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Libération
Inquiétudes

Après des menaces ou la découverte d’une arme à feu, des enseignants et agents de lycées à Besançon et Libourne ont cessé le travail

Cette semaine, les personnels de deux établissements ont fait valoir leur droit de retrait face à un «climat scolaire extrêmement dégradé». Selon les syndicats, les académies ne prennent pas suffisamment la mesure du danger.
par Juliette Delage
publié le 8 décembre 2023 à 21h21

Les menaces devenaient trop importantes, la violence trop prégnante. Cette semaine, à quelques jours d’intervalle et dans deux lycées différents, plusieurs enseignants et agents techniques ont fait valoir leur droit de retrait, craignant pour leur sécurité et celle de leurs élèves. A Libourne (Gironde), près de la moitié des professeurs du lycée Jean-Monnet ont cessé d’assurer leurs cours depuis le lundi 4 décembre, après la découverte, entre les murs de l’établissement, d’une lettre anonyme menaçant de mort une professeure et les lycéens d’origine arabe.

De l’autre coté de la France, ce vendredi 8 décembre, une partie du personnel enseignant et des agents techniques du lycée Jules-Haag, à Besançon (Doubs), se sont rassemblés devant le site Marceau de l’établissement, pour dénoncer l’insécurité régnant à l’intérieur. Mi-octobre, une enseignante avait signalé qu’un élève avait exhibé un gros couteau en cours. Puis, à la fin du mois de novembre, un pistolet de calibre 9 mm, chargé, avait été découvert à l’internat, conduisant à l’interpellation d’un élève, désormais sous contrôle judiciaire jusqu’à son procès prévu en février. «Ce droit de retrait est plus guidé par l’anxiété et par l’émotion que par un réel danger grave et imminent», a réagi auprès de Libération le rectorat de l’académie de Besançon, après être revenu sur ces évènements.

Reste que quelques semaines après l’attentat terroriste d’Arras, au cours duquel Dominique Bernard a été poignardé à mort, et trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, l’inquiétude est bien réelle. «L’école est attaquée, les collègues sont inquiets, le climat scolaire extrêmement dégradé. En face on n’a que des discours, regrette Maitane Cocagne, secrétaire adjointe du SNES-FSU Bordeaux, principal syndicat du secondaire. Mais il faut arrêter les discours. Ce qu’on veut, ce sont des vrais moyens.»

«Ni rassurés, ni écoutés»

Les professeurs du lycée Jean Monnet, à Libourne, devraient reprendre le chemin des salles de classe dès lundi. Ils restent, «sidérés», «outrés» par la missive «odieuse» retrouvée dans leurs locaux, rapporte Maitane Cocagne, secrétaire adjointe du SNES-FSU Bordeaux, principal syndicat du secondaire. La lettre «comportait des menaces de mort à destination d’une enseignante, nommée, et de certains élèves en raison de leurs origines ethniques. Elle précisait que les menaces devaient être mises en exécution dans la semaine», explique encore la représentante syndicale. La direction du lycée a déposé plainte et une enquête est en cours. «Nous avons mobilisé, dès mardi [5 décembre au] matin, une équipe mobile de sécurité à l’intérieur du lycée, ainsi que des agents de la gendarmerie et de la police municipale présents à ses abords», indique Frédéric Fabre, directeur académique adjoint des services de l’Education nationale en Gironde, qui est allé mercredi soir à la rencontre des professeurs.

Analyse

Le rectorat a par ailleurs ouvert une cellule d’écoute à leur destination. «Nous condamnons fermement et sans équivoque ces propos haineux et apportons notre soutien à l’équipe pédagogique», insiste Frédéric Fabre. Des mesures et des mots «insuffisants» et loin d’être «à la hauteur de l’enjeu», pour le SNES-FSU. «Nos collègues ne se sentent ni rassurés, ni écoutés. On ne sait pas qui est l’auteur de cette lettre, il aurait fallu une fermeture administrative», poursuit Maitane Cocagne. Le personnel du lycée espère «des moyens de vie scolaire supplémentaires pérennes», afin «d’apaiser les tensions, notamment celles qui pourraient apparaître après la désignation d’un groupe ethnique dans cette lettre.»

Crainte de règlements de comptes

Surtout, le droit de retrait, pourtant voté dès lundi à l’unanimité à Libourne, risque de ne pas leur être accordé entièrement par le rectorat. «Il ne s’appliquera que pour la journée du lundi, confirme Frédéric Fabre. Nous considérons que toutes les mesures nécessaires ont ensuite été mises en place pour garantir la sécurité des enseignants et des élèves.» Ils seront considérés comme grévistes, et une partie de leurs salaires pourrait ainsi leur être retiré pour «service non fait», «alors même qu’ils étaient exposés à un danger grave et imminent», déplore Maitane Cocagne. «Avec un tel appel au meurtre pour des raisons racistes […] nous craignons l’installation d’un climat très conflictuel, pouvant occasionner des rixes, des règlements de comptes, avec issue tragique», souligne un communiqué du personnel éducatif.

A Besançon, la situation reste elle aussi compliquée, malgré la flopée de mesures sécuritaires déployées par le rectorat et la région. Selon le rectorat, l’installation d’un système de vidéosurveillance et d’une gâche électrique sur la porte d’entrée, permettant le verrouillage à distance, est en cours. Là aussi, la secrétaire générale de l’académie a reçu le personnel de l’établissement, une équipe mobile de sécurité a été dépêchée à plusieurs reprises, et le rectorat «a mis en place un assistant d’éducation supplémentaire depuis la rentrée des vacances de la Toussaint, soit avant la découverte de l’arme à feu dans l’internat». Las. «Cette situation a assez duré car onze de nos collègues sont en arrêt maladie et une collègue a tenté de mettre fin à ses jours cette semaine», a déclaré auprès de l’AFP Fabien Landry, de la CGT Educ’action du Doubs, porte-parole de l’intersyndicale.

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