulté d'en parler autour de soi, surtout dans un contexte où les expatriés sont encore vus, à tort, comme des privilégiés, explique le succès des groupes Facebook comme celui administré par Retour en France.

Demande de conseils, partage d'expérience, échange de bons plans... Plus d'une centaine de commentaires sont écrits chaque jour sur ce groupe d'entraide qui dépasse 12000 membres. Les questions sur les enfants sont récurrentes, le retour pouvant être particulièrement délicat pour eux. Ce sont des «caméléons, des étrangers invisibles», comme les définit Alix Carnot. Comme ils sont Français, aucune prise en charge spécifique n'est prévue. «L'année scolaire du retour peut se révéler difficile. Ils doivent reprendre leurs marques, se resituer socialement et linguistiquement, indique Anne-Laure Fréant. Certains enfants sont malheureux comme tout et n'arrivent pas à s'y faire.» D'autres y parviennent sans trop de difficultés. Àl'image des adultes, chacun réagit différemment.«Ma fille a très bien vécu le retour, mais ce fut plus compliqué pour mon fils, se rappelle Betty. Il est très anglo-saxon, sa première langue est l'anglais et il a du mal à comprendre le système français.» «Il y a un gros travail d'accompagnement des enfants par les parents l'année ou les deux années qui suivent le retour», constate Anne-Laure Fréant, alors même que ces derniers doivent gérer leur réintégration dans le monde professionnel.

Retourner au siège de son entreprise est loin d'être aisé, même si cela éloigne les inquiétudes financières que peuvent avoir ceux qui rentrent sans travail. «Chez les expatriés par leur organisation, il y a une frustration par rapport au niveau de responsabilité et d'autonomie confié au retour», observe Philippe Thorel, qui signale deux fois plus de démissions chez ces cadres que chez leurs collègues restés au pays. L'idéal est de déployer un accompagnement au long cours, intégrant l'avant-expatriation, l'expatriation elle-même, puis le retour, dit ce consultant qui travaille à la mise en place d'un dispositif de ce genre, baptisé Hope Experts.

Et pour les conjoints?

Chez ceux qui se sont expatriés de leur propre initiative, la frustration peut aussi être de mise à l'arrivée sur le marché du travail français. Dans ses recherches, Philippe Thorel a relevé plusieurs constantes: faible reconnaissance des compétences professionnelles développées à l'étranger, sensation que l'ancienneté est plus valorisée que la performance ou la prédominance des réseaux. Les conjoints d'expatriés - encore aujourd'hui en grande majorité des femmes - sont quant à eux confrontés à un marché du travail qui privilégie une certaine linéarité. «Ma parenthèse algérienne étonne, détonne et ne rassure pas», a ainsi pu constater Jean de Bagneux au retour d'une expatriation de trois ans en Algérie, où il avait suivi sa femme qui travaillait à l'époque pour Lafarge. Sur place, ce spécialiste de la communication a longtemps galéré avant de faire quelques missions, puis de travailler pour le numéro 1 algérien de la distribution de parfums. Une fois rentré à Paris, la galère se poursuit. Il constate que «personne ne l'attend» et que, au milieu de la quarantaine, il est «déjà classé dans les vieux».«Il a fallu se réinventer», raconte-t-il. Pour lui, ça sera la rénovation de bâtiment et la maîtrise d'ouvrage.

La place de conjoint d'expatrié peut être ingrate. «On est obligé de s'adapter à l'autre. Notre place est à la fois très importante et relativement accessoire, c'est très curieux comme sensation», décrit Christine Peres. Ayant démissionné pour suivre son conjoint à Bruxelles, elle monte là-bas un club business pour mettre les professionnels français en connexion avec les réseaux belges. Un projet qu'elle doit finalement interrompre quand il faut rentrer plus tôt que prévu, son mari ayant une nouvelle opportunité à Paris. «C'est un peu comme un avortement à chaque fois.» Déterminée à ne pas se laisser abattre, elle décide de «traiter le retour à Paris comme une nouvelle expatriation». «Je me suis dit que je n'allais pas revenir sur l'acquis mais que j'allais essayer de découvrir cette ville avec des yeux neufs, d'intégrer de nouveaux réseaux, d'aller explorer des choses inconnues. De ce fait, j'ai trouvé que c'était formidable de revenir!»

