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Marine Le Pen peut-elle vraiment renégocier les traités européens ?
Plus pragmatique qu'en 2017, la candidate RN a réaffirmé qu'elle ne comptait pas arrêter de payer sa contribution européenne mais « payer moins »
AFP

Marine Le Pen peut-elle vraiment renégocier les traités européens ?

Entretiens croisés

Propos recueillis par

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La présidente du Rassemblement national entend bien faire primer le droit national sur le droit européen, comme elle l'a affirmé ce mercredi 13 mars en conférence de presse. Si Marine Le Pen a pris conscience qu'elle devait agir au sein de l'UE pour en changer les règles, elle devra aussi se trouver des alliés pour imposer ses négociations. Entretien croisé de deux juristes sur le sujet.

Plus question de quitter l'Union européenne au Rassemblement national, il faut désormais la changer de l'intérieur. Marine Le Pen a présenté les réformes des traités européens qu'elle compte mener, ce mercredi 13 mars, lors de la présentation de son programme en matière de relations étrangères. Plus pragmatique qu'en 2017, la candidate RN a réaffirmé qu'elle ne comptait pas arrêter de payer sa contribution européenne mais « payer moins ». Au menu également les accords de l'espace Schengen, qu'elle compte renégocier pour réinstaurer des contrôles à la frontière et la « primauté du droit national sur les traités européens ».

« Plus nous nous libérerons du carcan bruxellois tout en restant dans l'Union européenne, plus nous nous tournerons vers le vaste monde », ajoute Marine Le Pen, rappelant l'exemple anglais du Brexit, tout en s'inspirant de la politique de Victor Orban. Si elle prend mieux en compte les enjeux dans la renégociation des traités européens, a-t-elle pour autant les moyens de faire plier la Commission et le Parlement sur les questions financières et d'immigration ? Pour la docteure en droit européen (Paris II) Tania Racho, les velléités réformatrices de Marine Le Pen risquent de se heurter à la primauté du droit européen et à la trop faible importance de sa famille politique au Parlement. La professeur des universités en droit public (Rennes I) Anne-Marie Le Pourhiet affirme quant à elle que la France a un rôle suffisamment important au sein de l'Union pour faire pencher la balance en sa faveur. Elles développent pour Marianne leurs arguments.

Marianne : Marine Le Pen dit vouloir renégocier les accords de Schengen pour réinstaurer des contrôles à la frontière et annonce qu'elle fera baisser la contribution financière à l'Union européenne. De quelle marge de manœuvre dispose-t-elle ?

Tania Racho : Si Marine Le Pen veut renégocier ces traités, elle ne pourra pas le faire dans son coin. Elle en a bien pris conscience puisqu'elle ne veut plus quitter l'Union européenne. Contrairement à 2017, le Rassemblement national a compris qu'il devait agir au sein de l'Union.

Pour les accords de Schengen, Emmanuel Macron a déjà entamé des négociations sur les réformes à mener. La réflexion porte plutôt sur le suivi du contrôle à la frontière. Ce que veut Marine Le Pen existe donc déjà, mais la réforme proposée par le président actuel porte davantage sur le pilotage de l'espace Schengen c’est-à-dire un suivi plus actif de la zone et de ce qui s'y passe.

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Le budget de l'Union est quant à lui décidé par les institutions dans un cadre pluriannuel de 7 ans. Elles fixent la contribution de chaque pays, déterminée en fonction du PIB. Le budget est proposé par la Commission puis amendé par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne. Chaque année, la Commission essaie d'augmenter le budget alors que le Conseil veut le réduire. Ce budget est déterminé dans le cadre de négociations, il ne résulte pas d'une décision unilatérale. Si Marine Le Pen l'a bien compris, son discours sous-entend encore qu'elle serait capable de renverser seule le rapport de force. Ce qu'elle propose n'est pas impossible, mais la façon de le présenter n'est pas réaliste.

Anne-Marie Le Pourhiet : Marine Le Pen dispose d'une marge de manœuvre diplomatique : il faut qu'elle convainque ses partenaires. Les pourcentages de contribution au financement européen sont déterminés par des traités, elle ne peut pas renverser la table toute seule. Elle est obligée de négocier. Avant de lancer la procédure de Brexit, David Cameron a négocié un statut spécial avec les partenaires européens. Il a obtenu plusieurs dérogations, notamment sur les droits sociaux des étrangers. Lorsqu'il soumet le référendum au peuple britannique, il leur demande s'ils souhaitent rester dans l'Union avec ces dérogations, ou la quitter.

« La Pologne a voulu imposer sa constitution sur l'indépendance des juges polonais mais le gouvernement a fini par plier. Leur méthode ne fonctionne pas sur le long cours. »

Avant eux, le Danemark avait aussi entamé des négociations sur le droit d'asile et n'est pas soumis aux directives européennes. Les Irlandais ont dit « non » au référendum sur le traité de Lisbonne en 2008. Pour qu'ils acceptent ce traité, l'Irlande a négocié quatre dérogations, sur le droit de la famille irlandaise par exemple. Ça, l'Union évite de le mettre en avant.

Le problème, c'est que je n'arrive pas à savoir si Marine Le Pen entend négocier les accords de Schengen et la contribution financière à l'UE pour la France uniquement. Elle annonce ces mesures en vrac, sans préciser elle compte agir seul. On est 27 États membres et il faut trouver un compromis.

