Alain Bauer, criminologue : "Il n’y a pas de sentiment d’insécurité mais un climat de violence"
Alain Bauer, professeur de criminologie au Consersatoire national des arts et métiers est l'invité jeudi 14 septembre du Cercle Mozart de Montpellier pour une conférence sur le thème : "Sécurités et insécurités dans un monde chaotique". Entretien.
Vit-on vraiment dans un monde en plein chaos, comme le laisse entendre l’intitulé de la conférence (1) à laquelle vous allez participer ?
En tout cas on peut dire que rarement dans l’histoire une telle conjonction de crises sociale, économique, financière, sanitaire, sécuritaire, militaire, environnementale... n’aura eu lieu en même temps. Aucune n’est vraiment terminée, chacune connaît des rebonds et toutes doivent être traitées en continu sans pause ni répit. Le chaos vient du grec ancien Kháos et désigne l’espace préexistant à toutes choses, et notamment à la lumière. Il est confusion et désordre, mais il annonce le retour à l’ordre.
Le quartier Pissevin à Nîmes a largement fait parler de lui comme l’épicentre de l’insécurité. Comment fait-on pour rétablir l’ordre dans ces quartiers populaires ?
Le problème est moins de rétablir l’ordre dans les quartiers populaires que de rétablir la paix civile dans les espaces où un ordre parallèle et criminel a pris le dessus. Depuis la création volontaire par l’État du concept de "banlieue", la lieue du ban, espaces de relégation, de ségrégation et de sécession potentielles, ce qui s’y déroule, et désormais s’étend dans des petites et moyennes villes, ne peut surprendre personne.
La paix se conjugue autant par le social et l’éducatif que par la posture sécuritaire. Chacune est essentielle au retour à la paix et à a reconquête pérenne et enracinée de l’ordre dit Républicain. L’ordre se construit avec le soutien des habitants, souvent otages de leurs propres quartiers, et en réinvestissant tous les secteurs de l’action publique. Les "charges sociales" doivent être considérées aussi comme des investissements qui coûteront toujours moins chers que le coût de la criminalité ou des émeutes. Et que dire du "prix" de la mort d’un enfant.
Est-ce qu’augmenter le nombre de policiers règle durablement le problème ?
Sur l’instant cela peut être utile. Mais la question est celle d’un ré-enracinement de tous les services publics et du retour au respect mutuel et à l’autorité de la loi. Cela inclut police et gendarmerie, polices municipales, mais concerne aussi les enseignants, médecins, infirmières et infirmiers, postiers, agents EDF ou GDF... C’est le climat de violence qui pose problème, largement au-delà du pseudo "sentiment d’insécurité", concept vide de sens et qui sert surtout à ne pas traiter les problèmes posés par les habitants.
De nombreux politiques associent la délinquance à l’immigration. Cette association est-elle justifiée par les études ?
J’attends de lire la première étude qui le dira. Il est certain que la structure démographique des immigrations indique sur une sur représentation des jeunes mâles en général plus agités que les vieilles dames. Mais ce qui se dit aujourd’hui des Africains ou maghrébins s’écrivait hier en parlant des Polonais, italiens ou espagnols : violents, violeurs, tueurs...
La question est plutôt sur l’intégration et la capacité de la France a garantir l’accueil tout en imposant ses règles. Plus que l’immigration, c’est la communautarisation qui pose problème. C’est l’absence de cohérence, sur la laïcité ou ce qui fait la nature de notre culture qui crée la faiblesse d’un État Nation, unique en son genre et qui s’est oublié.
Est-ce que le sentiment d’insécurité augmente avec l’insécurité elle-même ?
Il n’y a pas de sentiment d’insécurité, mais un climat de violence. On peut y être plus ou moins sensible. Mais ce n’est pas une "impression" mais une réalité confirmée au quotidien par les événements venus par les citoyennes et citoyens. Qu’il s’agisse d’une forte augmentation, c’est le cas pour les homicides et tentatives et les violences en général, ou d’une révélation, pour les faits d’agressions sexuelles ou d’incestes, rarement la situation n’aura été aussi tendue depuis que les outils statistiques existent en France (1972).
De ce fait, la perception de l’insécurité est aussi liée à sa réalité. Pendant longtemps le fait divers spectaculaire masquait une absence relative de criminalité ordinaire. Désormais l’extraordinaire est devenu ordinaire.
Le député Vignal estime que le combat passe par le triptyque "éducation, prévention et répression". Est-ce naïf ?
Non, c’est logique. Le tout est de dépasser la proclamation pour entrer dans l’application. Longtemps le système politique a nié la question de la criminalité et de la délinquance. Entre imprécations, invocations et lamentations, les affrontements entre extrémistes de la répression et angéliques de la prévention ne servent pas à grand-chose.
Mais toutes les bonnes volontés sont les bienvenues à la table de la mise en place d’une politique équilibrée et localisée permettant d’investir avant les faits plutôt que de passer son temps à réparer la casse.
Le combat contre la délinquance organisée (comme celle du trafic de stupéfiants qui gangrène ces quartiers) est-il perdu ?
Le seul combat perdu est celui qu’on ne mène pas. Mais un athlète qui perd à chaque compétition sans jamais analyser les raisons de sa défaite sertie de la commisération mais aussi qu’on ose lui expliquer ses erreurs. La politique menée depuis 1970 pour des raisons morales et de politique internationale a échoué.
Personne ne peut dire décemment aujourd’hui que le dispositif donne des résultats. Ils sont, à tous points de vue, parmi les plus mauvais d’Europe. En général une politique de prohibition se traduit par une baisse de la qualité, de l’offre et une qui augmentation des prix. Nous vison l’inverse. Le parlement a beaucoup, et bien, travaillé sur la question. Il est temps de l’écouter.
L’autorité est devenue un maître-mot, un enjeu majeur dans les discours. L’insécurité peut-elle partiellement se régler par un retour de l’autorité ?
L’autorité et la puissance, la capacité à agir est au cœur de l’existence de l’État. Dans le notre, qui gère tout et promet le reste, c’est le passage du discours à l’action qui reste le cœur de la question posée. On peut tout régler en France. En investissant sur les citoyennes et citoyens, en rappelant le contrat social et civique qui fait la Nation. Et en sortant aussi de notre "remords colonial".
Ce qui se décide actuellement c’est la capacité d’un pays qui s’appelle France à survivre face à des défis et des menaces presqu’inédites. L’autorité acceptée et pas imposée, l’autorité des actes et pas seulement des paroles, l’autorité qui dynamise est celle qui peut aussi rassembler pour rétablir l’ordre public, celui qui protège les libertés.
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