L'envie de reprendre le large...

Christine a accepté son retour, contrairement à Betty. Et c'est ce qui fait toute la différence selon la psychologue Magdalena Zilveti Chaland, qui accompagne des expatriés depuis plus de dix ans. «Si l'on est en accord avec soi-même, on est dans un élan, on arrive à se projeter dans le pays et à faire des projets d'avenir. Quand on rentre sans le vouloir, on peut être pris dans le passé, la nostalgie et les regrets et il est beaucoup plus difficile de s'investir dans le présent et dans l'avenir», analyse cette spécialiste, auteur d'un livre sur les dessous psychologiques de l'expatriation (Réussir sa vie d'expat, Eyrolles, 2015). Il arrive que le retour soit raté et que l'on ne songe qu'à repartir. Jusqu'à passer à l'acte. «Je me souviens d'un couple revenu d'Irlande avec leurs deux enfants. Ils n'ont jamais réussi à surmonter le bourbier administratif et sont repartis en catastrophe, raconte Anne-Laure Fréant. Cela les a complètement traumatisés. Ils m'ont dit qu'ils n'auraient plus jamais la force de réessayer.» L'envie de reprendre le large chatouille même ceux qui ont repris leurs marques et sont finalement satisfaits d'être de retour en France. «Nous sommes très contents d'être rentrés, d'avoir retrouvé les saisons, les réunions de famille et nos racines, assure Marie-Céline. Mais nous gardons toujours dans un coin de notre tête l'idée de repartir un jour.»

Quatre conseils clés

Considérer le retour comme une nouvelle expatriation.«C'est une nouvelle démarche migratoire, assure Anne-Laure Fréant, auteur du Guide du retour en France. Il ne faut pas penser que cela va être naturel. Ce n'est pas aussi dépaysant que le départ mais presque!» Anticiper. «Il faut à la fois anticiper le départ du pays et les changements en soi, conseille la psychologue Magdalena Zilveti Chaland. Se demander ce que l'on veut garder du pays, dire au revoir aux gens sur placeen marquant le couppar une fête. Faire le point sur ce qu'on a appris, sur son évolution personnelle.» Avoir un projet. «Réfléchir à ce dont on a besoin pour se sentir bien en France et à ce que l'on veut réaliser», suggère Magdalena Zilveti Chaland. «L'idéal est d'avoir un projet de vie discuté en amont», ajoute Anne-Laure Fréant. Garder le fil de l'expatriation.«Une fois rentré, il est bien de garder des ouvertures internationales, par exemple en rencontrant d'anciens expatriés ou des étrangers installés en France», recommande Alix Carnot, cogérante d'Expat Communication.

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Quelquesressources

Le simulateur officiel Retour en France donne, en fonction de la situation de chacun, un calendrier des démarches à effectuer, ainsi qu'une liste des documents et justificatifs à réunir.www.retour-en-france.simplicite.frL'édition 2018 du «Guide du retour en France» peut être achetée et téléchargée en pdf sur le site. Très complet, l'ouvrage signé par Anne-Laure Fréant aborde les dimensions humaine, administrativeet professionnelle du retour.www.retourenfrance.frL'association France Retour Accueil, antenne en région parisienne de la Fédération internationale des accueils français et francophones à l'étranger (Fiafe), organise des cafés-rencontres, des activités culturelles et des conférences sur le thème du retour.https://franceretouraccueil.comLe cabinet Expat Communication propose un accompagnement, le Job Booster Cocoon, pour les conjoints d'expatriés qui cherchent un emploi au retour: des réunions hebdomadaires en petit comité (8 à 10 personnes) sur un cycle qui peut durer jusqu'à onze mois. Le prochain groupe démarre le 17 mai.www.expat communication.com

essica Berthereau Illustrations: Kevin Manach

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