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Pompier blessé par balle : "Quand on est pompier, on est là pour sauver des vies, pas pour se les faire faucher"

Pompier blessé par balle : "Quand on est pompier, on est là pour sauver des vies, pas pour se les faire faucher"

Violences

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Ce mardi 14 juillet, en début de soirée, un pompier a été visé par des tirs alors qu'il était en intervention pour éteindre un feu de voiture. Un événement qui met en lumière les violences subies au quotidien par les soldats du feu. Entretien.

Il y a de l'incompréhension, de la colère et beaucoup d'inquiétudes dans les rangs des soldats du feu. Ce mardi 14 juillet, dans la soirée, l'un des leurs a été blessé par balle lors d'une intervention sur un feu de voiture, à Etampes, dans l'Essonne. Le pompier, sergent chef, a été touché au mollet par un tireur, à l'heure actuelle toujours non identifié.

La gravité de l'événement est inédite dans le milieu. Pour autant, les pompiers sont quotidiennement confrontés à des violences verbales et physiques. Entre 2017 et 2018, le nombre de pompiers ayant déclaré avoir été victimes d'une agression a bondi de 21%, selon une note de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), publiée en décembre 2019. Pour, Christophe Duveaux vice président national du Spasdis CFTC et pompier en Indre-et-Loire (37), cette violence s'explique par un amalgame entre les uniformes de la police et des pompiers. Entretien.

Marianne : Globalement, quel est le ressenti des pompiers après l'incident d'Etampes ?

Christophe Duveaux : Il y a une grande incompréhension. Quand on est pompier on est là pour sauver des vies, pas pour se les faire faucher. C'est un non sens total de se faire agresser. Il y a de l'inquiétude, aussi. Le moral des troupes n'est pas bon. Cet incident, que l'on peut largement qualifier d'inédit notamment par sa gravité, suscite beaucoup de questions dans la profession. On se demande jusqu'où ira la violence à notre égard ? On peut clairement dire qu'une ligne rouge a été franchie.

Diriez-vous que l'événement a un effet grossissant, du fait de son caractère inédit, des violences que vivent les pompiers au quotidien ?

Bien sûr. D'habitude la violence ne se manifeste pas de façon aussi brutale, frénétique, mais la réalité est qu'aujourd'hui, nous sommes confrontés à de réelles violences, verbales, physiques ou les deux. D'ordinaire on est davantage pris à partie avec des des jets de projectiles par les fenêtres. Cela nous arrive aussi d'être est bousculés par des personnes plutôt agitées, qu'il faut contenir. Je n'excuse pas ces comportements-ci, mais il y a une différence avec le fait de tirer sur quelqu'un. En réalité, dans nos rangs, il y a le sentiment que beaucoup de citoyens ont perdu le sens du respect envers les pompiers.

Justement, comment expliquez-vous que des pompiers soient visés par des violences ?

L'uniforme y est pour beaucoup. Les gens font un amalgame entre la police et les pompiers. Le plus souvent, lorsque la police arrive sur un lieu d'intervention dans un quartier sujet à des violences urbaines, comme les feux de poubelles ou de voitures, comme c'était le cas à Etampes, ils sont équipés, plus ou moins lourdement. Ils ont des casques, des grosses chaussures, parfois des gilets pare-balles. Nous c'est pareil, le gilet en moins. On est aussi perçu comme l'autorité régalienne. Cela nous fait du tort, alors que nous sommes là pour porter assistance à personne en danger. Le fait que l'on soit accompagné de la police, pour notre sécurité, sur certaines opérations sensibles, cela aussi joue dans cette espèce d'amalgame des uniformes et de fait, des missions. La protection des pompiers par la police a toujours existé sur des opérations à risque, mais depuis quelques années on voit bien que l'on doit faire davantage appel aux forces de l'ordre pour nous protéger.

Entre 2016 et 2019, les violences à l'égard des pompiers ont bondi de 21%. Pourquoi d'après vous ?

Je dirais que depuis trois ans, notre direction, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a pris la mesure du problème et a mis en place une certaine sensibilisation face aux violences que peuvent subir les pompiers. On est monté en puissance sur ces questions alors qu'on avait tendance à être dans un certain fatalisme. On a beaucoup laissé faire et aujourd'hui c'est tolérance zéro. Tout le monde porte désormais plainte lorsqu'il y a un incident. C'est pour cela qu'il y a eu une augmentation des plaintes. Dans le même temps, les agressions ont elles aussi continué de croître, avec un degré de violence élevé. Ainsi la hausse des violences envers les pompiers est corrélée à ces deux phénomènes. L'autre cause de cette hausse des violences est aussi due au fait qu'ils subsistent des endroits en France où quand il n'y a plus de service public, on envoie les pompiers, au lieu d'envoyer la psychiatrie, ou encore la police. Mais nous ne sommes pas formés pour neutraliser des personnes plus ou moins agitées. Nous sommes une roue de secours. A un moment donné, quand vous n’avez plus personne sur qui compter pour assurer un service public, vous faite le 18 et il y a toujours un camion qui sera envoyé, mais le problème ne pourra pas être réglé. Les choses peuvent dégénérer.

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a avancé, à la suite de l'agression d'Etampes que "désormais chaque fois que des forces de l'ordre, les pompiers seront attaqués, le ministère portera systématiquement plainte". Qu'en dites-vous ?

Ce n'est pas une mauvaise décision mais nous n'éprouvons pas de difficultés à porter plainte. Cela va dans le bon sens, mais est-ce suffisant ? Ne faut-il pas régler les problèmes de fond comme la hausse des effectifs ou encore une meilleure protections des équipes sur le terrain ?

Justement, la sécurité et l'amélioration de conditions de travail, il s'agit-là de revendications que portiez lors de votre grève l'année dernière. Cela signifie-t-il que rien n'a bougé, malgré des négociations avec Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur à l'époque ?

La prise en compte a été faite. Les réunions pour dresser le constat de cette situation délétère aussi. Pour autant, on ne voit pas grand chose changer. On est remplis de constatations, mais il n'y a en réalité aucune solution en vue.

Les pompiers du Morbihan expérimentent depuis peu l'usage de caméras piétons come outil de "prévention et de protection". Pensez-vous que cela puisse régler le problème de la violence ?

A la CFTC, nous pensons que cela pourrait être utile d'un point de vue juridique, notamment parce qu’aujourd'hui les images parlent et peuvent largement être utilisées comme preuves, là où les condamnations pour violences contre pompiers sont en réalité peu nombreuses. Mais, là encore c’est peut-être un élément supplémentaire pour nous comparer, voire nous assimiler aux forces de l’ordre. C'est une vraie crainte. D'ailleurs dans l'Indre-et-Loire, nous avons décidé de ne pas être parmi les départements testeurs, parce que nous pensons que cela peut avoir un effet inverse à la dissuasion et plutôt engendrer plus de violences.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne