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Entre droite et extrême droite, «Valeurs actuelles» n'a «pas de chapelle»

L'hebdomadaire fête ses 50 ans avec une nouvelle formule. Plébiscité par un lectorat «antisystème» et «antipartis», il assure qu'il ne roule pour aucun candidat.
par Alain Auffray, Dominique Albertini et Jérôme Lefilliâtre
publié le 6 octobre 2016 à 15h28

Scènes étonnantes, mercredi soir, dans l’imposante salle Turenne de l’hôtel des Invalides. Près du buffet, sous d’immenses fresques à la gloire des campagnes militaires de Louis XIV, voilà Eric Zemmour, Patrick Buisson et Philippe de Villiers. Une grande discussion réunit les trois plumes les plus prolifiques de la droite extrême. Ils sont détendus, souriants, manifestement ravis d’être ensemble et de s’attirer tant de regards bienveillants.

Près de 500 personnes sont venues fêter les 50 ans de Valeurs actuelles, l'hebdo qui prétend pourfendre «la bien-pensance» et s'imposer ainsi comme le carrefour de toutes les droites. A en juger par la diversité des personnalités présentes, ce pari n'est pas loin d'être tenu. Jean-François Copé côtoyant Elisabeth Levy ; Philippe Martel, ancien conseiller de Marine Le Pen en grande discussion avec Pierre Lellouche ; plusieurs lieutenants sarkozystes, Eric Ciotti et Guillaume Larrivé, encaissant stoïquement, tout au long de cette soirée, les cruels sarcasmes sur Sarkozy pour qui, décidément, «ça ne va pas fort».

Hors les murs

On aperçoit surtout Marine et Marion Le Pen, entourées de quelques proches. Pas toujours détendue face à la presse, la présidente du FN bavarde volontiers, ce soir-là, avec les journalistes. Celle que l'on dit pleine de préventions face à la droite veut bien reconnaître qu'elle se trouve en terrain ami : «Sur les grands choix de civilisation, nous avons certainement des points communs avec le lectorat de Valeurs actuelles. Nous sommes sur la même rive, et je veux rassembler tous ceux qui sont sur ma rive.»

D'après Yves de Kerdrel, le directeur de Valeurs actuelles, le lectorat de l'hebdo est en effet «extrêmement éclaté». «Nous l'avons testé dans une étude qualitative au printemps, raconte le journaliste, que Libération a rencontré mardi. Il voterait à 16% pour Nicolas Sarkozy, 11% pour Alain Juppé, 11% pour Marine Le Pen, 8% pour François Fillon, 8% pour Marion Maréchal Le Pen… Mais ceux qui ne se reconnaissent ni dans le FN ni dans la droite républicaine représentent plus de 50%. Notre lectorat est antisystème et antipartis.» Conséquence : le magazine ne se rangera derrière aucun candidat lors de la primaire de la droite et du centre ou de l'élection présidentielle. «On n'est pas dans une chapelle, assure Kerdrel. Les préoccupations de nos lecteurs, qui viennent à 80% de province, ne sont pas politiques mais sociétales. Ils veulent qu'on leur parle "théorie du genre", "famille", "école", "islam".» Cette profession de neutralité est à prendre avec des pincettes, tant le journal a été suspecté d'accointances sarkozystes depuis que Kerdrel en a pris les rênes fin 2012.

Ventes en augmentation

Propriété de l'industriel franco-libanais Iskandar Safa, associé aux journalistes Etienne Mougeotte et Charles Villeneuve, Valeurs actuelles dit vouloir creuser son sillon dans la presse, aux confins obscurs de la droite hors les murs, surtout la plus dure. Condamné deux fois en trois ans pour provocation à la discrimination, la haine et la violence, l'hebdomadaire continue de cartonner : entre juillet 2015 et juin 2016, les ventes ont grimpé de 5% sur un an, pour s'établir à 124 000 exemplaires par semaine en moyenne d'après l'ACPM. Quand Kerdrel est arrivé fin 2012, le magazine publiait 87 000 exemplaires… Le chiffre d'affaires devrait atteindre 19 millions d'euros en fin d'année pour un résultat net espéré de 1,7 million. Soit une marge de 8%, qui fait frémir d'aise Kerdrel et détonne dans le monde actuellement déprimé de la presse écrite.

Pour accélérer la tendance, une nouvelle formule du titre est lancée ce jeudi, avec Hollande «le magouilleur» en couverture (et un prix d'achat passant de 4,30 à 4,90 euros). Sous l'égide de son nouveau directeur de la rédaction, Geoffroy Lejeune, 28 ans, Valeurs actuelles, dont l'équipe rédactionnelle (22 journalistes) a été largement renforcée et rajeunie cette année, vise 200 000 exemplaires en 2020. «Dans l'étude qualitative, les lecteurs pointaient le fait qu'on était un peu légers sur la partie enquêtes et reportages, indique Geoffroy Lejeune. Il y a une demande pour plus de fond, plus d'exigence journalistique, moins de commentaire et d'opinion. Nous allons mettre l'accent sur l'information.»

De l'info, de l'enquête, du journalisme ? Mardi, la Voix du Nord épinglait les exagérations de Valeurs actuelles dans l'un de ses articles, qui évoquait des «scènes de guérilla à Arras», rempli selon le quotidien régional d'«informations détournées voire inventées» et de «termes outranciers». Pas de bol.

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