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Etat d'urgence

Petit couac sur le pass sanitaire et grosse crise de couple entre le Modem et LREM

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Les centristes ont voté contre l’article créant un pass sanitaire à l’Assemblée, conduisant le gouvernement à revoir sa copie pour boucler un deuxième vote dans la nuit. Une crise inédite au sein de la majorité qui n’aura pas de conséquences sur la sortie de l’état d’urgence, mais qui révèle les tensions grandissantes entre les deux partis.
par Jean-Baptiste Daoulas
publié le 11 mai 2021 à 22h08
(mis à jour le 12 mai 2021 à 7h13)

«Ça va, je suis encore vivant… mais je vais m’attirer quelques foudres avec ce qui s’est passé», souffle Philippe Latombe mardi en début de soirée. Quelques minutes plus tôt, le député de Vendée, responsable du groupe Modem sur la loi de sortie de l’état d’urgence sanitaire, a mis une sacrée beigne au gouvernement. Les centristes ont voté comme un seul homme contre l’article créant un pass sanitaire. On appelle ça un gros couac.

La raison de cette crise de couple de couple inédite au sein de la majorité parlementaire ? Il y en a plusieurs, et plus ou moins avouables. Sur le fond, les députés du Modem rongent leur frein depuis l’ouverture des débats, lundi après-midi. Ils demandent que la période transitoire de sortie de l’état d’urgence s’arrête le 30 septembre au lieu du 31 octobre ? Rejeté. Que les discothèques aient une perspective de réouverture grâce au pass sanitaire ? Rejeté. «Nous avons voulu manifester que l’on n’était pas entendu depuis plusieurs semaines, et que plusieurs points du texte ne nous allaient pas», poursuit Latombe pour justifier le vote de son groupe.

«Ce soir, nous avons envoyé un message politique»

«Il y a derrière tout ça beaucoup de considérations de popol. Le fond du sujet n’est pas tout à fait l’état d’urgence sanitaire», recadre un conseiller macroniste. Les sujets de frustration se sont accumulés au cours des derniers mois. La proportionnelle chère à François Bayrou et au patron du groupe Modem, Patrick Mignola, a été repoussée aux calendes grecques. La constitution des listes aux élections régionales, où le Modem compte de nombreux sortants grâce à ses accords avec Les Républicains en 2015, a aussi obligé les centristes à se serrer la ceinture. Jusqu’à se trouver moins bien traités que d’autres partis de la majorité présidentielle, comme la droite modérée d’Agir. «Ce soir, nous avons envoyé un message politique. C’est nous qui faisons la majorité à l’Assemblée nationale, et pas Agir», revendique un élu centriste. De fait, les troupes de François Bayrou ont donné une petite leçon d’arithmétique à leurs camarades de la République en Marche. Depuis que les macronistes ont perdu leur majorité absolue au printemps 2020, ils ne peuvent se passer des 58 membres du Modem pour les votes les plus serrés. C’était le cas de l’article premier de la loi sur la sortie de l’état d’urgence sanitaire, rejeté par 108 voix contre 103.

Un couac à peu de frais. Comme il en a le pouvoir, Jean Castex a annoncé au 20 heures de France 2 que son gouvernement demanderait une deuxième délibération dans la soirée. En réalité, le Premier ministre est entré sur le plateau de la chaîne publique quelques minutes après qu’un accord ait été trouvé avec le Modem en coulisses. Dans la nuit, l’Assemblée nationale a donc finalement adopté le projet de loi modifié. Le gouvernement a été contraint de revoir l’article premier du texte. En guise de gage aux alliés centristes, l’exécutif a accepté d’écourter la période de transition pendant laquelle des restrictions de libertés restent à sa disposition face à la pandémie, du 2 juin à fin septembre, plutôt que fin octobre. «Je rappelle que l’an dernier, l’épidémie a repris en octobre», grince une conseillère politique macroniste, ulcérée que le Modem se soit emparé d’un texte aussi sensible pour faire un coup politique.

Ainsi réécrits, l’article premier et le projet de loi, voté par 208 voix contre 85, ont été adoptés en première lecture. Le Sénat s’en emparera en séance le 18 mai. Seule vraie victime collatérale : l’audition de Gérald Darmanin devant la commission des lois, déjà repoussée de 17 à 21 heures à cause du retard pris dans l’hémicycle, a été supprimée.

La séquence révèle surtout au grand jour un défaut de cohésion et de gestion de la majorité par l’exécutif. «C’est moche, mais c’est la faute du gouvernement. Ils auraient pu dealer un truc plus tôt avec le Modem», regrette un assistant parlementaire LREM. Le coup d’éclat a été précédé de nombreux signaux d’alerte. «Quelques personnes à LREM ont la tentation incontestable de mépriser, de se passer de leurs alliés», pointait ce mardi Patrick Mignola dans le Figaro. En début d’après-midi, les députés LREM de la commission des lois ont échangé sur le risque d’un vote négatif et en ont informé le gouvernement. Sans que les doléances des centristes ne soient traitées. Un conseiller de l’exécutif assure toutefois à Libération qu’une crise bien plus grave a été désamorcée par le gouvernement. Selon lui, des centristes étaient prêts à faire capoter l’ensemble du texte au cours du vote solennel. Plus qu’une révolte, une révolution.

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