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Critique

«Astérix et Obélix», le pire du milieu

La gigaproduction de Guillaume Canet, chargée de redonner vie au cinéma français en remplissant les salles à ras bord, a les épaules bien trop frêles pour cette tâche. Gorgée d’un trop-plein d’idées qui tombent à plat, la marmite de potion se révèle bien froide.
par Lelo Jimmy Batista et Marie Klock
publié le 31 janvier 2023 à 10h03

66 millions d’euros, 950 copies, 500 figurants, des costumes «teints avec des pigments anciens à la main dans des chaudrons», des décors grandioses, annoncé pour un tournage en Chine, finalement replié dans le Puy-de-Dôme… Astérix & Obélix : l’Empire du milieu, huitième production française la plus chère de l’histoire, est le mastodonte de la semaine et ambitionne très ouvertement d’être celui de l’année. Et même plus encore : de sauver le cinéma français en faisant revenir les spectateurs en masse dans les salles. De quoi donner des sueurs froides à son réalisateur et acteur principal, Guillaume Canet, déjà un peu échaudé en 2021 par le score de Lui, un film sur… lui en 2021 (moins de 190 000 entrées). En proie à une terreur nocturne, il appelle sa co-vedette, Gilles Lellouche.

— Allô Gilles ? C’est Guillaume. Ça va pas. J’ai l’impression qu’on a fait une grosse connerie.

— M’enfin Guillaume, meuh non ! T‘inquiète pas, ton copain est là, on est copains toi et moi, oh oui, copains pour la vie.

— Gilles, t’es chiant, t’es encore dans ton perso…

— Désolé, frérot. Après l’étape Daniel Day-Lewis dans Bac Nord, je suis en plein dans ma période De Niro, c’est pas simple, tu sais.

— T’excuse pas, vieux. T’es un super Obélix. C’est pour ça que t’es le seul à qui je peux parler. Y a que toi qui tiens debout dans ce film.

[Guillaume Canet fond en larmes, s’enfourne un travers de porc dans la bouche en sanglotant.]

— Ressaisis-toi, frérot. Tu sais ce qu’on a vécu là-bas. Maintenant c’est fini, il faut aller de l’avant. Penser positif.

— Mais y a quoi de positif, Gilou ? Des personnages chinois qui s’appellent Tofu, Banane et Rikiki ? Des bastons que Josée Dayan à côté c’est Tsui Hark ? Une actrice principale qu’on qualifiera pudiquement de «peu préparée» ? Même Jonathan Cohen et Ramzy Bedia sont dans les choux. Je me suis planté, Gilou.

[Guillaume Canet débouche un tonneau de cervoise.]

— T’exagère mon Guigui. Cohen réussit à sauver deux ou trois répliques – et pourtant il est pas aidé. Et puis il est pas mal en blond.

— Oui mais moi, pourquoi je me suis foutu une perruque sur la tête, moi ? Pourquoi personne m’a dit que j’avais l’air d’un arrière droit de la Mannschaft période Beckenbauer ?

— Non mais ça fait ton charme aussi, cette maladresse, tu sais. Vraiment, tu as très bien fait de suivre les ordres de Maître Seydoux et de prendre ce rôle plutôt que celui de Jules César que tu voulais à la base. Parce que Vincent Cassel, meilleur Jules César de l’histoire, vrai ou pas ?

— Vrai. Mais pourquoi je lui ai mis en bouche des trucs affligeants comme ça ? La musique qui fait «tching-tching-tchong», même Michel Leeb il fait plus ça.

— En même temps, c’est toi qui as voulu dégager les scénaristes pour tout réécrire. Mais bon, t’as un casting dément quand même, non ?

— Genre qui ? McFly et Carlito ? Qui sont à l’écran douze secondes pour un rôle qui consiste à hausser les épaules en costume de légionnaire ?

— Non mais Orelsan en Johnny Depp, ça c’est un bon crossover, personne y aurait pensé. Et puis Zlatan Ibrahimovic, ça en jette.

— Sauf que plus personne sait qui c’est. Et qu’il a fallu justifier sa présence avec deux scènes dix fois trop longues qui ont l’air d’avoir été tournées à Boulogne-Billancourt sur fond vert. Et qu’il a appris son texte en phonétique, qu’il butait sur chaque putain de syllabe mais qu’il me faisait tellement peur que j’ai pas osé lui redemander de refaire une prise. Mais qu’est-ce qui m’a pris, oh, qu’est-ce qui m’a pris ?

[Guillaume Canet s’enfile un jambonneau au fond du gosier, plonge la tête dans une nouvelle barrique de cervoise.]

— Mollo mon Guigui, tu vas te choper une cirrhose comme Chicandier. Ecoute, y’a quand même José Garcia. Il en fait des caisses mais bon, un Brésilien fou qui chronique les exploits de César en temps réel, c’est beau ça non ?

— Moui…

— T’es down, frérot.

— Mais évidemment que je suis down. J’ai fait un film avec trop de tout – trop de têtes connues, trop de thunes, trop de cuistots aux fourneaux qui inspectent chaque virgule. Ça n’aurait pas dû être un film.

— Ça aurait dû être quoi ? Un mail ?

— Non, un barbecue. Ou un genre de spectacle caritatif en prime time pour Noël, le truc qui tourne en fond sur la télé dans la pièce d’à côté pendant que tu essaies de tenir deux conversations tout en gardant un œil sur le petit dernier. Des spectacles de magie, des paillettes, du bruit, vite balancé, frais, spontané, sans prétention. Et avec quoi je me retrouve au final ? Le grand machin qui doit sauver le cinéma français ?! Mais enfin, Gilou, c’est un guide de tout ce qu’il ne faut pas faire : pas de rythme, pas de dialogues, pas de mise en scène, pas de scénario, un discours anti-végan surpérimé et Manu Payet ! La 7e Compagnie au clair de lune, à côté, c’est du Lubitsch. Franchement, plus ça va et plus je me demande si c’était pas… ah attends Gilou, j’ai un double appel — oui ?

— Salut Guillaume, c’est Cyril Hanouna… Je voulais savoir, pourquoi tu m’as pas mis dans ton casting ? Je comprends pas. Je t’ai invité sur Europe 1 il y a dix ans, moi… Je pensais qu’on était amis… C’est dommage…

— Ecoute Cyril, je…

[On tambourine à la porte. Guillaume Canet titube vers l’entrée, tenant d’une main son pantalon de pyjama taché de cervoise.]

— Gilou, c’est toi ?

[La porte cède, des silhouettes cagoulées se ruent dans la pièce, plaquent Guillaume Canet au sol et hurlent des choses inintelligibles en mandarin, parmi lesquelles il ne saisit qu’un mot avant de s’évanouir : «tofu».]

Astérix et Obélix : l’Empire du Milieu de Guillaume Canet, avec Guillaume Canet, Gilles Lellouche, Vincent Cassel… 1h52.
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