TRIBUNE

L’obsolescence programmée d’Uber à Paris

Pour des raisons environnementales, sociales et de congestion automobile, il faut que la capitale puisse suivre les exemples de Londres et New York et réguler très fortement l'activité des grandes plateformes de VTC.
par Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, président de Paris en commun et Christophe Nadjovski, adjoint à la maire de Paris et membre de Paris en commun
publié le 19 décembre 2019 à 8h29
(mis à jour le 19 décembre 2019 à 18h00)

Tribune. Partout où l'entreprise est encore autorisée à opérer, Uber ne s'est jamais privée de communiquer que son activité permettait de réduire le trafic motorisé et les pollutions associées. Pourtant, à New York comme à San Francisco, des études récentes ont montré que les plateformes de «ride-hailing» (qu'on pourrait traduire par «course à la demande»), principalement Uber et Lyft, étaient à l'origine d'une hausse estimée entre 50% et 60% de la congestion dans le cœur des villes au cours des dernières années. Globalement, dans le cas des Etats-Unis, le constat est sans appel : la croissance du volume de trajets opérés par ces plateformes n'a eu aucun effet sur le recul du nombre de véhicules individuels en circulation, tout en se substituant aux transports en commun, à la marche et au vélo.

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En Europe, hélas, il est impossible de conduire de telles études pour une raison très simple : les centrales de réservation de VTC, à commencer par Uber, refusent de communiquer les données pertinentes. Pourtant, les recherches conduites indiquent que la situation n'est pas bien meilleure. Dans une étude publiée récemment, l'ONG Transport et Environnement a relevé des faisceaux d'indices montrant que les plateformes de VTC participaient à l'augmentation de la congestion et de la pollution dans les grandes villes européennes. Uber affirme que 20 000 véhicules connectés à sa plateforme circulent dans Paris. En réalité, ce chiffre est plus proche de 40 000, sans compter les quelque 15 000 faux chauffeurs ayant acquis frauduleusement leurs licences. Tous ces véhicules sont responsables d'une congestion accrue – on estime qu'ils représentent environ 10% du trafic dans le centre de Paris – et d'une hausse des émissions de CO2, sans parler de l'augmentation des polluants locaux tels que les oxydes d'azote et les particules fines. En effet, 90% des véhicules utilisés pour la plateforme Uber sont des véhicules diesel, aux normes Euro 5/6 dont les filtres à particules sont trop souvent dysfonctionnels. D'après des mesures que nous avons effectuées à Paris avec l'ICCT (International Council on Clean Transportation) à l'été 2018, ces véhicules diesel peuvent émettre jusqu'à 4 fois plus d'oxyde d'azote que les seuils prévus par la réglementation.

Les nuisances causées par les plateformes numériques sont non seulement environnementales mais aussi sociales. L’an dernier, New York a imposé à Uber et Lyft de geler le nombre de licences et a imposé un péage urbain, des règles pour limiter la circulation à vide ainsi qu’un salaire minimum. Londres vient d’aller plus loin en retirant sa licence à Uber parce qu’elle n’est pas en mesure de garantir que les chauffeurs ont leur permis.

A Paris également certains titulaires de licence de VTC prêtent leur véhicule à des personnes non autorisées. Les chauffeurs d'Uber qui manifestent aujourd'hui dénoncent ces pratiques ainsi que le recours à des fausses cartes et des tarifs de courses «indignes». Seule une régulation locale mettrait fin au cercle vicieux dans lequel sont enfermés les chauffeurs et dont nous subissons, à travers l'air que nous respirons, les conséquences. Une régulation réelle permettrait aussi de garantir des revenus décents aux chauffeurs, tout autant qu'elle réduirait la congestion et la pollution de nos villes.

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A la différence de New York et Londres, la ville de Paris n’a aucun pouvoir ni de contrôle ni de sanction. La loi doit changer et permettre à Paris, Lyon et Marseille d’octroyer des licences qui prévoient des prescriptions en matière environnementale, sociale, de sécurité et de formation des chauffeurs. Nous devons pouvoir obtenir des licences et être en capacité de fixer le nombre de VTC autorisés.

Et si la loi elle-même est obsolète, nous sommes décidés à la faire changer, quitte à saisir les tribunaux comme nous l’avons fait en 2018, quand le tribunal de l’Union européenne a donné gain de cause au recours déposé par Bruxelles, Madrid et Paris contre la Commission européenne pour les seuils jugés trop élevés d’émission de polluants fixés pour les véhicules diesel. Nous mettrons en œuvre tous les moyens juridiques et politiques à notre disposition pour obtenir des centrales de réservation les données relatives à l’impact réel sur la qualité de l’air. Nous poursuivrons celles qui font circuler le plus de véhicules polluants afin de les pousser à retirer ces véhicules bien avant 2024.

Nous nous réjouissons du succès des véhicules hydrogène Hype – bientôt 600 en circulation dans le Grand Paris –, ainsi que de l’augmentation de la part d’électrique chez les principales compagnies de taxis : 1 200 taxis électriques ou hybrides rechargeables déjà à Paris. Alors que certains chauffeurs expriment leur crainte de la panne sèche, l’arrivée prochaine d’une nouvelle concession de bornes de recharge rapide d’ici fin 2020 devrait les rassurer et les convaincre de participer à cette transformation aujourd’hui indispensable pour la santé des Parisiens et des Parisiennes.

Nous devons aller encore plus loin et élargir l’offre de transport en commun en nous appuyant sur les atouts du transport à la demande et les enseignements que nous avons pu tirer des plateformes numériques. Ce qu’a su faire Uber, c’est de produire un algorithme qui multiplie par 5 à 7 fois le nombre de courses réalisées par un même véhicule grâce à un déploiement optimal des flottes. Aujourd’hui, n’importe quelle autorité publique peut produire un algorithme similaire et faire mieux qu’Uber en l’utilisant en complément des transports en commun afin d’élargir l’offre de mobilité.

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Rien de ce que propose Uber n’est suffisamment sophistiqué pour ne pas être mené par une ville, en mieux. Nous pourrions faciliter la mise en place d’une offre de minibus propres et de véhicules avec chauffeur partagés à des coûts plus faibles que des lignes de bus fixes sur des parcours où la demande est insuffisante pour une offre classique de transport en commun. Nous proposons de lancer des appels à candidature pour répondre aux besoins de mobilité qui ne trouvent pas aujourd’hui de réponse satisfaisante : dessertes de quartiers excentrés aux heures creuses de jour, desserte de nuit sur toute la métropole, sur le dernier kilomètre en rabattement vers les gares. Les pouvoirs publics peuvent faire des offres directement intégrées dans les tarifications des transports publics sans renchérir le coût global du système, grâce aux optimisations des trajets et à un taux d’usage accru des transports publics. Cette approche permettra, dans un esprit de service public, de proposer des tarifications réduites en priorité pour les personnes à mobilité réduite.

Il est grand temps que l’Etat prenne conscience que la prolifération incontrôlée des VTC dans les villes représente une atteinte gravissime à la santé et la sécurité des habitants. Seule une régulation à l’échelle territoriale est efficace et permettra de répondre finement aux besoins de mobilité dans les différents territoires.

Texte modifié à 18 heures le 19 décembre à la demande des rédacteurs.

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