Élection de Javier Milei en Argentine : le choc politique ?

Le nouveau président argentin Javier Milei. ©AFP - Emiliano Lasalvia
Le nouveau président argentin Javier Milei. ©AFP - Emiliano Lasalvia
Le nouveau président argentin Javier Milei. ©AFP - Emiliano Lasalvia
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L'extrême-droite l'a emporté en Argentine. Et les questions se bousculent à propos des ambitions de Javier Milei, le futur président à l'attitude volontiers grotesque.

Avec
  • Denis Merklen Sociologue, professeur à l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 et membre de l'Institut de Hautes Etudes sur l’Amérique latine.
  • Maricel Rodriguez Blanco Sociologue Politiste Maîtresse de conférences en Sociologie à l'Institut catholique de Paris

C’est un homme avec des propos parfois erratiques, quasi systématiquement outranciers, un homme qui se déguise en super héros, multiplie les phrases chocs et se dit anarcho-capitaliste, Javier Milei, qui a été élu à la présidence argentine.

Mais il faut faire sens, au-delà de la clownerie, du spectacle, de l’élection de Milei. Parce que Milei est, a priori, un homme dangereux, que l’Argentine est un grand pays, un poids lourd du continent.

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Les visages effarés, apeurés, des électeurs de gauche argentins en disent long : en effet, Milei s’est rapproché de milieux d’extrême-droite qui ont été à la manœuvre à l’époque de la dictature en Argentine. La vice-présidente que Milei a choisie ne cache pas sa proximité avec ces réseaux de militaires notamment.

Son élection signe aussi la débâcle du péronisme, le mouvement politique très spécifique à l’argentine et longtemps hégémonique. C’est enfin la bascule très à droite de la nation argentine alors que le Chili s’est choisi un président de gauche, il y a peu, comme la Colombie, pourtant peu encline vers cette option politique, et le Brésil qui a décidé de sanctionner — de très peu — la droite radicale de Bolsonaro, qui conserve d’ardents partisans dans le pays.

Et c’est une nouvelle victoire pour un candidat nationaliste, populiste, issu d’une alliance des droites. On a longtemps dit que le Chili avait été un laboratoire du néolibéralisme autoritaire. Milei est-il un phénomène à comprendre dans la foulée de Bolsonaro au Brésil, et pourrait-il propager, faire tache d’encre, dans le monde, en Europe peut-être, ce modèle ?

L’homme, notamment, entretient un rapport très particulier au savoir, à la vérité et à la science. Révisionniste en bien des points, il assure notamment qu’une partie des crimes imputés à la junte militaire sont des inventions progressistes, de la même manière qu’il s’assume, dans la foulée de Trump et de Bolsonaro, comme un climatosceptique fier de lui, irrité par les scientifiques à ce sujet.

Un démagogue médiatique à qui la crise profite

Qui est Javier Milei ? "Un économiste", commence par répondre Maricel Rodriguez Blanco. "C'est un pur produit médiatique qui s'est produit surtout sur les réseaux sociaux qui, n'oublions-les, ont été une source et aussi un lieu de diffusion de l'information et aussi d'échanges très importants, notamment pendant le confinement. Il animait aussi des émissions de télé. Et il a diffusé une bonne partie de ses idées via ce milieu-là. Il faut dire qu'il était un outsider, en tout cas du point de vue politique, puisqu'il n'était pas connu en tant que député. Rappelons qu'il arrive au Parlement en Argentine en 2020. En tant que député, il n'était pas connu pour la simple raison aussi qu'il était souvent absent au Parlement. Il a voté des mesures, des amendements proposés par les camps de la droite, la droite qui est qui est incarnée par la figure de l'ancien président argentin Mauricio Macri, qui a gouverné le pays entre 2015 et 2019. Donc il y avait déjà un certain nombre de liens avec cet espace politique-là, ces centres droits, ces droites argentines, et un certain nombre d'échanges". Durant sa campagne, il joue la carte de "l'anticaste", "ce qui a aussi marqué, et a eu des effets en tout cas positifs pour lui, notamment dans une partie de la jeunesse". Pour les deux invités, c'est clair : la crise a participé pour beaucoup aussi à son élection.

En tant qu'économiste, il n'était pas très connu. S'il s'épanouit aujourd'hui en se présentant comme libertarien, il est initialement rattaché à des écoles classiques ultralibérales et néolibérales, favorables à des mesures déjà testées en Argentine.

Denis Merklen revient sur les conditions de son élection et sur son électorat. "56 % des voix donc c'est un électorat effectivement très important. C'est un électorat qui est essentiellement né de l'échec du gouvernement et du "kirchnerisme" qui a conduit le pays à une crise économique extrêmement sévère. Le kirchnerisme, c'est un mouvement politique de centre-gauche en Argentine, inspiré du péronisme. Certes, ces mouvements ont sorti l'Argentine de la crise en 2001. Mais voilà, quand le pays est rentré dans une nouvelle impasse, cela a permis à une droite extrêmement dure de se consolider." Milei a remis à la mode avec d'autres un discours néolibéral "qui était quasiment banni de l'espace public argentin" jusque-là. "La moitié de l'Argentine ne s'est pas convertie à l'extrême droite libertarienne. Il y a des raisons plus profondes qui expliquent ce succès, des transformations qui sont extrêmement dures et qui montrent surtout une profonde crise de l'État."

"La tendance à la personnalisation de la politique s'exprimait dans les gouvernements péronistes, et aussi chez Milei. Il y a cette incarnation du discours par un leader charismatique. C'est ça qu'on reproche au péronisme et c'est paradoxalement ce qu'incarne Milei."

20 min

Une colère globale

Maricel Rodriguez Blanco souligne que l'État a largement failli à ses missions en Argentine, laissant la place à une colère importante. "Un tiers de la population argentine évolue dans des relations économiques informelles, c'est-à-dire à l'extérieur du droit. La monnaie est hors contrôle. L'État n'a quasiment pas de prise sur la société et il est difficile de trouver un Argentin qui puisse avoir une expérience heureuse d'un service public. De la police à l'école, la santé, tous les services publics essentiels dysfonctionnent. Les différents gouvernements se sont plutôt concentrés sur la dimension de la redistribution du revenu. Je pense notamment à la gauche et au péronisme. Ils n'ont pas réussi à réinscrire l'État et à construire des institutions permettant, par exemple, de réduire la proportion d'emplois informels qui est stable depuis des longues décennies. La population est en colère. C'est pour ça qu'elle est capable ou apte à accueillir le type de phrases qui sont celles de Milei."

Denis Merklen souligne à quel point Milei fait appel à une religiosité étonnante, insultant le pape d'une main, et de l'autre, faisant appel à ses chiens, aux esprits et à des révélations, quand il ne parle par de sa sœur et principale conseillère, qui se dit voyante.

Le Journal de l'éco
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Un rapport distordu à la réalité

Les deux chercheurs s'accordent pour pointer du doigt un rapport compliqué aux réalités. Milei nie le réchauffement climatique, ou l'égalité entre les hommes et les femmes. Il tient aussi un discours qui tend à remettre en question la mémoire de la dictature argentine.

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