Réformer l'UE de l'intérieur, comme Marine Le Pen l'entend, cela impliquerait aussi d'avoir une majorité au Parlement européen. Sans cette majorité, le droit national ne peut donc pas primer sur le droit européen ?

Tania Racho : La ligne défendue par Marine Le Pen, qui est aussi celle de la Hongrie et de la Pologne, est encore minoritaire au Parlement. Si leur influence grandissait, ils pourraient faire valoir leur modèle et leurs valeurs via le Conseil de l'Europe.

Mais pour l'instant, il n'est pas possible de faire primer le droit national sur le droit européen. La Pologne a voulu imposer sa constitution sur l'indépendance des juges polonais. Depuis cette décision prise en octobre dernier, la Commission poursuit la Pologne de façon très intense. Si elle veut maintenir sa décision, la Pologne doit en payer les frais : un million d'euros par jour. Depuis, le pays a proposé des réformes. Malgré ce coup d'éclat en octobre, le gouvernement polonais a fini par plier. Leur méthode ne fonctionne pas sur le long cours.

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En France, le conseil constitutionnel a un garde-fou qui prévoit de ne pas appliquer le droit européen s'il est contraire à « l'identité constitutionnelle française ». Cette idée n'est pas clairement définie, mais ce droit de regard interdit par exemple de déléguer les pouvoirs de la police à des entreprises privées. Si l'Union européenne voulait proposer une norme dans ce sens, la constitution française pourrait s'y opposer. Dans les faits, il n'en a jamais été question, et la confrontation entre le droit européen et la constitution française est assez rare.

Anne-Marie Le Pourhiet : Entrer dans une renégociation des traités reste dans le champ d'action du président de la République. Elle peut le faire sans l'aval du Parlement européen, mais ce sera un travail de longue haleine. Ceci dit, elle n'aurait pas tort d'entamer ces négociations dès maintenant car d'autres pays lui emboîteraient le pas, à commencer par la Pologne et la Hongrie. Un certain ras-le-bol des contraintes imposées par la Commission grandit chez les États européens. Si l'Union avait écouté les Britanniques, ils ne seraient peut-être pas partis. À se bouter dans un fédéralisme au forceps, l'Union se menace elle-même. Les institutions européennes devraient elles aussi faire leur autocritique.

« Les oppositions à la Commission ne viennent pas uniquement de Pologne ou de Hongrie, comme l'Union aimerait le laisser penser. »

Marine Le Pen peut faire peser un poids autrement plus important que Victor Orban ou Andrzej Duda sur l'Union européenne. Quand Charles de Gaulle avait refusé de siéger aux institutions européennes tant qu'il ne trouvait pas d'accord avec l'UE, l'Europe a bien dû plier. Il avait obtenu le « compromis de Luxembourg », en janvier 1966. Ils ne sont plus habitués à faire face à des personnalités politiques de cette trempe, mais ça va revenir. Quand les contestations viennent de la France ou de l'Allemagne, les juges et commissaires européens mettent la pédale douce.

Marine Le Pen peut-elle élargir cette idée constitutionnelle à d'autres sujets, comme l'immigration ?

Tania Racho : Valérie Pécresse a déjà proposé d'élargir cette identité constitutionnelle sur la question de l'immigration. Dans ce cas, il y aurait un débat similaire à celui qui a eu lieu en Pologne. L'Union européenne peut ouvrir une enquête sur les manquements du côté de la France et lui imposer des millions d’euros d'astreinte et d'amende.

À ce propos, Marine Le Pen cite à plusieurs reprises l'exemple allemand. En mai 2020, l'Allemagne était entrée en conflit avec l'Union sur l'émission de bons par la Banque centrale européenne (BCE). La Cour constitutionnelle allemande critiquait la politique d’aide de la BCE pour le rachat des dettes publiques des États membres, lui reprochant d'être allée trop loin. La Commission a répliqué en menaçant l'Allemagne d'une procédure d'infraction. Les deux partis ont dû trouver un terrain d'entente. Au final, la cour allemande n'a pas pu imposer sa politique monétaire.

Anne-Marie Le Pourhiet : L'identité constitutionnelle est une notion qui fait référence à une tradition constitutionnelle. Mais plutôt que de vouloir modifier cette identité, elle peut directement changer la constitution. Il faut se saisir de l'article 89. Elle peut s'amuser, comme de Gaulle, à essayer de passer en force. Juridiquement, c'est un excès de pouvoir.

Concernant la Cour constitutionnelle allemande, la Commission a renoncé à sa procédure en manquement contre l'Allemagne. La Cour de Karlsruhe a flanqué le plus grand coup de poing dans la tête de l'Union qu'elle a jamais donné. Elle a ridiculisé la Cour de Justice européenne. La Commission a retiré sa plainte contre l'Allemagne sous motif que le gouvernement allemand s'est engagé à ce que cela ne se reproduise plus. Mais l'Allemagne ne peut pas s'engager à contrôler la Cour constitutionnelle et à violer l’État de droit allemand. Les oppositions à la Commission ne viennent donc pas uniquement de Pologne ou de Hongrie, comme l'Union aimerait le laisser penser…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne