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Nappes phréatiques

Pourquoi l’épisode pluvieux qui touche la France n’est pas incompatible avec la sécheresse

En période printanière, l’eau de pluie est captée par la végétation en pleine croissance et ne recharge pas (ou peu) les nappes phréatiques. Les niveaux de ces dernières restant trop bas, plusieurs départements restreignent déjà les usages de l’eau.
par Elsa de La Roche Saint-André
publié le 11 mai 2023 à 8h44

C’est un fait, il pleut. Exception faite des zones côtières de la Méditerranée, plus épargnées, toute la France connaît depuis plusieurs jours, et pour quelques jours encore, des épisodes pluvieux. Une météo qui apparaît, pour certains commentateurs, contradictoire avec le phénomène de sécheresse observé par les spécialistes et évoqué dans les médias, et qui a déjà motivé l’adoption d’arrêtés de restriction des usages de l’eau dans plusieurs départements.

Sur les réseaux sociaux, nombreux internautes remettent ainsi en cause les importants déficits en eau, s’appuyant, pour certains, sur des cartes de prévision météo qui annoncent de la pluie sur tout le territoire français. Ou encore, pour d’autres, sur des images filmées au cours d’averses.

La géochimiste Fabienne Trolard regrette cette «méconnaissance du cycle de l’eau». Pour comprendre la coexistence entre pluie et sécheresse, il faut retenir qu’«en ce moment, la végétation capte toute l’eau des pluies car elle est en pleine croissance», résume la directrice de recherches à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Ainsi, «une petite partie de l’eau va s’infiltrer jusqu’aux nappes phréatiques, mais sans permettre une recharge suffisamment importante pour rattraper le déficit».

«Déficit pluviométrique de l’ordre de 10 %»

De manière générale, «une part de l’eau de pluie qui arrive à la surface du sol a la possibilité de pénétrer en profondeur et de recharger les nappes» via les aquifères (les pores et fractures des roches où circule l’eau), explique Sophie Violette, hydrogéologue et directrice adjointe du laboratoire de géologie de l’Ecole normale supérieure. «La capacité à pénétrer va dépendre des conditions climatiques, donc à la fois de la quantité d’eau qui tombe, des propriétés du sol et de sa couverture végétale.» Sophie Violette précise : «Les plantes, pour assouvir leurs besoins nutritifs, puisent de l’eau dans le sol», puis l’évacuent en partie sous l’effet de la chaleur – l’«évapotranspiration».

De ce fait, «c’est pendant l’hiver, lorsque la végétation est au repos, que son utilisation de l’eau apportée dans le sol par la pluie est minimale», poursuit l’hydrogéologue. C’est ce que l’on appelle la période de «recharge». Or «la France a subi une sécheresse météorologique préoccupante cet hiver», relève Météo France, dans une analyse publiée mi-avril. Autrement dit, de manière globale, la pluie est faiblement tombée à travers le territoire. «Sur la saison de recharge 2022-2023, la pluviométrie à l’échelle de la France présente un déficit de l’ordre de 10 % (-53 mm)», estime Météo France. Néanmoins, «après un assèchement très précoce des sols dès la mi-janvier et jusqu’en février […], les sols se sont réhumidifiés grâce aux précipitations des mois de mars et avril».

Sauf que le retour des pluies a coïncidé avec l’arrivée du printemps, qui s’accompagne d’une croissance de la végétation. Depuis, «l’eau qui arrive à la surface du sol est quasiment utilisée uniquement pour assurer cette croissance végétative», signale Sophie Violette. Les perturbations récentes ont donc le mérite de limiter la sécheresse des sols et de profiter à la végétation : «Avec ces pluies, on est en train de sauver la saison agricole 2023», analyse Fabienne Trolard. En revanche, les nappes phréatiques n’ont plus, sauf phénomènes exceptionnels, vocation à être alimentées. On parle de période de «déstockage», susceptible de s’accentuer avec le retour de la chaleur et la pression des activités humaines telles que l’irrigation.

La recharge des nappes menacée par «un décalage»

Au 1er avril, alors que la période de recharge s’achevait, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) constatait une aggravation des déficits dans les nappes d’eau souterraine. «L’ensemble des nappes affichent des niveaux sous les normales et 75 % des points d’observation sont modérément bas à très bas. La situation en fin d’hiver est plus déficitaire que l’année dernière (58 % des niveaux sous les normales en mars 2022)», soulignait le service géologique national. Cette sécheresse hydrologique pourrait encore empirer au cours de l’été à venir, pour lequel le BRGM anticipe «des niveaux bas à très bas» ou «des niveaux sous les seuils d’alerte, entraînant la prise d’arrêtés de restriction des usages de l’eau».

Déjà, vingt départements français sont concernés, en ce début de mois de mai, par des mesures de restriction en raison du manque d’eau. Le niveau maximal, dit de «crise», a même été décrété dans des territoires des Bouches-du-Rhône, du Gard, du Var, et plus récemment dans une grande partie des Pyrénées-Orientales, le département le plus sévèrement touché par la sécheresse.

L’évolution de la situation dans les prochains mois dépendra des «aléas de la météo», et reste donc difficile à prévoir, note Fabienne Trolard. «Quand il y a des forts phénomènes pluvieux pendant les périodes estivales, des mécanismes de recharge vont s’opérer, complète Sophie Violette. Mais ça reste très aléatoire, et la quantité d’eau qui pénètre dans les nappes reste très en deçà de ce qui peut rentrer pendant les périodes hivernales.»

A plus long terme, la recharge des nappes est menacée par un «décalage de l’arrivée des précipitations vers les mois de printemps» qui, pointe le professeur Violette, s’observe depuis plusieurs années et constitue «un signal d’alerte que le climat est en train de changer». S’y ajoute une seconde tendance, évoquée par Fabienne Trolard : une hausse progressive du déficit pluviométrique mesuré chaque année, qui pourrait atteindre «15 % d’ici à 2030-2040».

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