La France s'est-elle appauvrie ?

A Montpellier, le 10 avril 2020, des bénévoles travaillent sur la plate forme humanitaire pour apporter une aide alimentaire et sanitaire pendant la pandemie du covid 19 ©Maxppp - GUILLAUME BONNEFONT
A Montpellier, le 10 avril 2020, des bénévoles travaillent sur la plate forme humanitaire pour apporter une aide alimentaire et sanitaire pendant la pandemie du covid 19 ©Maxppp - GUILLAUME BONNEFONT
A Montpellier, le 10 avril 2020, des bénévoles travaillent sur la plate forme humanitaire pour apporter une aide alimentaire et sanitaire pendant la pandemie du covid 19 ©Maxppp - GUILLAUME BONNEFONT
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Inflation, inégalités, énergie, le rapport publié le 17 novembre par le Secours Catholique alerte sur l’aggravation de la précarité d’une partie de la population française. Un appauvrissement ressenti aussi à l’échelle globale : la France décroche au classement du PIB/habitant depuis 30 ans.

Avec
  • Nicolas Duvoux Professeur de sociologie à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, chercheur au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA-LabTop), spécialiste des questions de pauvreté, d’inégalités sociales et des politiques publiques
  • Florence Jany-Catrice Professeure d’économie à l’université de Lille
  • Pascale Novelli Économiste, autrice du rapport statistique annuel du Secours Catholique – Caritas France

C’est une variante du discours sur le déclin: celui sur l’appauvrissement du pays. Depuis quelques semaines, essayistes, journalistes, politiques et analystes expliquent que la réforme des retraites est une manière de prendre en compte la situation financière de la France appauvrie et qui, en vingt ans, a décroché en terme de revenu par tête, par rapport a l’Allemagne, les États-Unis ou la Suisse. En 2019 déjà, le ministre de l’économie Bruno Le Maire tenait ce discours, reprenant à distance dans le temps la phrase du premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre, sur une France vivant au dessus de ses moyens.

Si au niveau macro-économique cet appauvrissement est en débat, au plus près du terrain, il est plus réel pour les classes populaires ou les classes moyennes, en particulier avec l’augmentation des prix depuis près d’un an. Mais parle-t-on du même appauvrissement quand on parle de la France ou bien des françaises et français ?

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Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Nicolas Duvoux, sociologue, professeur à l’Université Paris 8, président du conseil scientifique du CNLE, le conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ; Florence Jany-Catrice, économiste, professeure à l'Université de Lille 1, chercheuse au Centre lillois d'études et de recherches économiques et sociologiques ; Pascale Novelli, économiste, autrice du rapport annuel du Secours Catholique.

L’appauvrissement de la France face au monde ?

« La rhétorique qui consiste à dire que la France décroche peut être discutée » estime Florence Jany-Catrice qui insiste sur le fait que la France n’a jamais été aussi riche du point de vue de son produit intérieur brut. Elle nuance les conclusions hâtives formulées à partir de l’observation du niveau de PIB par habitant : « il ne dit rien de la répartition de la richesse du pays et il est dépassé de continuer à avoir les yeux rivés sur le revenu global : Joseph Stiglitz dit bien que, dans les années 2000, les Etats-Unis ont connu une décennie de forte croissance et un déclin pour la plupart des gens ». « Il faut tout de même comprendre les racines de ce sentiment de déclassement » explique Nicolas Duvoux, « sur les trente, quarante dernières années, les très riches et les classes moyennes des pays émergents s’en sortent bien, et dans cette recomposition, les classes moyennes et populaires des pays développés sont des perdants de la mondialisation, c’est ce qui crée un récit global ».

Quel récit de la pauvreté en France ?

Nicolas Duvoux ne constate pas une explosion des inégalités en France, mais il explique la colère sociale autour d’un sentiment d’appauvrissement par « la manière avec laquelle ces inégalités se traduisent dans une absence de maîtrise sur leur vie de catégories entières de population ». Il s’appuie sur l’exemple des Gilets Jaunes : « ce sont des classes moyennes qui travaillent, exposées aux accidents de la vie, mais sans récit collectif qui leur offre un futur ». « Au Secours Populaire, nous constatons une augmentation de la stigmatisation des personnes en situation de pauvreté, notamment des allocataires du RSA » ajoute Pascale Novelli, « alors que la pauvreté a une dimension collective et de société, on ne fait que porter une dimension strictement individuelle : si on est pauvre, c’est presque une question de choix ». Sur le terrain, elle constate l’aggravation de la précarité : « on est dans des formes de survie, il n’y a plus de place pour les dépenses contraintes après l’inflation : c’est la privation ».

Les instruments de mesure de la pauvreté

« Dès la fin des années 2000, le réseau d’alerte sur les inégalités contestait les chiffres officiels qui produisaient une narration sur la baisse des inégalités et de la pauvreté » remarque Florence Jany-Catrice, « ce qui était dissonant avec ce qu’observaient les associations ». La pauvreté est multiple : elle touche à la dimension monétaire, mais aussi à l’accès au logement, aux soins, à l’éducation, au travail… Si elle reconnaît l’amélioration de la prise en compte de cette multidimensionnalité dans les statistiques publiques, elle émet une mise en garde : « une chose est de produire les statistiques, une autre est de les mettre en avant dans la communication publique et politique ». Au Secours Catholique, la pauvreté est aussi mesurée en prenant en compte l’isolement, la maltraitance institutionnelle et sociale, la non-reconnaissance des compétences acquises… Pascale Novelli insiste : « pour lutter contre la pauvreté, il faut la mesurer le mieux possible ».

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