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Polémique sur les notes du bac, relevées de façon autoritaire
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Polémique sur les notes du bac, relevées de façon autoritaire

Tripatouillage

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Alors que le taux de réussite au bac est passé de 75 % dans les années 1990 à 90 % en 2021, les professeurs-correcteurs sont très encadrés dans leurs corrections. Et d'autant plus exaspérés que les logiciels qu'ils doivent utiliser rendent les petits ajustements internes bien plus visibles qu'auparavant.

Ils sont des centaines d'enseignants à en témoigner depuis deux jours. Leurs notes d'épreuves de spécialité du baccalauréat ont été revues à la hausse sans leur demander leur avis. « Mes notes ont été augmentées systématiquement. J’avais une moyenne d’origine de 11,3 sur mon paquet de copies. La moyenne a été remontée à 12,5. La plus mauvaise note était de 5, elle est désormais de 7/20. C’est scandaleux ! », témoigne auprès de Marianne un professeur d'histoire. « Toutes mes notes ont pris un point. À quoi ça sert de corriger, alors ? » s’étonne une autre enseignante. La grogne monte d’autant plus que ces petits tripatouillages de notes sont accessibles désormais via la plate-forme de correction de copie en ligne du ministère : Santorin. L’association de professeurs d’histoire, les clionautes, a été la première à faire part de son exaspération. « Selon de très nombreuses sources recoupées et vérifiées, cette plate-forme a permis de relever l’ensemble des moyennes de l’épreuve sur les académies de Versailles, Paris, Créteil, entre autres », note l’association.

Décision « opaque et arbitraire »

Les professeurs qui avaient assuré la correction « ont eu la grande surprise, lorsqu’ils ont voulu, pour leur information personnelle enregistrer leurs notations, de constater que leurs notes avaient été modifiées ». Nous avons manifesté à plusieurs reprises notre inquiétude à propos de l’organisation de ce baccalauréat, « mais à aucun moment nous n’aurions pu imaginer que la prérogative de la notation par un jury souverain, puisse être remise en cause, encore une fois de façon totalement opaque et arbitraire ». L’association dénonce une désinvolture « à l’égard de leurs fonctions d’évaluation ». Certes, les enseignants reconnaissent qu’à l’époque des copies papier, il arrivait souvent que des consignes orales soient données lors des réunions d’harmonisation, allant dans le sens d’une plus ou moins grande bienveillance, en demandant aux correcteurs de se rapprocher de la moyenne académique. Mais « cela relevait de la responsabilité des professeurs, tandis que dans le cas qui nous préoccupe, il s’agit d’une décision tout simplement arbitraire, prise sans aucune transparence ».

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Pour le ministère de l’Education nationale, ces « remontées de notes » n’ont cependant rien d’automatique : « Il s’est passé la même chose que chaque année c’est-à-dire qu’un groupe de coordinateurs correcteurs ont examiné l’ensemble des notes qui ont été attribuées discipline par discipline, pour les spécialités, de manière à s’assurer qu’il n’y a pas eu d’écart. » Des écarts liés au fait qu’un correcteur aurait noté plus sévèrement que d’autres ou des écarts liés à la difficulté des sujets, qui peut être variable d'un jour à l'autre. « Qu’il puisse y avoir des différences d’appréciation entre professeurs, qu’il y ait des sujets plus difficiles que d’autres, c’est normal, et pour corriger ces variations on a des harmonisations sur une minorité de copies qui permettent de dire à la fin qu’un candidat a été traité de la même manière qu’un autre », explique-t-on à la direction générale des affaires scolaires.

Visibilité plus grande de la correction

Ce qui est nouveau « c’est que comme on a dématérialisé la correction, on a donné aux professeurs de la visibilité sur la suite de la correction. Jusqu’à présent un correcteur remplissait les notes dans un tableur et transmettait. Et puis, soit il était présent en commission d’harmonisation et il savait ce que devenaient les notes, soit il n’était pas présent et il ne le savait pas. Le choix qui a été fait c’est de donner une visibilité complète. » Ce ne sont pas des logiciels qui harmonisent, mais bien des professeurs. « C’est un travail collégial, humain, qui croise le regard des inspecteurs et celui des correcteurs. Mais on n’est pas 200 dans une salle mais plutôt 10, 15 ou 20 », explique-t-on à la direction générale de l’enseignement scolaire. Avant de rappeler que les commissions d’harmonisation qui vont prendre fin demain soir pour les épreuves de spécialités seront suivies de nouvelles commissions d’harmonisation pour les notes de contrôle continu. Et fin juin-début juillet, les jurys de délibération qui attribueront le baccalauréat seront amenés à regarder l’ensemble des bulletins pour une ultime harmonisation, pour ceux qui sont en limites d'obtenir une mention par exemple.

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Ces « harmonisations » suscitent chaque année la polémique. Certes, sans cela, certains professeurs n’hésiteraient pas à aligner des notes très faibles, sans se préoccuper de ce que font leurs collègues comme l'ont montré dans le passé des études de « docimologie » (science de l'évaluation en pédagogie). En 2007, le chercheur Bruno Suchaud a ainsi soumis trois copies d'élèves passant l'épreuve de sciences économiques et sociales à la correction d'une trentaine de professeurs. Il existait, pour chaque dissertation, des variations très fortes d'un correcteur à l'autre pouvant aller jusqu'à onze points – même si la variation est plus proche de deux ou trois points en moyenne… Sans contrôle, l’aléa de la correction est considérable. « À tort ou à raison, ces harmonisations sont soupçonnées de contribuer à augmenter de manière artificielle les taux de réussite et d’affaiblir ainsi la valeur du bac », relevait en 2008 le sénateur Jacques Legendre dans un rapport. Les barèmes de notation sont « trop souvent formulés dans des termes purement positifs », écrivait-il.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne