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La CGT a-t-elle empêché la distribution du «Point» à cause de la une sur Salvini ?

Le syndicat a empêché la semaine dernière la distribution de certains titres. Le ministre de l'Intérieur italien lui-même a affirmé que c'était en raison de la une du magazine lui étant consacrée. Le syndicat dément formellement et explique que certains éditeurs ont été pénalisés pour leur position en faveur de la réforme de la loi Bichet sur la distribution de la presse.
par Cédric Mathiot
publié le 20 mai 2019 à 17h24

Question posée par Annie J le 16/05/2019

Bonjour,

Le Point a-t-il été bloqué par la CGT en raison de la une consacrée par le magazine à Matteo Salvini ? C'est ce que l'intéressé a affirmé lui-même sur son compte Twitter… Mais les choses semblent plus complexes que cela.

L'affaire commence par un édito d'Etienne Gernelle, dans le Point de la semaine dernière, où il annonce que le magazine ne sera pas en vente cette semaine dans les kiosques de certaines villes de France, car «bloqué spécifiquement – avec deux autres journaux – par la CGT». Dans son édito, Etienne Gernelle cite aussi Paris Match et Valeurs actuelles, qui ont également été partiellement bloqués.

La CGT, et plus précisément le SGLCE (Syndicat général du livre et de la communication écrite) proteste contre la réforme de la distribution de la presse, actuellement discutée par les parlementaires, qui prévoit notamment d'ouvrir le secteur à de nouveaux acteurs et de donner plus de marges de manœuvre aux marchands de journaux. En avril, déjà, le SGLCE avait bloqué plusieurs titres pour le même motif, craignant une casse sociale, comme l'expliquait alors Libé.

Mais Etienne Gernelle voit dans le blocage de la semaine dernière une nouveauté : «Il y a cette fois-ci une dimension supplémentaire, puisque les militants cégétistes ont opéré eux-mêmes une sélection – disons-le, une discrimination – entre les titres. De quel droit ? La liberté de la presse est-elle désormais à la merci de la commission de censure de la CGT ?»

Paris Match, cité comme un des trois titres bloqués dans l'édito d'Etienne Gernelle, a également publié un communiqué.

S'il n'est pas question de censure «politique» dans les éditos du Point ou de Paris Match, certains commentateurs ne vont pas hésiter à l'affirmer.

Salvini dénonce sur Twitter la censure de la CGT

De nombreux internautes ont surtout fait le lien avec la une du Point, consacrée à Matteo Salvini… en bonne partie en raison d'un tweet de l'intéressé lui-même.

«Fou ! Le Point, l'un des principaux hebdomadaires français, me dédie la couverture et la CGT, syndicat de gauche, veille à ce que le journal soit bloqué dans les kiosques d'une vingtaine de grandes villes, dont Lyon, Nantes, Marseille, Bordeaux, Montpellier.»

Une heure plus tôt, le compte Twitter de la CGT TUI (une entreprise du secteur du tourisme, n'ayant rien à voir avec le livre) avait suggéré un lien, en se félicitant que la CGT ait bloqué le Point au regard de la une du magazine.

Le syndicat réfute tout critère éditorial

Pourtant, le SGLCE, assure n'avoir pas bloqué ces trois titres pour des raisons éditoriales. «Ce n'est absolument pas le cas, assure à CheckNews Didier Lourdez, secrétaire général du syndicat. Nous n'avons jamais fait cela. Et d'ailleurs, Marianne aussi a été bloqué, ce qui est la preuve qu'il ne s'agit pas de ciblage politique.»

De fait, Marianne a également été privé de kiosques la semaine dernière (mais le lendemain du premier jour de blocage, ce qui explique que le titre n'ait pas été mentionné dans un premier temps).

Le syndicat réfute de la même manière tout lien avec la couverture du Point. «A titre personnel, je suis bien content que ce soit ce numéro qui ait été bloqué, explique un membre du SGLCE, mais cette une n'a rien à voir. D'ailleurs, Paris Match, qui a été bloqué, faisait sa une de la semaine dernière sur les soldats tués lors de la libération des otages.»

Si le choix des titres visés n'est pas éditorial ou politique, sur quoi se fonde-t-il ? Contacté par CheckNews, un membre du SGLCE explique que le «ciblage» dépend des positions des éditeurs sur le projet de réforme de la distribution de la presse : «Les éditeurs visés sont ceux qui sont les plus demandeurs de la réforme, comme Lagardère ou les membres du Syndicat des éditeurs de la presse magazine.»

Marianne, de son côté, aurait été sanctionné pour être dirigé par Richard Lenormand (depuis le rachat du titre par Czech Media Invest, ndlr), lequel est par ailleurs président de la Coopérative de distribution des magazines de Presstalis, principal distributeur de la presse hexagonale : «Lenormand a refusé de nous recevoir pour aborder le sujet de la réforme», se justifie la même source du SGLCE. Contacté par CheckNews, Lenormand confirme une invitation, mais s'étonne de la mesure de rétorsion : «Mon secrétariat a bien reçu une demande de rendez-vous du secrétaire général du SGLCE pendant les vacances, j'imagine que j'étais contacté en tant que président de la Coopérative de distribution des magazines. Je n'ai pas répondu tout de suite à mon retour. Je n'ai formulé aucun refus… Et Marianne se retrouve bloqué. C'est pour le moins cavalier, et illégal.»

Interrogé à propos de la justification avancé par la CGT, Etienne Gernelle tempête. «Que ce soit pour notre position favorable à une réforme de la loi Bichet, ou pour notre une sur Salvini, ou pour n'importe quelle autre raison, le fait de discriminer un titre en  particulier et d'en bloquer la distribution est inacceptable et illégal, assène le directeur du Point, qui réfléchit à une suite judiciaire. Je ne suis pas un fou des procès, mais on ne va pas laisser passer ça.»

Mercredi, pour une nouvelle journée de protestation contre le projet de réforme, c'est l'ensemble des titres qui seront touchés. Les quotidiens (Libé inclus) compris.

Cordialement

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